Thaddaeus Ropac

Galeriste

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 5 novembre 2004 - 1285 mots

Avec la maestria d’un grand couturier, le galeriste autrichien Thaddaeus Ropac a pris depuis vingt ans une place à part sur le marché européen. Ropac, ou la logique du flux tendu.

Alors que la galerie Thaddaeus Ropac fête ses 20 ans à Salzbourg, on le voit vibrionner à Paris au milieu d’une noria d’assistants. Non qu’il soit du genre à contrôler les respirations de ses employés comme les vieux briscards du marché. Mais Ropac est un homme pressé, qui doit composer avec le départ récent de son associé autrichien. Le peu de français qu’il maîtrise, il ne l’a capturé qu’« en passant ».
Le galeriste n’en finit pas d’intriguer. On peut lui reprocher de ne pas être un défricheur, de se raccrocher aux wagons des stars confirmés, souvent « chic et choc », et de ne pas en détenir toujours les chefs-d’œuvre. Le constat n’en reste pas moins bluffant : deux espaces, 20 employés, une écurie de 40 artistes alors que la moyenne habituelle est de 20 et des expositions très courtes, sold out avant même leur vernissage ! En fait, Ropac est de ces marchands dont le pouvoir ne repose pas sur le stock – qu’il n’a pas –, mais sur la force de communication et de vente.

Un seul artiste français
Issu de la petite bourgeoisie provinciale autrichienne, Thaddaeus Ropac n’était pas préparé au choc de l’art contemporain. À la faveur d’une sortie scolaire à Vienne, il découvre à l’âge de 16 ans le pop art au musée d’art contemporain de la capitale. Un an plus tard, il assiste à une conférence de l’artiste Joseph Beuys. « Pendant deux heures, je l’ai écouté sans comprendre un mot de ce qu’il disait. Je lui ai alors écrit en disant que je l’admirais, que je voulais être artiste et devenir son assistant. Quelqu’un m’a répondu qu’il n’avait pas besoin d’assistant mais que je pourrais être stagiaire sur un projet pour Berlin », raconte Thaddaeus Ropac. Le voilà parti bille en tête à Düsseldorf. Pendant trois mois, il joue les factotums et ne croise que très peu son idole. Timidement, il lui montre un jour ses gouaches – que Beuys trouve sans intérêt. Il lui conseille en revanche de s’engager dans la voie des musées ou du commerce. C’est à Lienz, au Tyrol, que Ropac ouvre en 1982 un espace dans un placard à balais. La même année, Beuys lui signe une recommandation pour Andy Warhol. « J’étais moins impressionné que lorsque j’ai rencontré Beuys parce que la Factory était une vraie machine. Warhol n’avait que cinq minutes à m’accorder », se souvient-il. En 1984, il ouvre sa première galerie à Salzbourg, expose les dessins de Beuys, les portraits juifs de Warhol, puis Baselitz et Lupertz rencontrés à Berlin deux ans plus tôt, et Jean-Michel Basquiat. Porté par la peinture, il vogue entre la tradition allemande et le post-pop avec Alex Katz et Jonathan Lasker. Les succès s’enchaînent, entretenus grâce à l’entregent et la caution d’Eliette von Karajan, l’épouse du célèbre chef d’orchestre. En 1987, Thaddaeus Ropac déménage dans un plus grand espace, s’attache alors à la Transavangarde italienne. « Il s’est intéressé à des artistes que d’autres avaient laissés sur le bord du chemin comme Sandro Chia. Il ne l’a pas lâché quand Charles Saatchi a tout revendu », souligne Caroline Smulders, ancienne directrice de la galerie Ropac à Paris et responsable du département Art contemporain chez Christie’s France. Ropac réussit même à entrer dans les petits papiers de la Fondation Warhol. « Je ne suis pas venu en disant seulement que je voulais acheter des pièces. Ma proposition, c’était de placer des Warhol dans les musées européens », rappelle-t-il. Vers la fin des années 1980, l’envie d’une autre vitrine européenne le démange. Un saut nécessaire pour obtenir de meilleures pièces de ses artistes. Il songe à Londres puis, indifférent aux cassandres, opte en 1990 pour Paris. Lorsqu’il fait son dîner inaugural à l’Opéra-comique, la crise guette. « Je suis attaché à une décision que j’ai prise il y a plus de dix ans. Je n’aurais jamais pu me le pardonner si je n’avais pas réussi à Paris. Le marché, c’est à soi de le créer », tranche-t-il d’autant plus facilement qu’il effectue 75 % de son chiffre parisien à l’export. Après quelques années en dents de scie, Paris lui permet de déployer des pièces de plus en plus monumentales, à l’image des dernières œuvres de Gilbert & George. Avec ses airs de villa, Salzbourg donne prise à un art plus intime. Ropac compte toutefois ouvrir prochainement un cabinet pour des œuvres sur papier à Paris.
Tout en se qualifiant de galerie française, il ne compte qu’un artiste hexagonal, Jean-Marc Bustamante, débauché dans la foulée de sa nomination à la Biennale de Venise de 2003. Les galeries françaises ne sont pas toujours généreuses dans leur quota, mais là, l’affront est de taille ! « Pendant longtemps, j’avais l’impression que les artistes français n’avaient pas le même speed que les autres. Je suis allé parfois dans des ateliers, mais ce que j’y voyais ne m’excitait pas autant que ce que je découvrais à Londres ou à Berlin », confie-t-il. Les galeristes français l’observent parfois en chien de faïence, multipliant les rumeurs vipérines. « Quand j’ai commencé à travailler à Salzbourg, les gens m’ont dit que j’allais vendre à des comtesses nazies. Quand on critique de façon aussi odieuse, c’est qu’on est à court d’arguments, s’indigne l’artiste Jean-Marc Bustamante. Ropac a la capacité de prendre l’artiste qu’il veut. Il a une notion de service que n’ont pas toutes les galeries car, en France, si on rend un service, on a l’impression d’être l’employé de quelqu’un. » Ropac a d’ailleurs réussi à imposer Bustamante dans des collections germaniques qui, au demeurant, ne comptent aucun autre artiste français. « Dans un monde qui a adopté une dramaturgie de jungle, il est très agréable de travailler avec quelqu’un qui semble écarter toutes les aspérités négatives », renchérit l’artiste suisse Sylvie Fleury. Il y a du maternage dans l’air ! Ropac a de fait conservé l’essentiel de son écurie au cours des années, à l’exception de Wolfgang Tillmans et de Bettina Rheims. Au terme d’une longue parade amoureuse, il concrétise son rêve, exposer le peintre Anselm Kiefer. « Avec David Hockney, Anselm Kiefer était l’une de ses grandes obsessions. Thaddaeus s’est démené, il a fait démonter la façade de la galerie et refaire le sol. Ça semblait mission impossible de convaincre Kiefer et surtout que Kiefer soit content du résultat », rappelle un proche.

