Andy Warhol, le mythe ébranlé ?

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 20 octobre 2015 - 858 mots

Parallèlement à l’exposition « Warhol Unlimited » du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Victor Bockris, ancien membre de l’entourage de Warhol, publie en français sa biographie de « référence » de l’artiste, où l’homme domine l’œuvre.

Expositions et projets éditoriaux n’en finissent plus de s’intéresser à Andy le magnifique et le machiavélique, l’homme qui se cache derrière la marque Warhol. Ainsi le Centre Pompidou-Metz montre-t-il des photographies prises par David McCabe, 24 ans en 1964, jeune professionnel que Warhol appela pour documenter sa vie. Rien de moins, et déjà une haute conscience de son personnage. Et puis cette obsession de ne rien laisser filer, lui qui constitua des Time Capsules à partir de 1974 – elles ont été exposées au Mac de Marseille l’hiver dernier. Pendant un an, McCabe deviendra l’ombre photographique de Warhol, couvrant les débuts de la Silver Factory, captant des rencontres avec Mick Jagger ou Salvador Dalí, l’entourage des muses comme des parasites. À l’époque, le projet éditorial ne retiendra pas l’attention des éditeurs, l’artiste n’étant pas assez connu. Ce n’est qu’en 2003 que Phaidon publiera avec le Musée Warhol de Pittsburgh (qui avait fait l’acquisition des négatifs auprès de McCabe) le désormais fameux A Year in the Life of Andy Warhol.

Le corps ausculté
Très récemment, en octobre, à Londres, à la galerie Serena Morton, sortait le livre de Billy Name, The Silver Age, en même temps que des photographies étaient exposées. L’ouvrage compile pas moins de quatre cents photographies de l’âge d’or warholien et moult témoignages des anciennes gloires. Billy Linich, de son vrai nom, fut le décorateur à l’origine du recouvrement argenté de la Factory en 1964. Éclairagiste à l’époque, il sut se rendre indispensable aux yeux de Warhol, assumant les fonctions de photographe, architecte, secrétaire, archiviste, régisseur, garde du corps, gardien de nuit, électricien, directeur de casting et, accessoirement, amant. Lui aussi captera l’essence de la Silver Factory entre 1964 et 1968.

Billy Name est un personnage peu apprécié, semble-t-il, par Victor Bockris, l’auteur de Warhol, la biographie sortie en 2003 et traduite aujourd’hui en français. Publiée fin septembre, Warhol fait à la fois le récit fouillé de l’enfance d’Andy à Pittsburgh (pauvre, maladive, confinée) et celui de la brillante construction sociale et artistique du mythe Warhol. Bockris, membre de l’entourage de Warhol à partir des années 1970, avait travaillé pour la revue Interview que l’artiste avait fondée en 1969 avec John Wilcock. Il s’est notamment forgé une réputation pour sa connaissance de la contre-culture (de Burroughs à Lou Reed en passant par Blondie). À la suite de The Life and Death of Andy Warhol publié en 1989 pour lequel Bockris avait déjà collecté une multitude de témoignages de proches et connaissances, la biographie cherche l’exhaustivité, jusqu’à l’impudeur. Celle-ci est frappante à tel point que certains détails (notamment sexuels) l’emportent sur la vision artistique. Une démarche racoleuse ?

Bockris n’a d’ailleurs pas toujours de la tendresse pour son sujet. Certes, il s’agit d’une biographie et non d’une monographie, et c’est le corps de Warhol qui est ici exhumé et non son œuvre qui est auscultée. Par ailleurs, Bockris n’a pas l’art d’un Bernard Marcadé tissant la vie et l’œuvre de Duchamp. La façon dont est construit l’ouvrage laisse parfois perplexe, notamment à propos des sources de l’auteur dont on ignore s’il s’agit de matériaux de première main ou de propos rapportés. Et entre ragot et confidence privilégiée, la frontière semble souvent mince. Si David McCabe avait confié à la presse cet été : « Je ne raconterai pas les anecdotes les plus salaces », Bockris n’a pas cette pudeur. Il parle de tout, par le menu. En complément, l’ouvrage se targue de rassembler quelque quatre-vingts images inédites, mais leur pauvre impression a aussi de quoi surprendre, le papier mat ne rendant pas justice à son sujet.

Ce qui est frappant dans la plupart de ces projets, c’est la fascination qu’exerce encore aujourd’hui le personnage Warhol et la complexité de sa personnalité. L’obsession aussi de ne pas se satisfaire de ce que l’artiste a façonné méticuleusement pour son public et de vouloir toujours faire le récit du véritable Andy, comme si les auteurs cherchaient à psychanalyser le défunt, à la manière de Marilyn qui avait inspiré à Michel Schneider le roman Marilyn Dernières séances. L’obsessionnel Warhol génère des obsessions tenaces. D’ailleurs, Hervé Vanel, commissaire de l’exposition au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, commence son texte « Mauvais genre », publié en introduction du magnifique catalogue Warhol Unlimited, par une plongée dans les tréfonds de la structure comportementale de Warhol avant de s’attaquer à son œuvre.

L’homme Warhol domine l’œuvre, avec le risque de poser une lecture trop autobiographique de la production, de faire des œuvres des symptômes d’une névrose ou d’un traumatisme. Et sa silhouette comme ses attitudes, quasiment logotypes, continuent de foisonner sur les couvertures des ouvrages et d’en hanter les pages. L’homme derrière l’image, alors même que Warhol avait érigé une muraille iconographique pour mieux se protéger, l’homme derrière le discours, millimétré, reste le Graal des lecteurs comme des auteurs. Et malgré tous ses efforts, Bockris lui aussi laisse un pan du mystère intact.

Victor Bockris, Warhol. La biographie, Éditions Globe, 560 p., 29 €.

Billy Name, The Silver Age, Real Art Press, 2015, 448 p., 60 £.

Hervé Vanel (sous la dir. de), Warhol Unlimited, Paris Musées, 235 p., 44,90 €.

Légende photo
Andy Warhol devant son papier peint Cow, 1965 © Photo : Steve Schapiro/Corbis

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°684 du 1 novembre 2015, avec le titre suivant : Andy Warhol, le mythe ébranlé ?

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