7 clés pour comprendre le calotype en France

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 19 novembre 2010 - 1342 mots

Si la France est l’inventrice, avec Daguerre, de la photographie sur métal, l’Angleterre est la mère du négatif sur papier. Mais c’est pourtant bien dans l’hexagone que ce dernier procédé connaîtra ses perfectionnements décisifs, comme le montre la BNF.

1 L’invention du négatif sur papier par l’Anglais Talbot
Le 19 février 1841, dans la Literary Gazette, William Henry Fox Talbot, un brillant scientifique anglais, utilise pour la première fois le terme de calotype pour nommer le brevet qu’il a déposé le 8 février en Angleterre (en août pour la France). Ancien élève de Cambridge, Talbot maîtrise plusieurs langues, dont le français, l’italien et le grec auquel il emprunte le nom de son procédé : la « belle image ». De quoi s’agit-il ? Tout simplement de la reproduction du réel sur papier par le truchement d’un négatif. Passionné d’archéologie et amateur d’art, mais piètre dessinateur, Talbot a l’idée de fixer l’image de la nature sur le papier en 1833, pour effectuer des relevés sur les bords du lac de Come en Italie. Après des premières expériences de photogenic drawings, photogrammes obtenus en plaçant un objet sur une feuille enduite de nitrate d’argent, il perfectionne son procédé jusqu’à trouver une formule d’une image stable. Ainsi, Talbot obtient une image en négatif sur une feuille placée dans la camera obscura, qu’il dépose ensuite sur une autre feuille et développe l’image latente grâce aux rayons du soleil et à la chimie. ­Malheureusement, il est trop tard : le daguerréotype, photographie sur plaque de métal, a été présenté en France en 1839, éclipsant Talbot que d’aucuns considèrent comme le père de la photo argentique.

2 Trois premiers calotypistes français
Freiné par l’essor du daguerréotype et par les contraintes imposées par le brevet, le calotype peine d’abord à s’imposer en France, et ce en dépit des déplacements effectués à Paris par son inventeur en recherche de reconnaissance. Après une campagne de prises de vue effectuées dans les environs de Rouen, Talbot effectue même une démonstration de son procédé à l’Institut de France en 1843, là où la France avait « offert » le daguerréotype au monde. Quelques photographes vont pourtant adopter le calotype pour son rendu plus doux et plus vaporeux, et donc plus artistique que celui de Daguerre, trop précis et trop froid. Parmi ceux-là comptent les « primitifs » du genre, Hippolyte Bayard, Victor Regnault et Humbert de Molard.

3 Hippolyte Bayard, l’autre inventeur du négatif
Un quatrième homme peut être, avec Niépce, Daguerre et Talbot, considéré comme inventeur de la photographie. Il s’agit du Français Hippolyte Bayard, né à Breteuil-sur-Noye en 1801 et mort à Nemours à l’âge de 86 ans. Mais un inventeur malheureux puisque son procédé n’a pas été, à l’époque, confirmé par l’Académie des sciences, et qu’il lui faudra longtemps avant que la postérité ne lui redonne sa place dans l’histoire.
Et pourtant, Bayard a bel et bien envoyé à l’Académie sous pli cacheté, le 11 novembre 1839, quelques négatifs sur papier de son invention. Mais le procédé, s’il emprunte davantage à la daguerréotypie (dont il a alors connaissance) qu’à la calotypie, est rejeté par les physiciens François Arago et Jean-Baptiste Biot, chargés par ailleurs de vérifier la validité du procédé de Daguerre. Cela suscitera une grande déception de la part de Bayard, que celui-ci traduira notamment dans son Autoportrait en noyé, réalisé en 1840, considéré aujourd’hui par les historiens comme la première photographie de fiction mise en scène.
Découragé, Hippolyte Bayard n’arrêtera pas pour autant la photographie. Il participera notamment à la mission héliographique de 1851 tout en continuant de construire une œuvre très personnelle dans laquelle il continuera de se mettre en scène, comme ici dans son jardin, en 1847. Il sera aussi l’un des membres fondateurs de la Société française de photographie, en 1854.

