À Meaux, une exposition rend hommage à la Marquise de Maillé, mais elle passe sous silence ses convictions politiques à l’origine de son engagement.

Meaux (Seine-et-Marne). Une activiste qui utilise sa notoriété et sa plume, ainsi qu’un brin de catastrophisme, pour alerter sur l’état du patrimoine religieux. Forte d’un vaste réseau qui lui fait remonter les situations d’urgence sur le terrain, elle n’hésite pas à recourir aux levées de fonds pour sauver les monuments en péril : si elle n’était pas au féminin, cette description pourrait correspondre à des figures actuelles des causes patrimoniales. Mais c’est bien de la Marquise de Maillé (1896-1972), une précurseure des méthodes de ce qu’on appelle le « combat patrimonial », dont il s’agit, et pour laquelle le Musée Bossuet de Meaux consacre une exposition.
Cette personnalité active de l’entre-deux-guerres jusqu’à son décès en 1972 n’est pourtant pas encore pleinement intégrée à l’histoire du patrimoine français. Injustement, comme le montre le parcours meldois, tant ses méthodes pour alerter et mobiliser ont fait école. Riche de documents d’archives originaux, il déploie ainsi des tracts annonçant le lancement de souscriptions pour sauver telle ou telle église rurale.
L’exposition épouse un déroulé biographique assez classique, et bienvenu pour présenter cette personnalité étroitement liée à l’association La Sauvegarde de l’art français, et au mouvement patrimonial des années 1920-30, lorsque l’aristocratie et les élites françaises s’emparent de la cause des monuments en péril. Des teintes roses et mauves introduisent son éducation aristocratique et la passion des combats patrimoniaux, suivies d’une palette d’un bleu studieux pour revenir sur l’apport scientifique et l’héritage de la marquise. Le parcours est bien séquencé et agréable à visiter.

La diversité des sources archivistiques présentées (relevés, articles de presse, documents de propagande), comme des objets (dont certains trésors nationaux sauvés par Aliette de Maillé) font de l’exposition un peu plus qu’un parcours biographique, et les petites vitrines sur pied évoquent subtilement l’âge d’or des sociétés savantes.
Le discours porté par les textes de salles est quelquefois empreint d’un élan lyrique, qui glisse en fin d’exposition vers une hagiographie, ce qui soulève la question de la distance critique entretenue avec le sujet. Son travail est présenté à travers le prisme restreint de son entourage direct (La Sauvegarde de l’art français, son ami Jean Hubert par exemple), sans être replacé dans une perspective plus large sur l’évolution de la notion de patrimoine, avant, pendant et après elle.
Plus dérangeant, une part importante de sa vie est quasiment passée sous silence : son engagement au sein du mouvement royaliste de l’Action française, et sa proximité avec le théoricien d’extrême droite antisémite Charles Maurras, qui avait sa chambre au sein du château de La Motte-Tilly, demeure de la marquise. Une proximité certainement gênante pour qui souhaite réhabiliter l’action d’Aliette de Maillé, mais impossible à ignorer si l’on prétend l’aborder comme un objet d’histoire. Ce point n’est évoqué que brièvement, en quelques mots sur un cartel. Il est pourtant central pour comprendre l’engagement de la marquise, et les restrictions fortes qu’elle pose dans sa conception du patrimoine, ne s’intéressant quasi exclusivement qu’aux églises et cloîtres en péril.
Son combat trouve une généalogie intellectuelle ancrée à l’extrême droite, citant directement La grande pitié des églises de France de Maurice Barrès sur ses tracts, et imputant nombre de maux patrimoniaux à la loi de 1905. Une accusation d’ailleurs reprise sans guillemets dans les textes de salles, bien qu’un siècle de recul tempère grandement cette affirmation (en comparaison avec les autres pays européens). De même, la notion de « beauté » que mobilise sans cesse la marquise, et qui est un marqueur politique important dans cette période d’avant-gardes, n’est pas interrogée. L’erreur dont est coupable ce parcours est finalement assez banale : ne pas voir dans le patrimoine un objet politique, même quand les signes qu’il l’est éminemment sont évidents et manifestes.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°660 du 5 septembre 2025, avec le titre suivant : Aliette de Maillé, protectrice engagée du patrimoine français





