Musée

Polyptyque

L'esprit du S.M.A.K.

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 17 juillet 2007 - 824 mots

GAND / BELGIQUE

Le musée d'art contemporain de Gand porte un regard exigeant sur des artistes de la scène française à l'intérieur d’un programme qui met en scène huit expositions personnelles.

GAND - Le S.M.A.K. (Stedelijk Museum voor Actuelle Kunst) à Gand (Belgique), initié en 1957 et dirigé depuis 1975 et pendant plus de vingt ans par Jan Hoet, demeure plus que jamais digne de sa réputation. Philippe Van Cauteren, qui en est le directeur artistique depuis la fin 2004 – il y a fait ses classes avant de travailler comme commisssaire indépendant en Europe et en Amérique du Sud – entretient l’ambition de l’institution, comme musée et comme centre d’art, souvent impliqué dans des productions y compris à l’extérieur. L’accrochage en cours depuis la fin du mois de janvier en témoigne, avec la présentation, simultanément à la collection, de pas moins de huit expositions personnelles.
Sans brandir quelque bannière nationale ni de circonstance, le musée fait preuve d’une attention renouvelée à des artistes français. Ainsi, François Morellet présente un ensemble d’œuvres des années 1970, en référence à une pièce acquise par le S.M.A.K. en 1969, d’ailleurs présentée à l’étage avec d’autres issues de la collection (dont deux petits Fontana, deux Marthe Wéry de 1973, une série de « boîtes » murales de Donald Judd de 1975, une structure de Sol LeWitt de 1974). Une dizaine de belles salles sont consacrées au Morellet de cette période de l’« après-GRAV », avec beaucoup de pièces venues de l’atelier de l’artiste et de collections privées, parmi lesquelles un ensemble qui pourrait rejoindre la collection par donation. Au rez-de-chaussée encore, une exposition plus circonstancielle réunit sous le titre « Lost & Found » des artistes vidéo finnois, dont une perle d’installation : le duo Tellervo Kalleinen (1975) et Oliver Kochta Kalleinen (1971) ont filmé à Birmingham, Helsinki, Hambourg et Saint-Pétersbourg des Complaints Choirs (des chœurs de récrimination). La verve collective qui se dégage de l’action et de l’installation est attachante. Deux artistes occupent les salles transversales, Matthias Beckman (allemand, 1965) et sa série de dessins d’observation croqués sur le vif au musée, et Bart Lodewijks (hollandais, 1972), avec, sur les murs, une intervention graphique moins convaincante, sans doute à cause de la nature du lieu.

Entre allégorie et slogan
Dès le hall d’entrée, puis dans les escaliers, les beaux volumes en white cube sont traversés d’inscriptions en lettres rouges dont le principe se lit bientôt : avec Marcelle Duchamp, Annie Warhol, Renée Magritte mais aussi La Corbusier et Miss Van der Rohe, la masculinité de l’histoire de l’art apparaît par le retournement. On identifiera ici, d’autant que le visiteur a reçu avec son ticket d’entrée un badge portant l’un de ces noms, le travail d’Agnès Thurnauer. L’artiste parisienne, vue en 2005 au Palais de Tokyo, à Paris, use dans des tableaux très récents de la lettre et du mot sous forme de rébus et de fragments de récit. Fausses « unes » des magazines Elle, Lui, silhouettes des Nus bleus de Matisse traversées de caractères typographiques, le travail de Thurnauer, sous l’invocation du « Bien fait, mal fait, pas fait » de Filliou, se donne comme un énoncé fin. Ou la peinture comme capacité, par synthèse de codes visuels, de produire un langage entre allégorie classique et slogan pour porter les questions du genre et de la génération.
De l’autre côté du musée, complétant hors de toute pensée convenue le « statement » du S.M.A.K. à l’égard de la discipline, s’impose la faconde d’Anton Henning, artiste berlinois né en 1964 qui a, lui aussi, pris le parti de la peinture dans une œuvre généreuse, jubilatoire, énergique, caustique. Sa production emprunte à l’histoire par les genres (portraits, natures mortes, intérieurs, motifs abstraits et décoratifs) et par la référence à Matisse, à Picasso, à Picabia. Les volumes peints et l’installation en forme de planétarium improbable contribuent à ce ton sans équivalent. Oktogon, décor d’intérieur offert comme une scène de théâtre et composé, meubles compris, par Henning, conforte l’aisance dans la référence et le pastiche d’une œuvre où le second degré est tout sauf cynique, et confirme le sens d’installateur de l’artiste. Comme quoi il existe une autre peinture « allemande » que les démonstrations d’autorité de la production figurative identifiée par son origine de l’Est et beaucoup vue en France !
Le parcours se boucle sur les trois projections très bien installées de Marine Hugonnier (1969, vit à Londres) : des films réalisés en Amazonie, dans les montagnes suisses ou l’Afghanistan en guerre pour des démonstrations un peu sèches sur l’impuissance de l’image. L’énergie sensible de l’ensemble du parcours n’en sera pas remise en cause pour autant.

Matthias Beckmann, jusqu’au 4 mars ; Lost & Found, jusqu’au 18 mars ; Bart Lodewijks, jusqu’au 25 mars ; François Morellet, jusqu’au 1er avril ; Marine Hugonnier, jusqu’au 15 avril ; Anton Henning, jusqu’au 28 avril ; Agnès Thurnauer, jusqu’au 20 mai

S.M.A.K., Citadelpark, Gand, tél. 32 2 221 1703, tlj sauf lundi 10h-18h, www.smak.be

S.M.A.K.

Directeur artistique : Philippe Van Cautelem
Équipe : autour de 60 personnes, dont 4 conservateurs
Création du musée : 1975
Configuration actuelle : depuis 1999
Surfaces d’exposition : 6 500 m2

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°253 du 16 février 2007, avec le titre suivant : L'esprit du S.M.A.K.

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