Art moderne

Coup de cœur

Abstrait, Picasso ?

Musées royaux des beaux-arts de Belgique, Bruxelles (Belgique) – Jusqu’au 12 février 2023

Par Itzhak Goldberg · L'ŒIL

Le 22 novembre 2022 - 468 mots

En baptisant l’exposition « Picasso et abstraction », les commissaires (Joanne Snrech, conservatrice au Musée Picassoà Paris, et Michel Draguet, directeur des Musées royaux des beaux-arts de Belgique) ont trouvé la bonne formule.

Cette appellation n’affirme nullement que le maître espagnol a pratiqué l’abstraction, mais propose d’étudier les rapports complexes que ce dernier a entretenus avec ce mode révolutionnaire de représentation. Si l’on s’en tient aux dires de l’artiste, aucune ambiguïté n’est permise : « J’ai horreur de toute cette peinture dite abstraite. L’abstraction, quelle erreur, quelle idée gratuite. Quand on colle des tons les uns à côté des autres et qu’on trace des lignes en l’air sans que cela corresponde à quelque chose, on ne fait tout au plus que de la décoration. » Le mot est lâché, la décoration est le danger qui guette toute peinture qui renonce à son ancrage dans le réel. Quelques décennies plus tard, même l’expressionniste abstrait américain Mark Rothko déclare qu’il n’existe pas une œuvre sans sujet et refuse d’être considéré comme coloriste. De fait, tout au long du parcours de l’exposition, comme ailleurs dans la production plastique de Picasso, aucun travail ne s’affirme ouvertement abstrait, même quand il frôle l’abstraction. L’exemple le plus frappant ici est Arbre (1907), dont la forme générale a pratiquement perdu la mémoire de l’objet ; la structure morphologique est traduite en un jeu rythmique de lignes, seules les courbes suggèrent encore un contour végétal. Accompagnées de panneaux pédagogiques d’une clarté exemplaire, les différentes sections (Expérimenter, Explorer, Extraire, Dé-composer) analysent la démarche de ce créateur protéiforme. Avec lui, primitivisme, cubisme ou collage, ces processus qui ne visent pourtant ni l’imitation, ni l’illusion, n’abandonnent jamais des références au monde objectif. Ces allers et retours n’obéissent pas au rythme régulier d’une évolution linéaire. C’est toutefois sans doute le cubisme qui joue le rôle déterminant dans la transformation des volumes solides en compositions géométriques éclatées, aux facettes multiples. Selon les organisateurs, c’est en 1910, à Cadaqués, pendant la phase du cubisme « hermétique », que Picasso accentue la fragmentation des objets, les métamorphoses en un jeu de signes, en un langage pictural minimaliste. La gamme de couleurs se réduit aux nuances (vert, ocre et gris) pour mettre en évidence les structures de formes, les lignes de force. Il n’en reste pas moins que les titres, « pourvoyeurs d’indices, incitent le spectateur à patiemment recomposer les images dont il entrevoit quelques attributs reconnaissables ». Puis, avec les papiers collés, les collages et les assemblages, le réel, vrai ou artificiel, est réintroduit dans l’œuvre. Les organisateurs concluent en laissant à l’abstraction toute sa « fluidité expérimentale » dans la démarche artistique de Picasso. On pourrait également penser que le peintre espagnol s’empare du principe de l’abstraction non pas pour atteindre une quelconque terre promise utopique, mais comme un moyen de s’éloigner du concret, de se détacher des contraintes de la figuration.

« Picasso et abstraction »,
Musées royaux des beaux-arts de Belgique, rue de la Régence 3, Bruxelles, www.fine-arts-museum.be

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°760 du 1 décembre 2022, avec le titre suivant : Abstrait, Picasso ?

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