Invitation

Alechinsky chez Matisse

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 15 février 2017 - 692 mots

La maîtrise de l’estampe, le goût du livre et le rapport à l’écriture structurent l’exposition de ce membre du groupe CoBrA au Cateau-Cambrésis.

LE CATEAU-CAMBRESIS - Le Musée départemental Matisse au Cateau-Cambrésis (Nord) a pour coutume de proposer des expositions temporaires en lien avec au moins l’une des trois donations majeures (Matisse, Auguste Herbin et Tériade) qui constituent son fonds. En invitant Pierre Alechinsky cet hiver, Patrice Deparpe, le directeur du lieu, fait coup double : celui qui fut l’un des membres clé du groupe CoBrA (de 1949 à 1951), « belge par distraction » comme il aime à le répéter – c’est-à-dire par oubli de modifier sa carte d’identité –, a toujours aimé travailler autour du motif, à l’image de Matisse. Il s’est aussi toujours passionné pour les livres, ce qui fait écho aux 27 ouvrages conservés par le musée, édités par Tériade et illustrés par Picasso, Matisse, Giacometti, Chagall, Léger… Pour comprendre ce véritable culte qu’Alechinsky (né en 1927) voue au livre et au papier, il faut se rappeler qu’étudiant il a passé trois ans dans l’atelier d’illustration et de typographie de l’École nationale supérieure d’architecture et des arts décoratifs à La Cambre, à Bruxelles. « Je suis un peintre qui vient de l’imprimerie », dit-il.

Le rôle des marges dans le tableau
Le propos de l’exposition est annoncé dès la première petite salle avec deux œuvres qui indiquent les pistes de réflexion. La première, constituée d’une dizaine de pages du livre Tête de clou de Pierre-André Benoît, montre les solutions trouvées par Alechinsky pour glisser ses rehauts bleus dans la composition typographique noire du texte. La seconde, une encre sur papier marouflé sur toile, révèle deux mots : « L’ENDROIT » écrit… à l’endroit, et « L’ENVERS » écrit… à l’envers. Pierre Alechinsky est un gaucher contrarié. Complètement ambidextre, il peut donc écrire de droite à gauche et inversement, ceci simultanément. Cette aptitude lui permet d’appréhender l’espace de façon différente, de jouer avec l’effet de miroir et de pratiquer l’estampe avec d’autant plus de facilité que cette technique repose sur un dessin exécuté à l’envers et lisible à l’endroit une fois imprimé. D’où l’aisance du maître, comme on le dit d’un calligraphe chinois. Car c’est bien d’une écriture, avec ses signes, pleins, déliés, arabesques dont il s’agit dans ses marges, selon le principe même de l’enluminure. Celles-ci font sa signature depuis l’introduction, à l’issue d’un voyage à New York en 1965, de ce principe de composition dans son œuvre Central Park. « Les marges permettent d’accuser le rectangle du tableau et d’enfermer une image dans ce rectangle. On l’essuie du regard dans le sens de la lecture. Il faut retenir ce regard. Les cadres sont faits pour cela », souligne-t-il.

Une centaine de livres illustrés
Cette passion pour l’écriture, aussi bien celle des autres – qu’il illustre – que la sienne propre, trace le fil rouge de l’exposition intitulée… « Marginalia, plume et pinceau ». De salle en salle, l’accrochage prend la plupart du temps un parti thématique pour créer des correspondances entre des vitrines où sont exposés des livres ouverts (il en a illustré près d’une centaine, avec ici des textes de Breton, Proust, Butor, Dotremont…) à côté de ses propres œuvres.

L’exemple le plus frappant est donné aux trois quarts de la visite, avec le Traité des excitants modernes (1838) de Balzac, qu’Alechinsky décline d’un support à l’autre, en se nourrissant de chacun. Ainsi, pour l’une des illustrations du livre, il avait dessiné une sorte de coupe dans une couleur grise. Jugée trop claire, il l’a gardée pour la glisser dans un tableau exposé en regard, et en a réalisé une beaucoup plus noire pour le livre. Il la réutilisera dans une autre toile vingt ans plus tard. À côté, on découvre aussi, accrochées verticalement, en escadrille, la suite des sept eaux-fortes accompagnant le texte de Balzac. Leur fait face une série d’encres noires, dont les « prédelles », parties inférieures, sont peintes à l’acrylique rouge. À lui seul, ce groupe d’œuvres résume parfaitement l’exposition qui, en mêlant formats, époques, supports et pratiques, rappelle à quel point ces dernières, chez Alechinsky, sont étroitement liées les unes aux autres, dessinent des allers-retours et entretiennent des échanges constants, pour écrire de riches dialogues.

ALECHINSkY

Commissaire : Patrice Deparpe, directeur du musée Nombre d’œuvres : une centaine

ALECHINSKY. MARGINALIA, PLUME ET PINCEAU

Prolongée jusqu’au 2 avril, Musée Matisse, palais Fénelon, place du Commandant-Richez, 59360 Le Cateau-Cambrésis, tél. 03 59 73 38 00, www.museematisse.lenord.fr, tlj sauf mardi 10h-18h, entrée 5 €. Catalogue, éd. Silvana Editoriale, Milan, 213 p, 35 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°473 du 17 février 2017, avec le titre suivant : Alechinsky chez Matisse

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