Nathalie Obadia - Galeriste

Issue du sérail de la galerie Templon, Nathalie Obadia poursuit son combat pour les artistes contemporains avec la même fougue depuis vingt ans

Par Alain Quemin · Le Journal des Arts

Le 27 février 2013 - 1642 mots

Nathalie Obadia inaugure un troisième espace (1), dans le Marais, à Paris, à l’occasion du vingtième anniversaire de son activité de galeriste.

À l’occasion de ses vingt ans d’activité comme galeriste à Paris, Nathalie Obadia inaugure un second espace dans le Marais. La première chose que l’on remarque chez Nathalie Obadia, c’est qu’elle est ravissante (une brune piquante). Pourtant, dans son métier de galeriste où il est utile de charmer, elle n’en joue guère. Très vite, frappent surtout son propos et le débit rapide qui s’accorde au rythme d’une intelligence vive que chacun, dans le milieu de l’art, lui reconnaît. Les réponses fusent, percutantes, presque abruptes. Nathalie Obadia est une femme de convictions et assume ses positions. Lorsqu’ils s’avancent un tant soit peu, ses confrères s’inquiètent souvent de ce qui sera repris de leurs propos, Nathalie Obadia appuie plutôt et s’engage : « Ah, ça aussi, vous pouvez le citer ! ». D’où sa réputation dans le milieu de l’art contemporain. Ceux qui l’apprécient louent son courage, ceux (ou plutôt celles) qui l’aiment moins la décrivent comme excessive, prenant aisément la mouche… mais faisant livrer des fleurs pour être excusée quand elle s’est emportée. Parfois piquante également dans ses réactions donc, mais bien élevée, ses détracteurs lui en rendent justice.

Nathalie Obadia a été élevée à Nantes par des parents enseignants et collectionneurs. Son père, Maurice, directeur d’établissement et auteur de manuels, percevait des droits qui offraient à la famille un niveau de vie très supérieur à celui de ses collègues. Revenus investis dans un appartement à Paris – où la famille, puis Nathalie, adolescente, pouvaient se rendre pour dévorer les expositions – mais aussi dans des œuvres d’art contemporain : Dado, puis les artistes de la Figuration narrative –Monory et Rancillac étaient des amis de la famille – avant le pop art. Les parents de Nathalie Obadia comprirent vite ce qui se passait aux États-Unis, acquérant notamment un splendide American Nude de Wesselmann, mais aussi des œuvres de Warhol et Lichtenstein. Bien que pudique, elle parle très peu de sa vie privée, on devine chez Nathalie Obadia de l’admiration pour ce père collectionneur avisé qui a su ne pas brider ses deux filles dans leurs ambitions. L’absence de frère a sans doute joué aussi pour favoriser le goût prononcé de la compétition.

Biberonnée à l’art contemporain
Dès son plus jeune âge, Nathalie Obadia connaissait donc l’art le plus contemporain et fréquentait les galeries parisiennes Sonnabend, Templon, Lambert ou Durand-Dessert. Ses lectures de fillette ? Connaissance des Arts et ArtPress notamment. À 15 ans, son avenir professionnel était tracé et elle effectuait ses premiers stages dans des galeries. Après une maîtrise de droit, elle est admise à l’Institut d’études politiques de Paris. Elle précise : « Si je n’avais pas été galeriste, c’est dans les relations internationales, ma filière à l’IEP, que j’aurais aimé travailler ». Tiens, diplomate !

Diplômée de Sciences Po, la jeune fille envoie son curriculum vitae à Daniel Templon. En 1988, celui-ci lui propose de l’assister sur son stand à la Fiac et remarque vite qu’elle connaît déjà tout le gratin des collectionneurs parisiens. Elle reste donc quatre années. Gilles Fuchs, collectionneur et président de l’Association pour la Diffusion internationale de l’art français, le souligne : « Vous savez, c’est une « templonnette ». Templon leur a insufflé un grand sens de la rigueur et de la précision. Ce type de galerie est toujours très fiable ». « Templonnette », donc, le mot est lâché. C’est ainsi que le monde de l’art désigne affectueusement les anciennes collaboratrices de la galerie de la rue Beaubourg dont beaucoup ont ensuite effectué de jolies carrières dans le monde de l’art : Jennifer Flay, galeriste puis directrice de la Fiac, Caroline Smulders, agent d’artistes et commissaire d’expositions, Valérie Cueto, auparavant galeriste et désormais conseillère en art contemporain à New York, Katia Raymondaud, également conseillère en art, Fabienne Leclerc, Élodie Rahard, Jessy Mansuy-Leydier, Delphine Guillaud et Séverine de Volkovitch respectivement directrices des galeries In Situ, Jean Fournier, Kamel Mennour et Backslash pour les deux dernières. Quelle liste ! Ajoutons la critique d’art Ann Hindry, mais aussi Romane Sarfati, actuellement conseillère en charge des arts plastiques auprès de la ministre de la Culture et de la communication. Curiosité dans cette énumération féminine, le conservateur et critique d’art Jérôme Sans fut « templonnette », le substantif « templonnet » restant à inventer. Et Nathalie Obadia, donc.

Une galeriste frondeuse
À 30 ans, elle ouvre, en 1993, en pleine crise du marché de l’art, sa propre galerie, dans un petit espace du Marais, rue de Normandie, où elle présente Valérie Favre, mais aussi Carole Benzaken et Pascal Pinaud, deux artistes qu’elle défend encore, puis Fiona Rae un an plus tard. Gilles Fuchs commente : « Elle a été très courageuse, elle soutient beaucoup des artistes femmes ».