Bonnes combinaisons
Mondain tendance jet-set, Ropac ouvre sa galerie aux défilés de Victor & Rolf ou à une ligne de canapé d’Andrée Putman. « Une grande partie de son succès repose sur ses bonnes manières. Ce n’est pas un provocateur », insiste son amie Sydney Picasso. Il y a en lui du Valentino, ce côté grand couturier flattant habilement une clientèle dont la maille dépasse le sérail de l’art contemporain. « Il comprend très bien ce que veulent ses clients. Il donne des dîners élégants et relax, de même qu’il leur trouve les bonnes combinaisons de pièces », remarque la collectionneuse Francesca von Habsbourg. Au sein du comité de pilotage de la FIAC, il s’occupe tout naturellement du programme VIP. Car il a bien compris qu’aujourd’hui les collectionneurs s’intéressent davantage aux à-côtés qu’au contenu d’une foire ou d’une exposition...

Thaddaeus Ropac en dates

1960 Naissance à Klagenfurt (Autriche). 1984 Ouverture de sa première galerie à Salzbourg. 1987 Déménage dans un nouvel espace. 1990 Ouverture de la galerie à Paris. 2004 Anniversaire des 20 ans de sa galerie ; « Intuition (im)precision » jusqu’au 10 novembre (Salzbourg) ; « Liza Lou, The Damned », jusqu’au 20 novembre (Paris).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°202 du 5 novembre 2004, avec le titre suivant : Thaddaeus Ropac

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