Antiquité

Palais des beaux-arts jusqu’au 17 janvier 2016

Au commencement est l’Anatolie

Europalia, Bruxelles (Belgique)

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · L'ŒIL

Le 18 novembre 2015 - 556 mots

Du haut du mont Taurus douze millénaires vous contemplent, semblent nous susurrer ces déesses-mères néolithiques aux seins généreux modelées dans l’argile ou ces effigies masculines ithyphalliques d’une force plastique saisissante.

Depuis la nuit des temps, l’Anatolie (dont l’étymologie signifie « Orient, pays du Levant ») est bel et bien le berceau de cultures dont le degré de sophistication et d’ingéniosité laisse pantois. N’est-ce pas dans ces confins actuellement troublés par la barbarie des hommes qu’est né l’un des plus anciens sanctuaires de l’humanité ? C’est probablement aux alentours du Xe millénaire avant notre ère que fut édifié, à quelques encablures de l’actuelle frontière turco-syrienne, le centre cultuel de Göbekli Tepe. Soit une série de vastes bâtiments dont les piliers monolithiques en forme de « T » portent, gravés sur leurs flancs, d’énigmatiques représentations d’animaux, le sexe en érection… C’est quelques-unes des pistes fascinantes qu’explore l’exposition « Anatolia », présentée au Palais des beaux-arts de Bruxelles, dans le cadre d’Europalia. À travers plus de deux cents pièces (dont certaines ne sont même pas exposées en Turquie), le parcours rompt ainsi avec la sempiternelle présentation chronologique pour tenter de cerner ce qui constitue la colonne vertébrale des civilisations qui se sont succédé sur cette même terre : la conception du cosmos, le rapport à la nature, le monde des dieux, l’intervention du sacré dans le monde profane.

S’il peut parfois être décontenancé par le télescopage des époques et des styles (pour illustrer le thème de l’eau, une maquette de fontaine d’époque ottomane côtoie ainsi des représentations de fleuve d’époque gréco-romaine…), le visiteur se sent vite happé par la pertinence des correspondances et ce sentiment vaguement angoissant que, depuis des millénaires, on est, hélas, passé de la civilisation à l’obscurantisme. Comment ne pas s’extasier, en effet, devant le joli minois de cette petite figurine féminine de la deuxième moitié du VIe millénaire avant notre ère ? Les yeux fendus en amande et le nez retroussé, elle est l’expression même de la sensualité et de la grâce. Aux antipodes, se dressent ces effigies hiératiques de prêtres au crâne rasé, que les archéologues ont découvertes dans les entrailles des lieux de culte. Comme les deux facettes d’une même civilisation ?

La fascination pour les forces de la nature, souvent imprévisibles et violentes, s’incarne, quant à elle, dans ces effigies d’époque hittite (XIVe-XIIIe siècle av. J.-C.) représentant le dieu de l’orage, comme dans ces vases cultuels baptisés bibrus, en forme de taureau. Les Minoens n’adoraient-ils pas, eux aussi, cet animal farouche au point de forger cet être hybride qu’est le Minotaure ? Mais, s’il est une déité qui traversera les millénaires et les cultures, c’est bien Artémis. Tantôt civilisatrice, tantôt sauvage, elle est la déesse des marges, la « maîtresse des animaux », celle que l’on adore, à Éphèse, sous l’apparence d’une jeune femme sévère, la poitrine recouverte de testicules de taureaux sacrificiels, d’œufs ou de seins – les opinions divergent. La déesse néo-hittite Kubaba renaîtra, quant à elle, à l’époque gréco-romaine sous les traits de Cybèle, la protectrice de Rome. La révolution esthétique la plus radicale viendra cependant de l’Islam. Bannissant toute représentation anthropomorphe pour incarner le divin, les artistes useront alors de fins stratagèmes visuels, telles ces calligraphies (joliment baptisées par le commissaire « portraits verbaux ») ou ces empreintes de pied qui font irrésistiblement penser à celles de Bouddha…

« Anatolia »

Palais des beaux-arts, rue Ravenstein 23, Bruxelles (Belgique), www.bozar.be

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°685 du 1 décembre 2015, avec le titre suivant : Au commencement est l’Anatolie

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