4 Louis-Désiré Blanquart-Évrard, le génial usurpateur de la photographie sur papier
En 1847, un certain Louis-Désiré Blanquart-Évrard (1802-1872), personnage typique des débuts de la photographie, tout à la fois entrepreneur, chimiste et artiste, envoie à Arago son procédé de photographie sur papier. Le Lillois s’approprie ainsi l’invention de Talbot, toujours peu répandue en France, tout en la perfectionnant, mais sans jamais citer le scientifique anglais. Cette subtilisation du calotype aura pour conséquence de rendre plus accessible le procédé sur papier en France et de participer à son essor dans les années 1850, jusqu’à son abandon dans les années 1860. En 1851, Blanquart-Évrard ouvre par ailleurs une société d’édition, premier exemple d’industrialisation de la photographie, qui éditera, entre autres, jusqu’à sa fermeture en 1855, les albums archéologiques de Maxime Du Camp.

5 L’entrée de la photo dans le débat artistique
La calotypie est, dans les années 1840, une affaire d’amateurs éminents comme Regnault, le marquis de Bassano ou Humbert de Molard, mais aussi de professionnels qui, à la différence des daguerréotypistes, n’ouvrent souvent pas d’atelier. Ils s’appellent Gustave Le Gray (inventeur du procédé sur papier ciré sec et auteur d’un traité), Charles Nègre, Édouard Baldus, Charles Marville et Henri Le Secq (voir p. 72 et 73), ils vivent de commandes publiques et privées. Si leurs images, en de nombreux aspects documentaires, puisent, comme ici, dans la scène de genre, le paysage ou la vue d’architecture, elles n’oublient jamais de mettre en avant la dimension esthétique du médium. Outre les sujets, le traitement des ombres, les contours flous et la faible profondeur de champ dus au procédé sur papier vont en effet faire entrer de plain-pied l’image fixe dans le débat artistique qui va animer la fin du xixe siècle jusqu’à l’avènement du pictorialisme.
 
6 La photographie, humble servante des beaux-arts

Au Salon de 1859, Baudelaire qualifie la photographie d’« humble servante » et la considère comme « secrétaire et garde-note de quiconque a besoin dans sa profession d’une absolue exactitude matérielle ». Parmi ces professionnels qui font appel à la photographie, il y a les artistes comme Eugène Delacroix. Celui-ci demande notamment en 1854 à Eugène Durieu de concevoir pour – et avec – lui un album d’études académiques dans l’esprit de ses œuvres peintes. Durieu, un temps fonctionnaire au ministère de l’Intérieur, est un photographe amateur membre fondateur de la Société française de photographie, passionné de poésie et de théâtre qui fréquente les cercles de calotypistes.
Le sculpteur Auguste Bartholdi, comme Delacroix, pratique le calotype en amateur à partir de 1854. En 1855, le ministère de l’Instruction publique lui confie même une mission afin de partir étudier les antiquités de l’Égypte, de la Nubie et de la Palestine, d’où il rapporte en 1856 deux cents dessins et une centaine de négatifs. D’autres franchissent le pas, comme Le Secq qui, ancien élève de Delaroche, abandonne les beaux-arts pour se consacrer entièrement à la photographie.

7 À la découverte du monde
Le calotype est né, avec Talbot, du besoin de suppléer le dessin et d’enregistrer une trace des monuments et paysages lointains. Il était donc normal que, parmi les premiers services que l’homme allait lui demander, l’image fixe serve à témoigner du monde, à commencer par ses richesses archéologiques. Du Camp, suivi par Salzmann, Trémaux et d’autres, comme Bartholdi, ont bénéficié des nombreuses missions mises en place, notamment au Moyen-Orient, dès les années 1850 pour récolter des images destinées à servir historiens et archéologues.
La France aussi a bénéficié de ces grandes campagnes photographiques, dont la plus connue reste la Mission héliographique de 1851, voulue par la commission des Monuments historiques, et qui a envoyé les meilleurs photographes d’alors « copier les monuments français » : Le Gray, Le Secq, Baldus… soit quelques-uns des plus grands calotypistes qui allaient inventer la photographie moderne.

Autour de l’exposition

Informations pratiques : « Primitifs de la photographie, le calotype en France (1843-1860) », jusqu’au 16 janvier 2011. Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, 5, rue Vivienne, Paris IIe. Du mardi au samedi de 10h à 19h, le dimanche à partir de 12h. Tarifs: 5 et 7 euros. www.bnf.fr

Le catalogue : L’exposition s’accompagne d’un gros catalogue coédité par Gallimard/BnF (328 p., 59 euros). Les essais sont signés des deux commissaires de l’exposition, Sylvie Aubenas et Paul-Louis Roubert, et d’historiens du médium dont Michel Frizot.
Ses 300 reproductions et son dictionnaire des calotypistes français en font un outil indispensable pour qui veut approfondir le sujet.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°630 du 1 décembre 2010, avec le titre suivant : 7 clés pour comprendre le calotype en France

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