Paris

Un design d’expérimentations

Trois expositions, au Lieu du design, à la Toolsgalerie et au Laboratoire, proposent autant de recherches transversales

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 16 novembre 2010 - 805 mots

PARIS - L’expérimentation est à l’honneur, cet automne à Paris, au rayon design. Expérimentation historique d’abord avec l’exposition « Good Design, Good Business » proposée par Le Lieu du design, un espace dont la programmation n’est pas toujours convaincante.

Cette exposition à la scénographie nette et copieuse – 300 pièces – l’est pourtant. Normal, l’exposition a été fournie clés en main par le Museum für Gestaltung de Zurich. Si le titre de la présentation ne fait pas dans la finesse, il a le mérite d’être clair : pour une entreprise, une identité visuelle de qualité contribue à un meilleur chiffre d’affaires. Du moins était-ce la philosophie de la firme chimique et pharmaceutique helvète Geigy, laquelle, de 1940 à 1970, a fait appel à des graphistes indépendants, avant de créer, en interne, son propre service (qui atteindra la bagatelle de 148 collaborateurs !), afin de réaliser ses campagnes de communication ainsi que le conditionnement de ses produits. 

Qu’il s’agisse de vanter un médicament ou un pesticide, la modernité du graphisme est époustouflante. Ainsi de ce dépliant au message on ne peut plus explicite signé Fritz Schrag et montrant une superposition de deux dessins : en blanc, une cage thoracique ; en noir, deux véhicules accidentés. La pommade est baptisée… « Contusion ». Idem avec le travail de Markus Löw pour les produits Acaralate : composition forte – géométrie, asymétrie, aplats de couleur franche – et typographie saisissante (caractères bâton) dessinent une gamme exemplaire. Certains artistes apportent leur concours ; on peut ainsi voir ici quelques savoureuses lithographies de Gottfried Honegger intitulées Coupes schématiques de l’appareil digestif ou de l’intérieur d’une oreille. Cette identité propre à Geigy fera de l’entreprise un acteur majeur du graphisme suisse de la seconde moitié du XXe siècle. À la ToolsGalerie, le designer Laurent Massaloux expérimente quant à lui l’outil numérique et les notions de décalage et de dédoublement. Dans cette exposition baptisée « Doubble », il présente non pas une multitude de concepts, mais six pièces assez réussies dont le résultat tourne à la diplopie, ce trouble de la vue donne à percevoir deux images pour un seul objet. Ainsi, ces trois modules de rangement (White Shadow, 3 600 euros) à première vue figés, qui, selon leur éclairement, paraissent instables. Explication : l’arrière des rangements est habillé d’une laque fluorescente orange qui irradie le mur sur lequel ils sont fixés, faisant visuellement s’en décrocher lesdits rangements, comme par enchantement. Un peu plus, il suffirait de souffler sur l’élégante suspension Leaves D (7 000 euros) pour voir s’envoler les fines feuilles pliées qui constituent son abat-jour. Sauf qu’elles ne sont point de papier, mais d’aluminium recouvert de vernis transparent coloré. Plus loin, le miroir Wiper (2 200 euros) ressemble, comme dans un film noir, à un pare-brise de voiture dont les essuie-glaces peineraient à effacer la trace des gouttes de pluie. La technique dont use ici Massaloux pour marquer la surface réfléchissante de stries parallèles s’appelle la gravure « filets de Versailles ». 

Un contenant comestible 
Expérimentation, troisième et dernière, avec cette exposition intitulée « Design cellulaire » que proposent, au Laboratoire, le designer français François Azambourg et le scientifique américain Don E. Ingber, directeur de l’Institut Wyss de bio-ingénierie de l’Université de Harvard (Massachusetts). Cette recherche se focalise sur l’une des questions primordiales de demain : le transport de l’eau (potable). Comment le rendre écologiquement fiable et plus naturel ? Pour Azambourg et Ingber, la solution réside en un contenant qui s’inspire de la nature. Leur modèle : la cellule biologique, dans laquelle contenant et contenu sont indissociables. L’objectif est plutôt amusant : créer un contenant comestible, en clair, une bouteille « consommable ». Hormis une sculpture un peu grossière représentant une algue et ses multiples ramifications, qui fait office de métaphore à la recherche, l’exploration du duo est fascinante. Sur une cimaise oblongue, un vaste schéma affiche différentes hypothèses – minérale/animale/végétale/artificielle – et analyse les qualités de diverses matières, comme la cire de Carnauba, tirée d’une essence brésilienne, comestible mais insuffisamment étanche. Sur une « paillasse », façon salle de travaux pratiques, on retrouve différents essais de matières et autant d’engins loufoques prompts à les fabriquer. En bout de piste : une ultime machine produit un matériau voisin de celui qui pourrait constituer cette fameuse « bouteille mangeable », laquelle prend la forme sensuelle d’une figue. À croquer !

-GOOD DESIGN, GOOD BUSINESS,
jusqu’au 8 janvier 2011, Le Lieu du design, 74, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012 Paris, tél. 01 40 41 51 02, du lundi au vendredi 13h-18h, sam. 11h-18h, www.lelieududesign.com

-DOUBBLE,
jusqu’au 27 novembre, ToolsGalerie, 119, rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris, tél. 01 42 77 35 80, du mardi au vendredi 11h-13h, 14h30-19h, samedi 11h-19h, www.toolsgalerie.com

-DESIGN CELLULAIRE,
jusqu’au 30 janvier 2011, Le Laboratoire, 4, rue du Bouloi, 75001 Paris, tél. 01 78 09 49 50, du vendredi au lundi 12h-19h, www.lelaboratoire.org

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°335 du 19 novembre 2010, avec le titre suivant : Un design d’expérimentations

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