Paroles d’artiste

Miroslaw Balka

« Un artiste peut dire les choses mieux qu’un historien »

Le Journal des Arts

Le 5 janvier 2010 - 876 mots

L’artiste polonais Miroslaw Balka s’empare du Turbine Hall de la Tate Modern, à Londres, et expose aussi au Modern Art Oxford

Gigantesque conteneur en acier, How It Is de Miroslaw Balka est la dixième œuvre monumentale à occuper le Turbine Hall de la Tate Modern à Londres. Né près de Varsovie en 1958, Balka est réputé pour ses travaux minimalistes en apparence seulement, usant de manière évocatrice et parfois dérangeante de matériaux comme le béton, l’acier, la cendre, le sel, le vin et les cheveux humains. Ses vidéos, dont certaines ont été tournées dans des camps nazis situés non loin de la capitale polonaise, font quant à elles l’objet d’une exposition au Modern Art Oxford.

Lorsque vous avez vu How It Is installée dans le Turbine Hall, avez-vous été surpris ?
Pas vraiment, mais les choses auraient pu mal tourner si le résultat n’avait pas été celui attendu. C’est pour cela que cette expérience était stressante – il n’y avait ni maquette ni visualisation [préalables] ; tout était fondé sur l’expérience et cette expérience devait d’abord être la mienne. L’aventure est d’abord visuelle, puis corporelle et enfin spirituelle : c’est ainsi que devrait être une bonne œuvre d’art. Le plus important est de ne pas avoir peur. Pendant un instant, quand [on se trouve à l’intérieur], tout est très sombre et très noir, puis on commence à voir à nouveau… Ainsi va la vie : on rencontre une personne étrangère, que l’on ne connaît pas, et puis au bout d’un moment, cette personne peut être devenue votre meilleure amie. La relation avec une œuvre d’art est en quelque sorte identique à la relation avec une autre personne.

Votre travail est ancré dans votre propre réalité physique, dans les objets qui ont une résonance personnelle. Dans votre atelier, une baignoire remplie de terre glaise provient de votre ancienne école d’art, des sacs sont pleins d’épines de vieux sapins de Noël. Cette spécificité personnelle semble être cruciale pour vous…
Je crois qu’on ne peut pas distinguer l’art de la vie, et la vie de l’art. J’ai toujours eu peur de transformer mes activités artistiques en un travail d’usine, de produire des biens étiquetés « Miroslaw Balka », parce que je ne veux pas perdre cet aspect privé du processus créatif. Je n’ai pas d’assistants, je suis toujours en contact direct avec les curateurs. On n’a qu’une vie et l’on doit en prendre la responsabilité.

Les camps de la mort de Treblinka, Auschwitz-Birkenau et Majdanek sont récemment apparus dans vos travaux. Avant la Seconde Guerre mondiale, 75 % de la population de votre ville natale, Otwock, près de Varsovie, était juive et quasiment tout le monde a péri à Treblinka. Est-ce une chose que vous ne pouviez plus ignorer une fois que vous l’aviez appris ?
Je connaissais ces sites, mais je ne faisais pas le lien avec l’endroit où j’ai grandi. Depuis 1989, les pages cachées de l’histoire de la Pologne s’ouvrent peu à peu et j’ai découvert [Otwock] au début des années 1990. Ce processus a pris du temps, et il est toujours en cours. J’ai acheté ma première caméra vidéo en 1998 et le moment était idéal pour faire ce pèlerinage. Avant 1998, les caméras vidéo étaient trop grandes ; c’était la première fois que l’on pouvait en cacher une dans sa poche. J’ai le sentiment que certains de ces sites vont bientôt disparaître – et à travers la sculpture, je collectionne des choses. Je crois que je peux préserver la mémoire de ces sites dans une œuvre d’art. En tant qu’artiste, j’ai l’impression que je peux dire les choses mieux qu’un historien très calé, car [l’Histoire] se contente de traîner sur les étagères d’archives, dans des livres que personne ne lit. J’estime avoir maintenant de très bonnes connaissances sur le sujet, il est donc temps d’user de ce savoir. C’est une sorte de pénitence personnelle. D’une certaine manière je me sens coupable.

Est-il important que l’on connaisse le cadre de ces courts-métrages ? Est-on supposé savoir que les daims dans Bambi cherchent à manger sur le site d’Auschwitz ?
Le processus et le pèlerinage sur ces sites étaient bien plus importants à mes yeux que les images que j’y ai tournées. C’est toujours difficile de trouver le bon équilibre et sans doute en ai-je trop dit. J’aurais dû garder le secret. Mon travail est toujours composé de strates, alors en effet il peut s’agir [d’Auschwitz], mais à la 10e ou à la 11e strate. Mais étant donné la nature tragique du sujet, il finit toujours par surgir en premier. Les choses sont désormais assez difficiles, parce que je suis devenu une sorte d’artiste de l’Holocauste, ce qui n’était pas mon intention. Je suis un artiste travaillant sur la mémoire, mais à cause de la puissance de ces éléments, je ne peux pas m’en dissocier. Mais j’ai l’impression d’être sur le point d’achever une mission, je suis très proche du moment où je pourrai m’éclipser, je me rapproche du terminus.

HOW IT IS, jusqu’au 5 avril, Turbine Hall, Tate Modern, Bankside, Londres, Royaume-Uni, tél. 44 207 887 8888, www.tate.org.uk, tlj 10h-18h, 10h-22h le vendredi et le samedi.

TOPOGRAPHY, jusqu’au 7 mars, Modern Art Oxford, 30 Pembroke Street, Oxford, Royaume-Uni, www.modernartoxford.org.uk, tlj sauf lundi 10h-17h, 10h-20h le jeudi, 12h-17h le dimanche.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°316 du 8 janvier 2010, avec le titre suivant : Miroslaw Balka

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