Antioche, la ville-monde

La cité antique se transporte aux États-Unis

Le Journal des Arts

Le 3 novembre 2000 - 819 mots

Avec Rome, Alexandrie et Constantinople, Antioche, capitale de la province syrienne, fut l’une des quatre grandes cités du monde romain. À travers 166 œuvres, l’exposition que lui consacrent trois musées américains évoque aussi bien la splendeur des demeures aristocratiques que l’infinie diversité des peuples et des religions qui s’y côtoyaient.

WORCESTER - L’histoire de la quête d’Antioche est celle d’une archéologie ancienne et révolue, d’une époque où l’argent et les connaissances techniques de l’Occident pouvaient acheter des œuvres d’art inestimables à des pays disposant d’un riche patrimoine archéologique mais de trop peu de moyens pour financer des fouilles. Ce type de collaboration, connue sous le terme de partage, est à l’origine de nombreuses grandes collections d’antiquités en Europe et aux États-Unis. Même si quelques pays pratiquent encore le partage aujourd’hui, le concept n’est plus de saison. En 1932, une équipe d’archéologues français et américains, renforcée en 1936, a commencé des fouilles dans le nord-ouest de la Syrie à la recherche de l’antique Antioche, capitale de la Syrie romaine.

Ils recherchaient des vestiges architecturaux. Certains écrivains de l’Antiquité ont décrit l’opulence d’édifices tels l’église octogonale dorée de Constantin, l’église circulaire de la Vierge de Justinien, le palais impérial et son forum et enfin le marché, grande avenue bordée de portiques. Cependant, les archéologues ont vite découvert que le cœur de la cité antique et ses grands bâtiments publics étaient recouverts par la ville moderne d’Antakya et reposaient sous plusieurs couches de limon. Impossible de les atteindre.

Malgré cette déconvenue initiale et l’impatience croissante des pourvoyeurs de fonds, les archéologues ont, peu de temps après, découvert une zone résidentielle aux abords de la cité antique. Et les richesses ont commencé à sortir de terre : reliefs de monuments funéraires et de tombes, statues de dieux et d’hommes, statuettes de la Tychè d’Antioche (déesse personnifiée représentant la ville), bijoux, inscriptions grecques, latines et byzantines et une grande quantité de vaisselle. Mais la découverte la plus spectaculaire reste celle des villas qui ont révélé “une extraordinaire concentration de mosaïques”, dont 300 ont pu être mises au jour. 50 % des objets découverts sont restés à Antakya et ont été placés dans un musée spécialement construit afin de les accueillir, tandis que l’autre moitié a été répartie entre les différents musées ayant financé les fouilles. En 1939, le début de la Deuxième Guerre mondiale puis l’annexion de la région par la Turquie, ont mis un terme aux fouilles. Le chantier n’a jamais été rouvert.

Un creuset de cultures
Quittant le Louvre pour la première fois, la grande mosaïque du Jugement de Pâris côtoie cinq autres mosaïques, avec lesquelles elle a été découverte dans la salle à manger de la maison, dite “de l’Atrium”. Cette salle de réception du IIe siècle a été spécialement reconstituée pour l’exposition et met en exergue les goûts sophistiqués et extravagants de l’aristocratie locale. Dès leur entrée, les visiteurs de l’exposition découvrent trois panneaux de mosaïques : le concours des buveurs, au centre, flanqué d’une ménade en train de danser et d’un satyre. La salle à manger fait face à une cour, également reconstituée, avec un bassin de fontaine et trois niches pour recevoir les statues.

Fondée en 300 av.  J.-C. par Séleucos Nicator, général d’Alexandre le Grand, Antioche est occupée par les Romains en 64 avant J.-C. et devient la capitale de la province romaine de Syrie. À son apogée au IVe siècle, la cité s’étend sur 5 km2 et compte 500 000 habitants de langue grecque. Elle joue un rôle important dans la formation de la communauté des premiers chrétiens. C’est depuis Antioche que les missions de saint Paul, saint Pierre, et saint Barnabé sont lancées. Mais la cité devient également un creuset de cultures et de confessions différentes. Une partie de l’exposition est consacrée à la variété de cultes et de confessions coexistant dans la cité : on pourra y voir aussi bien des statues de dieux de l’Olympe, de dieux syriens locaux, d’empereurs romains déifiés, que des statues de dieux importés tels la déesse égyptienne Isis et le dieu perse Mithra. Libanios, grand orateur, philosophe et professeur du IVe siècle, a décrit la diversité de la cité lors du discours d’ouverture des jeux Olympiques d’Antioche en 363 : “Si un homme décidait de voyager dans le monde entier avec l’idée non pas de voir l’apparence des villes mais avec celle de comprendre leurs mœurs, Antioche lui suffirait et lui éviterait un long voyage. Qu’il s’asseye sur la place de notre marché et il verra toutes les villes : il trouvera des gens venus de partout avec lesquels il pourra parler.”

- ANTIOCHE, LA CITÉ ANCIENNE PERDUE, jusqu’au 4 février 2001, Museum of Art, Worcester (Massachusetts), tél. 1 508 799 4406, tlj sauf mardi 11h-17h, www.worcester.org. Catalogue, 253 p., 29,95 $. Puis, Cleveland (Ohio), Museum of Art, du 18 mars au 3 juin 2001 ; et Baltimore (Maryland), Museum of Art, du 16 septembre au 30 décembre 2001.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°114 du 3 novembre 2000, avec le titre suivant : Antioche, la ville-monde

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