De Workers à Genesis, Salgado aura imposé un style reconnaissable, entre engagement moral, mise en scène et rigueur classique.
Le photographe d’origine brésilienne devenu figure centrale de la scène photographique internationale, Sebastião Salgado, est mort le 23 mai à l’âge de 81 ans. Depuis les années 1970, son travail documentaire, mené sur le long terme et à l’échelle planétaire, a imposé une approche visuelle marquée par une rigueur plastique autant que par un projet moral assumé. À travers des séries au long cours - Other Americas, Workers, Migrations, Genesis -, il a cherché à rendre compte d’un monde en transformation, tout en revendiquant une esthétique d’inspiration classique qui a suscité autant d’admiration que de critiques.
Né en 1944 à Aimorés, dans l’État du Minas Gerais, Salgado se forme à l’économie avant d’embrasser tardivement la photographie au début des années 1970, après un doctorat en économie à Paris et un poste au sein de l’Organisation internationale du café. Ce détour initial n’a pas été sans effet sur sa pratique photographique : ses projets ont toujours été construits selon des méthodologies proches de celles des sciences sociales, combinant une vision globale avec des enquêtes de terrain longues et répétées. Son passage par des agences comme Sygma, Gamma, puis Magnum entre 1979 et 1994, lui ont fourni les outils professionnels pour mener une œuvre à part dans le photojournalisme contemporain.
Salgado se distingue par une approche fondée sur la série, conçue comme une entité autonome et publiée sous forme de livres autant que d’expositions. Il consacre en moyenne une décennie à chacun de ses grands projets, mobilisant à chaque fois un dispositif de production autonome, notamment à travers la structure Amazonas Images, qu’il fonde en 1994 avec son épouse Lélia Wanick Salgado, chargée de la direction éditoriale et scénographique de son œuvre.
Paradoxalement, son engagement humaniste et social s’est exprimé dans une esthétique formellement conservatrice. Dès ses premières images, il adopte un noir et blanc contrasté, cadré avec précision, souvent inspiré des canons de la peinture classique. Cette rigueur plastique, très éloignée de la spontanéité ou de la crudité du reportage de guerre, a été interprétée comme une tentative de dignifier ses sujets, mais aussi critiquée pour sa mise en scène de la souffrance. Dans Workers (1993), il documente les derniers gestes de l’économie préindustrielle : mineurs, dockers, cueilleurs, fondeurs, photographiés avec un sens appuyé du clair-obscur, souvent sur fond de ruine industrielle. Migrations (2000), résultat de six ans de travail dans plus de quarante pays, élargit la focale aux déplacements de population induits par les guerres, les crises climatiques ou les déséquilibres économiques. La série met en scène les masses humaines dans un langage visuel souvent emphatique, qui a nourri une double réception : d’un côté, celle d’une œuvre politique, témoignant des injustices mondiales ; de l’autre, celle d’un esthétisme pathétique où le réel semble soumis à une forme d’exaltation visuelle.
Le tournant opéré dans les années 2000 avec Genesis (2004-2011) et le projet de reforestation de la vallée du Rio Doce témoigne d’un infléchissement dans sa trajectoire. Dans cette nouvelle série, Salgado se détourne des figures humaines pour se consacrer aux paysages, aux peuples isolés, aux animaux, dans une tentative de revalorisation du « monde tel qu’il était ». Ce projet accompagne la création de l’Institut Terra, structure environnementale engagée dans la régénération de l’écosystème atlantique brésilien, sur les terres de sa famille. Cette évolution soulève de nouveaux débats : certains y voient une fuite hors du politique, d’autres une extension logique de sa conception éthique du travail photographique.
Salgado aura été, tout au long de sa carrière, une figure ambivalente. Porté par une reconnaissance institutionnelle forte - Grand Prix de la Ville de Paris (1993), prix Princesse des Asturies (1998), membre de l’Académie des Beaux-Arts (2016) -, son œuvre a oscillé entre les mondes du photojournalisme, de la photographie d’art et de l’engagement civique. Rejetant les contraintes du reportage d’actualité, il a construit une œuvre cohérente, programmée, parfois monolithique, qui laisse peu de place à l’improvisation. Ses livres, tirés en centaines de milliers d’exemplaires chez Taschen, ont contribué à diffuser largement une image universalisante de la photographie documentaire, aux frontières de l’art et de la communication visuelle. Les Franciscaines à Deauville, présentent jusqu’au 1er juin une sélection de ses photographies issues de la collection de la MEP.
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Sebastião Salgado (1944 - 2025), photographe de la condition humaine
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