Art contemporain

VIDÉO

Arthur Jafa tout en puissance

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 21 septembre 2022 - 656 mots

À Luma Arles, les vidéos, photos et sculptures de l’artiste afro-américain séduisent sans emporter tout à fait.

Arles (Bouches-du-Rhône). Luma Arles présente depuis avril la première rétrospective d’Arthur Jafa (né en 1960 au Mississipi) en France et offre à l’artiste américain des espaces importants, un an après sa monographie d’envergure au Louisiana Museum (Danemark). Ses œuvres occupent en effet pas moins de 1 500 mètres carrés répartis entre la Mécanique générale et la Grande Halle du parc des Ateliers. Deux lieux distincts donc pour une exposition qui ne laisse pas indifférent. D’abord par son propos : le titre, « Live Evil » (« Le mal vivant »), inspiré de celui de l’album de Miles Davis en 1971, synthétise la dualité constante dans l’œuvre de Jafa, entre la situation des Noirs dans la société américaine et la force créatrice de la culture noire. L’artiste a associé par ailleurs divers médias dans les espaces de Luma, dans une volonté de juxtapositions et chocs visuels qui produit son effet. Du moins dans sa première partie, à la Mécanique générale.

L’entrée de l’exposition donne le ton avec, côte à côte, les portraits de Miles Davis jeune et du guitariste chanteur de blues Robert Johnson ; ils sont placés face à un papier peint surdimensionné montrant un groupe d’enfants noirs faisant en 1899 le salut d’allégeance au drapeau américain. Le geste est alors similaire au salut bras et main droite tendus que les fascistes italiens et les nazis emploieront plus tard. La vidéo qui suit, TheWhite Album (2018), montage de séquences filmées et d’images fixes, est tout autant percutante dans ses rapprochements visuels dénonçant les privilèges que confère le fait d’être blanc dans la société américaine. Ce film lui a d’ailleurs valu le Lion d’or du meilleur artiste de la sélection internationale de la 58e Biennale de Venise en 2019.

Enfant, Jafa découpait des images dans des livres ou des magazines pour construire ses propres récits. Aujourd’hui des archives d’images et de films de toutes sortes trouvées sur Internet constituent la matière première de ses vidéos sonores dénuées de tout commentaire, vidéos à la fois incisives et séduisantes qui font la renommée de cette figure de la subculture américaine. Leur auteur dit vouloir « faire un cinéma qui contiendrait toute la puissance, la beauté et le désespoir de la musique noire ».

Cinq vidéos sont présentées à Luma Arles dont AGHDRA (2021), un film d’animation numérique de 85 min évoquant un monde après l’homme symbolisé par un soleil se couchant sur un océan chargé de blocs synthétiques, images accompagnées d’un fond musical soul et RnB.

Des sculptures un peu trop littérales

Dans cette rétrospective qui se qualifie de « présentation la plus complète », fait toutefois défaut le film Love is The Message, The Message is Death, une de ses pièces emblématiques, vidéo de 7 minutes datée de 2016 sur la culture et la condition des Noirs aux États-Unis. Celle-ci a été pourtant la pièce centrale de son premier solo show organisé la même année par la Gavin Brown’s enterprise, à New York, qui lui valut d’être invité à exposer dans des musées de renom dont le MoCA à Los Angeles et la Serpentine à Londres.

La reconnaissance du milieu de l’art contemporain, via la Gladstone Gallery (New York, Bruxelles), est en effet récente. Elle est arrivée tardivement, passé largement la cinquantaine pour ce directeur de la photo qui a travaillé avec des réalisateurs comme Spike Lee, Stanley Kubrick ou Julie Dash. Aussi la rétrospective d’Arles se concentre-t-elle sur les productions des quatre dernières années. Si les photographies dénoncent, de manière tout aussi efficace que les films, le décalage entre le statut des stars noires (musicales surtout) et le statut ou traitement infligé, hier et aujourd’hui, aux Afro-Américains, les sculptures monumentales et les séries de découpes surdimensionnées représentant diverses figures (également surtout musicales) sont bien moins convaincantes car trop littérales dans leur dénonciation. De même, l’installation monumentale de AGHDRA, à la Grande Halle, se suffisait bien à elle seule.

Arthur Jafa, Live Evil,
jusqu’au 13 novembre, Luma Arles, Mécanique générale et Grande Halle, parc des Ateliers, 35, avenue Victor-Hugo, 13200 Arles, www.luma-arles.org

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°595 du 23 septembre 2022, avec le titre suivant : Arthur Jafa tout en puissance

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