Monographie

Arp dans tous les sens du terme

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 6 janvier 2009 - 773 mots

L’artiste n’avait pas bénéficié d’une rétrospective en France depuis plus de vingt ans. Le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, sa ville natale, vient réparer cette injustice.

STRASBOURG - Méditant sur cette anti-définition due à Marcel Duchamp, l’exposition « Art is Arp » au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg retrace le portrait en nuances de l’artiste franco-allemand plus de vingt ans après sa dernière rétrospective en France. Insaisissable car traversant les courants d’avant-garde avec la même fluidité qu’il passe d’une discipline à l’autre, Arp, tantôt Jean ou Hans, personnalité singulière et ambiguë de l’histoire de l’art, n’en fut pas moins une figure majeure. Le parcours orchestré par la commissaire Isabelle Ewig ne manque pas de le rappeler au fil des vitrines qui distillent les indices de ses rencontres avec les artistes du Blaue Reiter à Munich, ceux du Cabaret Voltaire à Zurich avec lesquels il fonde Dada en 1916, puis le surréalisme ou encore avec l’abstraction, notamment dans sa collaboration avec Theo Van Doesburg pour les décors de l’Aubette. Rouvertes au public depuis octobre, les salles qui subsistent de cette maison de loisirs inaugurée en 1928 à Strasbourg, témoignent des aspirations utopiques qui ont pu animer l’art de Jean Arp dans l’entre-deux-guerres. Les murs qui ont recouvré leurs motifs géométriques et leurs couleurs vives chuchotent encore l’espoir de construire un homme nouveau devant l’imminence du chaos. Passant d’une série de nus cézanniens aux prodigieux reliefs Dada en bois flotté, la première salle  de l’exposition pointe la violence de la rupture avec l’esthétique classique. Elle s’exprime d’abord dans le rejet des matériaux nobles, pour s’accommoder de papiers ou bouts de bois dont l’assemblage ouvre naturellement la voie vers l’abstraction. L’acte radicalement moderne opère dès la composition que Jean Arp dit déléguer aux lois du hasard et à l’inconscient dès les années 1930. Cette spontanéité créatrice, comme un geste vital, s’illustre autant dans le collage, le relief ou la sculpture que dans le dessin et la poésie, ou encore la broderie et la peinture murale. L’exposition insiste sur cette pluridisciplinarité, nouvel indice d’un état d’esprit résolument moderne, engagé dans le décloisonnement des arts et l’abandon de leur hiérarchie, dans un rêve d’art total. Enfin, Arp s’emploie à déplacer la figure de l’auteur, acte visionnaire qui mène à la délégation du faire ou aux expériences de création collective comme les Sculptures conjugales réalisées avec Sophie Tauber-Arp, ou le fascinant Album de Grasse, lithographies à huit mains produites pendant la guerre. En ce sens, la tautologie de Duchamp, « Art is Arp », décrirait-elle littéralement la redéfinition radicale de l’art qu’entreprit ce dernier ? Mais la formule court-circuitée appelle aussitôt la frustration d’une non-définition.

Un monde autoréférentiel
Elle semble en effet poser une énigme, celle d’une figure solitaire malgré son investissement dans tous les groupes d’avant-garde, s’en étant à chaque fois échappé pour éviter les querelles internes. En marge, donc, Arp a réinventé l’art en se créant un monde, autoréférentiel, où la poésie dialogue avec les arts plastiques, comme lorsque le personnage de Kaspar ist tot prend forme sur les pages illustrées avant de prendre vie dans un portrait de bronze. Concentrique, cet univers gravite autour de l’œuf ou du nombril, signe de référence du langage-objet élaboré dans les années 1920 puis répertorié dans l’encyclopédie arpadienne (1957). Les formes évoquant la nature, l’homme ou les objets naissent par déformation de cette matrice, élément originel de la vie. Ainsi l’hybridation de ce vocabulaire essentiel à la surface des reliefs (Bouteille à nombril) indique-t-elle déjà une conception du monde empreinte des mythes de la métamorphose. L’homme moderne absorbé par la nature ne fait désormais plus qu’un avec elle. Dans la mythologie de Jean Arp, les sculptures de plâtre commencées dans les années 1930 s’autogénèrent, poussent comme des branches ou des stalagmites. Bientôt la main de l’artiste donne naissance à de nouveaux objets naturels, ni copies, ni abstractions : ils sont « concrets ». « Nous voulons produire comme une plante qui produit et ne pas reproduire », insistait Arp. Ces « concrétions » sont présentées dans la dernière salle dont la grande verrière ouvre sur la place Jean-Arp, le socle qui les réduirait à de simples sculptures a disparu. Sur une grande estrade, elles sont disposées comme une collection de fossiles qui contiendrait dans le plâtre, le bronze ou le bois cette formule secrète : « Art is Arp ».

ART IS ARP, jusqu’au 15 février 2009, Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, 1, place Jean-Arp, 67076 Strasbourg, tél. 03 88 23 31 31, www.art-is-arp.com, mardi-vendredi 12h-18h, jeudi 21h, samedi-dimanche 10h-18h. Catalogue éd. Musées de la Ville de Strasbourg, 348 p., 52 euros, ISBN 978-2-35125-065-5.

ART IS ARP

Commissariat : Isabelle Ewig, maître de conférences en histoire de l’art à l’Université Paris IV
Nombre d’œuvres : 180
Nombre de salles : 15

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°294 du 9 janvier 2009, avec le titre suivant : Arp dans tous les sens du terme

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