Années 40 : le retour en grâce des décorateurs

Le Centre culturel de Boulogne présente les meubles et objets d’art de vingt et un créateurs

Le Journal des Arts

Le 18 décembre 1998 - 664 mots

À l’écart du courant moderne, des décorateurs se sont attachés, dans les années quarante, à faire vivre et évoluer une tradition décriée par ailleurs. Réhabilités dans les galeries et surtout copiés sans vergogne par les designers depuis une quinzaine d’années, vingt et un de ces créateurs, incarnant des courants pour le moins variés, sont au cœur d’une exposition à Boulogne.

BOULOGNE-BILLANCOURT. Les expositions consacrées au mobilier sont suffisamment rares – hors galeries s’entend – pour qu’on y prête attention ; a fortiori quand elles mettent en valeur un courant longtemps ignoré de l’histoire de l’art moderne, mais pas des designers. Avec “Les décorateurs des années 40”, Boulogne prend la suite de Beauvais qui, l’an dernier, avait présenté les commandes du Mobilier national sous la IVe République. Ce regain d’intérêt, auquel les marchands ont largement contribué, se manifeste depuis la fin des années soixante-dix et a déjà permis de distinguer les personnalités les plus singulières : André Arbus, Emilio Terry, Jean Royère... Reste les Adnet, Quinet, Roche, Poillerat, Moreux ou Drouet. Ce n’est pas le moindre des mérites de cette exposition que d’offrir un tel panorama de tous ces artistes et des courants qu’ils incarnent. On y trouve aussi bien le Louis XVI revisité par Arbus que le modernisme chic de Dupré-Lafon, le purisme de Du Plantier ou le baroque miroitant de Roche. S’il faut absolument trouver un point commun à des créations aussi différentes, sans doute affleure-t-il dans un goût partagé pour les matériaux les plus variés, le raffinement le disputant à l’insolite : laque de Quinet, miroirs de Roche, cuir d’Adnet, fer forgé de Poillerat, peluche de Royère... Si nombre des artistes présents ici sont passés par l’atelier de Ruhlmann, la plupart s’efforcent de dépasser l’Art déco pour tendre vers des créations plus fantaisistes, ou plus aimables.

Des ensembles dispersés
Les pièces réunies, sans cohérence apparente, n’évoquent qu’imparfaitement les vastes ensembles décoratifs conçus à la demande d’une clientèle fortunée. Les quelques reproductions d’intérieurs photocopiées qui jalonnent le parcours ne sont pas de nature à donner une idée juste de la monumentalité des réalisations originales. Et la dispersion de ces décors rend difficile toute reconstitution, qui plus est dans un espace comme le Centre culturel de Boulogne. Toutefois, il a été possible de rassembler les divers éléments composant la salle à manger de Marc du Plantier, à Boulogne même : la massive table de marbre, les chaises en chêne cérusé, les consoles au lotus en bronze patiné et ses propres peintures murales aux tons froids recréent l’atmosphère pour le moins étrange de cet intérieur. Face aux meubles rococo à miroirs de Serge Roche, c’est plutôt la splendeur des productions hollywoodiennes d’avant-guerre qui vient à l’esprit. Quant aux chaises de bridge d’Emilio Terry, dont les dossiers représentent successivement un as de pique, de cœur, de carreau et de trèfle, elles semblent directement sorties d’Alice au pays des merveilles. Le décor figuré fait un retour en force dans ces années quarante, notamment grâce au renouveau du style Louis XVI, “le plus français qui soit” selon Arbus. Dans l’ouvrage publié pour l’occasion, Bruno Foucart explique que “l’actualité du style Louis XVI est précisément dans la manière dont ce style sut en son temps se dégager de la copie, celle de l’antique, pour retrouver l’essentiel du message classique : un art porté par l’entente des proportions humaines”. Plus qu’une réaction ou un retour à la tradition nationale, l’art de ces décorateurs exprime, à partir de 1937, l’aspiration à une synthèse raisonnable, renouant avec un équilibre bouleversé par les révolutions des premières décennies du siècle. Il s’agissait en quelque sorte de marier purisme et humanisme, rationalisme et élégance. Regrettons que l’exposition ait quelque peu négligé l’arrière-plan culturel dans lequel s’inscrivent ces décorateurs.

LES DÉCORATEURS DES ANNÉES 40

Jusqu’au 16 janvier, Centre culturel, 22 rue de la Belle-Feuille, 92100 Boulogne-Billancourt, tél. 01 55 18 45 65, tlj sauf dimanche 9h-21h. Catalogue par Bruno Foucart et Jean-Louis Gaillemin, éditions Norma, 304 p., env. 350 ill., 395 F. jusqu’au 16 janvier, 495 F. ensuite.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°73 du 18 décembre 1998, avec le titre suivant : Années 40 : le retour en grâce des décorateurs

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