PARIS
Une immersion sobre au cœur de la culture mamlouke, où s’illuminent manuscrits rares, objets d’art et récits de grands bâtisseurs.
Paris. Peu connu du grand public, le règne des Mamlouks a pourtant produit un art et une culture très riches entre les XIIIe et XVIe siècles. Après l’effondrement du califat abbasside de Bagdad (1258) et avant la conquête ottomane (1516), les sultans mamlouks instaurent en Égypte et en Syrie un pouvoir basé sur la loyauté d’anciens esclaves militaires des califes arabes (le terme arabe« mamlouk » signifie « possédé », et s’emploie aussi pour des biens mobiliers). Comme le rappelle Soraya Noujaïm, directrice du département des Arts de l’Islam au Louvre, « cette histoire et ces territoires restent mal connus en France » et l’exposition vise donc à corriger cette lacune par un propos pédagogique. La première salle constitue un prologue qui illustre succinctement « la légende des Mamlouks qui s’est construite à la fin du XVIIIe siècle » lorsque les derniers Mamlouks, intégrés à l’armée ottomane, ont combattu les troupes de Napoléon au Moyen-Orient. Cette mythologie aux accents orientalistes s’était diffusée dès la fin du XVe siècle grâce à La Légende de Baybars, biographie romancée du premier sultan mamlouk, très célèbre dans le monde arabe. Une chronologie résumée et un focus sur le statut de mamlouk complètent cette introduction. L’exposition évacue donc rapidement l’aspect romanesque des Mamlouks pour entrer dans la réalité de leur règne et des sociétés qu’ils ont contribué à façonner.

En l’absence quasi totale de peintures et de dessins de cette période, les commissaires (Soraya Noujaïm et Carine Juvin) ont construit le parcours avec de nombreux objets en métal ou céramique, et de volumineux manuscrits : les sultans mamlouks ont en effet développé une passion pour les livres enluminés. La scénographie épurée signée BCG évite assez bien l’effet d’accumulation que peuvent produire des vitrines remplies de chandeliers, d’écritoires, de coupes ciselées et de vases en céramique. Chaque objet est clairement présenté avec un cartel détaillé qui rappelle le contexte et l’importance des arts décoratifs et de l’artisanat dans la société mamlouk. C’est le cas pour les plateaux en alliage de cuivre incrustés d’argent où se développe « une symbolique du soleil rayonnant liée à la figure du sultan », selon Carine Juvin, chargée de collections au département des Arts de l’Islam. En regard des vitrines, l’exposition propose plusieurs espaces immersifs qui tirent parti des volumes du hall Napoléon : l’un d’eux contient ainsi des projections sur trois côtés de vues des monuments construits par les Mamlouks, grands bâtisseurs. Il s’agit de donner à voir l’environnement urbain où évoluait la société mamlouk. Cette société multiculturelle est évoquée à travers quelques personnages célèbres (sultans, femmes lettrées), car les commissaires tenaient à « intégrer dans le parcours des biographies individuelles » pour donner un peu de chaleur à une exposition parfois austère.
La scénographie alterne tout au long du parcours un code couleur harmonieux, du rouge foncé au jaune en passant par le vert et le bleu gris, en écho aux couleurs des tissus et des tapis exposés. On note que l’esthétique choisie évite l’orientalisme et les ornements décoratifs, en dehors de quelques motifs de mosaïques simplifiés qui parsèment les cimaises. Cette simplicité frôle la froideur lorsque le parcours multiplie les vitrines de manuscrits, d’autant qu’aucun texte n’est traduit de l’arabe ou du turc, bien que les cartels donnent des informations détaillées. L’art du livre atteint des sommets sous le règne des Mamlouks comme le précise Soraya Noujaïm, qui ajoute que les exemplaires du Coran de cette période avaient « des dimensions monumentales ». Un des exemplaires présentés, d’une beauté indéniable, fait ainsi 74 cm de long et 96 cm de large une fois ouvert ! Plusieurs livres montrent le raffinement extrême des manuscrits de cette période, avec des jeux sur les espaces blancs des pages, des feuilles incisées et des enluminures à la feuille d’or : il est donc frustrant pour les visiteurs de ne pas avoir de traduction, surtout lorsqu’il s’agit des célèbres contes de Kalila et Dimna qui ont inspiré les fables de La Fontaine.
L’exposition n’oublie pas les relations diplomatiques ni les échanges commerciaux, notamment avec l’Inde et l’Europe : textiles, gravures et céramiques illustrent les routes commerciales et les influences réciproques, dans une scénographie assez classique mais fluide. Les deux dernières salles consacrées aux arts décoratifs accumulent panneaux de portes incrustés de nacre, décors en bois et objets en verre pour montrer la richesse de l’environnement quotidien des Mamlouks, mais cet ensemble reste quelque peu désincarné car l’éclairage est trop sombre sur les pourtours de la salle. Par son volume, cette salle écrase les petits vases en verre ou céramique exposés, dont le raffinement mériterait plus de lumière. L’exposition se conclut par le Baptistère de Saint Louis (voir ill.), objet exceptionnel entré dans les collections royales françaises au XVe siècle et dont l’origine reste mystérieuse (Syrie ou Égypte, 1330-1340). Les motifs incrustés d’argent sont présentés dans des vitrines qui bordent l’espace circulaire autour du baptistère, pour un effet immersif réussi grâce à l’éclairage très travaillé.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°656 du 23 mai 2025, avec le titre suivant : Au Louvre, l’art et la culture mamlouks