Quid des départs d’artistes importants comme Wim Delvoye, Jean-Marc Bustamante ou Valérie Favre, du partage sur le marché français d’Albert Oehlen avec la galerie star Gagosian ? Gilles Fuchs corrige : « Certains départs ont été liés à l’opportunisme, les artistes aiment changer, pensent souvent qu’ils seront mieux défendus ailleurs ». Myriam Salomon, membre de la direction et de la rédaction d’ArtPress, collectionneuse elle aussi, rend hommage à son amie : « Elle s’occupe très bien de ses artistes, elle est tout le temps en voyage pour les accompagner là où ils sont exposés, elle sait les mettre en avant, et c’est une excellente vendeuse. Elle est très courageuse, c’est une battante. Elle ne prend pas les gens pour spéculer, mais bien pour les accompagner, c’est une galerie d’artistes, comme Paula Cooper ». La référence à la galeriste américaine qui a tant œuvré pour défendre l’art minimal n’est pas un mince compliment. Dès 1994, Nathalie Obadia réalise sa première Fiac et, en 1996, elle déménage pour la rue du Grenier Saint-Lazare. Elle effectue aussi sa première foire de Bâle dans la section statement, mais se montre trop peu obéissante dans son choix d’expositions. Elle le paiera et ne reviendra à Bâle qu’en 2006. C’est vraiment en cette fin d’années 1990 que Nathalie Obadia s’est imposée, avec audace et détermination. À une époque où les institutions considéraient parfois la peinture avec dédain, où certains ne concevaient même pas en quoi la portion congrue laissée aux femmes parmi les artistes pouvait poser problème, Nathalie Obadia n’a pas hésité à s’engager pour défendre l’une et les autres sans aucune exclusive. Mais cette liberté par rapport au conformisme n’a pas toujours été très appréciée, notamment au sein de la Délégation aux arts plastiques. Il n’est pas toujours bon d’avoir raison avant les autres. Depuis, les rapports avec l’institution se sont améliorés et, là également, on rend justice à la qualité de son travail. Camille Morineau, conservatrice au Musée national d’art moderne, loue ainsi le travail de Nathalie Obadia : « Avec son engagement en faveur de la peinture mais aussi des artistes femmes, Nathalie Obadia a vraiment donné une identité à sa galerie. Cela a peut-être pesé au départ dans ses rapports avec l’institution, mais au final, ça s’est révélé un atout, car nous aimons les galeries qui font des choix ». La méthode Obadia : effectuer des choix et les assumer. Chercher à convaincre constitue le second temps.

Une troisième adresse pour ses vingt ans
Depuis, les succès se sont enchaînés. En 2003, la galerie a déménagé pour la rue du Cloître Saint-Merri, presque au pied de Beaubourg, investissant désormais 500 m2 dont 200 m2 d’exposition. En 2008, elle a ouvert une antenne bruxelloise, de superficie identique, qui compte désormais pour 25 % du chiffre d’affaires. Depuis lors, Nathalie Obadia partage donc son temps entre les deux villes sans rythme précis, et voyage aussi à l’occasion des foires – pas moins de sept par an – auxquelles la galerie participe. Pour ses vingt ans d’activité comme galeriste, Nathalie Obadia vient juste d’inaugurer un second espace dans le Marais, rue du Bourg-Tibourg, offrant 200 m2 d’espaces d’exposition supplémentaires. Une nécessité, car elle représente plus de trente artistes, dont certains qui lui sont désormais chers comme Joana Vasconcelos, Martin Barré et Albert Oehlen.

Que pense Nathalie Obadia des mondanités propres au métier de galeriste, dîners en ville, vacances aux sports d’hiver et dans le Sud en été, qu’elle partage avec celui qui est devenu son compagnon, Daniel Templon ? Elle aime rencontrer des gens et chercher à convaincre, mais elle décrit des vacances aux sports d’hiver surtout rythmées par quatre heures de ski de fond et six heures de lecture par jour. Ses congés d’été aussi sont consacrés à enchaîner longues séances de natation et lectures. Le rythme, l’activité, le dépassement de soi toujours : « ça m’est égal que l’on dise du bien ou du mal de moi à partir du moment où l’on respecte mon travail. Moi, tous les matins, je suis à ma galerie et je travaille, je me bats pour mes artistes ». Daniel Templon ne dit pas autre chose : la compétition lui tient au corps. Nathalie Obadia en un mot ? Voici les réponses recueillies parmi ses proches : « courageuse », « convaincue », « battante », « énergique », « dynamique » et même « speedée ». Ajoutons à cela l’esprit malicieux et le franc-parler. Piquante, vous disait-on…

Nathalie Obadia en dates

1962 Naissance à Toulouse
1988 Diplômée de Sciences Po Paris - Entre à la galerie Daniel Templon
1993 Ouvre sa première galerie rue de Normandie à Paris
1995 S’installe rue du Grenier Saint Lazare
1996 Première participation à Art Basel
2003 S’installe rue du Cloître Saint-Merri
2008 Ouvre une seconde galerie à Bruxelles
2013 Ouvre un second espace parisien rue du Bourg-Tibourg

Retrouvez la fiche biographique complète : Nathalie Obadia

Note

(1) Les trois galeries de Nathalie Obadia :
18 rue du Bourg-Tibourg 75004 - Paris
3 rue du Cloître Saint-Merri 75004 - Paris
8 rue Charles Decoster 1050 - Ixelles-Bruxelles - Belgique

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°386 du 1 mars 2013, avec le titre suivant : Nathalie Obadia - Galeriste

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