Dans un immeuble hyper transparent signé Jean Nouvel, Cartier s’installe boulevard Raspail sur le terrain occupé autrefois par l’American Center

Vitrine « Nouvel »

Le Journal des Arts

Le 1 mars 1994 - 847 mots

En un an, Jean Nouvel aura livré trois bâtiments majeurs : l’Opéra de Lyon, le Palais des congrès de Tours, et l’immeuble Cartier.

PARIS - Au 261, boulevard Raspail, la tradition culturelle est maintenue, la fondation Cartier a pris la place du centre culturel américain, parti s’installer à Bercy. Racheté par le Gan, le terrain a failli changer de vocation. L’assureur voulait y construire des bureaux et des logements. Les différents projets de Jean-Pierre Buffi ont été refusés sous la pression des associations de défense du site. Puis un nouveau locataire est arrivé, avec une prestigieuse carte de visite qui lui a permis d’imposer son architecte.

Alain Dominique Perrin, Pdg de Cartier, a confié à Jean Nouvel la réalisation d’un programme mixte réunissant la fondation Cartier rapatriée de Jouy-en-Josas et les bureaux de Cartier S.A. Le schéma est simple. La fondation occupe le rez-de-chaussée et le premier sous- sol, 1 200 m2 au total sur 6 400 construits, et les bureaux se répartissent dans les étages.

Ce projet de 101 millions de francs est né sous le signe de la contrainte. Les associations ont réussi à exiger que l’emprise au sol de l’immeuble Cartier ne soit pas supérieure à celle du Centre Américain. "Des conditions très pénalisantes pour le Gan, reconnaît l’architecte, mais qui ont permis de construire un bâtiment particulier".

Un feuilletage
Particulier en effet. La nouvelle vitrine de Cartier est trompeuse. "J’ai choisi de jouer sur le rapport entre réalité et virtualité", déclare Nouvel. Ce thème récurrent dans son œuvre qui devrait être magnifié par "La Tour Sans Fins" – si jamais elle se construit – apparaît boulevard Raspail sous une forme surprenante. Trois grands plans vitrés constituent un "feuilletage" au milieu duquel vient se loger le bâtiment proprement dit qui joue ainsi avec les transparences et les reflets. Le premier plan qui reprend scrupuleusement l’alignement du boulevard cherche à gommer toute sensation de monumentalité. Face aux tubulures de l’Ecole spéciale d’architecture – de l’autre côté du boulevard –, des écrans de verre renvoient l’image du quartier. Même la tour Montparnasse a trouvé sa place dans ce kaléidoscope. Il s’agissait de gérer la verticalité d’un bâtiment qui culmine à 31 mètres de haut par rapport à l’exiguité d’une parcelle des plus sensibles.

Nouvel s’est attaché à exploiter les qualités du site. Un petit terrain avec un parc, espace vert protégé renfermant une pièce unique : un cèdre planté par Chateaubriand en 1823. L’arbre est un élément de la composition. L’entrée se fait sous le cèdre dont les ramures viennent effleurer la peau de verre. Pour obtenir le maximum de finesse structurelle, l’architecte a travaillé avec le grand bureau d’études britannique Ove Arup avec lequel il a étudié la "Tour Sans Fins". Le résultat est assez réussi.

Nouveau snobisme ?
Par essence, la fondation Cartier est un espace d’exposition temporaire. D’où la grande flexibilité attendue dans ce lieu de huit mètres sous plafond. Nouvel le définit comme un espace polyvalent. Il peut être aménagé avec des cimaises autostables, occulté intégralement avec des stores opaques, ou bien, au contraire, se transformer en un lieu ouvert quand les façades disparaissent pour aller se loger sur les côtés. Du minimal au land art, en passant par les créations d’un vidéaste, tout semble possible. Et ce sera encore plus vrai lorsque Cartier aura rajouté environ 7 millions de francs pour financer les mezzanines sur crémaillères imaginées par Nouvel. "Toutes les dispositions ont été prises", précise l’architecte. Cette rallonge est indispensable car, pour l’instant, le premier sous-sol réservé à la fondation est un lieu d’exposition des plus banals.

La partie bureau offre également un maximum de flexibilité. Dans les étages, les plateaux sont complètement libres à l’exception du petit noyau des ascenseurs. Car les escaliers ont été placés à l’extérieur, sur les côtés du bâtiment, afin de gagner des mètres carrés. Très aériens et percés de petits trous, ces escaliers d’un métallique industriel donnent le vertige aux personnes sensibles. A l’intérieur, l’ambiance est assez irréelle. Fidèle à son thème de virtualité, Nouvel a conçu des lieux de travail dont les cloisons de verre sont sablées comme des nappes de brouillard. Rien ne vient toucher ces murs de verre, pas même les interrupteurs qui pendent comme les cordons des lampes d’autrefois.

Ce bâtiment de prestige se veut "antidesign". Tout est épuré, mais le minimalisme se conjugue ici au pluriel. L’image de l’entreprise de luxe se perd dans cet océan de transparence. Stratégie ou nouveau snobisme ?

Marie-Claude Beaud s’en va

Directeur de la Fondation Cartier depuis sa création en 1984 à Jouy-en-Josas, Marie-Claude Beaud quitte Cartier en juin, alors que la Fondation s’installe boulevard Raspail.
Volonté du directeur de tourner la page, désaccord mutuel au moment où la Fondation prend un tournant incertain, où elle réduit ses surfaces d’expositions, ne peut plus accueillir des artistes en résidence : tout cela a probablement joué. Et aussi, sans doute, un chantier ambitieux, où deux fortes personnalités ont dû collaborer : le directeur avec - ou contre - l’architecte Jean Nouvel.
Les expositions s’ouvriront le 11 mai dans les nouveaux espaces, avec en particulier une installation d’Artschwager.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°1 du 1 mars 1994, avec le titre suivant : Vitrine « Nouvel »

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