Anvers exhume le Naturalisme

Un moment fondamental de l’art européen ?

Le Journal des Arts

Le 1 décembre 1996 - 543 mots

Si le Symbolisme fait un retour manifeste et parfois contestable, la Naturalisme reste le parent pauvre des expositions et des livres tant cette peinture paraît peu attractive, avec son sens parfois pesant du réalisme et son obsession à dresser la peinture en témoignage social.

ANVERS (de notre correspondant) - Le pari relevé par le Musée des beaux-arts d’Anvers est courageux. À ce jour, le Naturalisme passe mal auprès du grand public et attire peu l’attention des chercheurs. Pourtant, à parcourir l’exposition, on découvre la richesse d’un mouvement qui a constitué une lame de fond de la culture européenne. Au Réalisme, qui postule une réforme de la pratique picturale basée sur la remise en question des valeurs attachées à la tradition du réel, le Naturalisme succède en assignant à la représentation de la réalité quotidienne une dimension critique, qui conduit le peintre à faire de chaque toile un engagement à l’égard d’un certain état de la société. Ainsi, dans le sillage de Courbet, la représentation mimétique de ce que l’on voit ici et maintenant se double d’un devoir moral : il faut désormais porter un regard personnel et critique sur le monde. De là ces tranches de vie, étalées souvent en poncif et qui sont prétexte à revisiter la tradition – qu’elle soit flamande ou hollandaise – pour rendre truculent l’instant présent.

Drame social en action
À côté de ce réalisme de convention qui trouve dans la photographie un modèle, la peinture naturaliste est aussi un engagement. Le réel avait été monumentalisé par Courbet. Il est désormais érigé en principe politique : de Meunier aux véristes italiens, le spectacle du monde du travail évoque également les images de la douleur et de la misère. L’essentiel du Natu­ralisme réside dans cette capacité nouvelle de peindre la société dans sa crudité et dans ses contradictions. Témoin objectif, le peintre est aussi un homme dont l’engagement donne à la simple représentation du réel une dimension personnelle de plus en plus marquée. L’Expres­sionnisme (Barlach, Kollwitz…) se profile entre recherche d’une formulation personnelle et volonté de témoigner d’un drame social en action. Ainsi, les témoins privilégiés d’un progrès mythique en deviendront les principaux critiques. L’histoire se referme dans une mise en abîme dont le principe même de réalité sortira ébranlé.

Par son ambition, l’exposition ne peut que conduire à des lacunes. On regrettera tel ou tel absent, on discutera tel ou tel choix. L’es­sentiel n’est pas là. Il réside dans ce premier effort pour restituer au Naturalisme sa perspective historique entre Réalisme et Expres­sionnisme. Il faudra encore bien des études et d’autres expositions pour rendre à ce mouvement artistique sa densité et sa complexité. Avoir choisi la Belgique comme point d’ancrage à partir duquel déployer un réseau européen se révèle une bonne solution tant les personnalités, de Constantin Meunier à Eugène Laermans en passant par Léon Frédéric, y furent prolixes et inventives. Il faudra désormais repenser le Naturalisme dans sa globalité, cette exposition nous en dé­mon­tre l’éternelle actualité.

LE NATURALISME EN BELGIQUE ET EN EUROPE 1875-1915, jusqu’au 16 février, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Anvers, tlj sauf lundi 10h-17 h, mercredi 10h-21h. Entrée : 200 à 100 FB. Ouvrage publié en néerlandais et en français par les éditions Ludion, 240 p., 1 200 FB. Informations : 03-238 78 09.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°31 du 1 décembre 1996, avec le titre suivant : Anvers exhume le Naturalisme

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