Lee Ufan : « mon travail est une suggestion »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2014 - 789 mots

Invité au château de Versailles, Lee Ufan a créé dix œuvres sculpturales, toutes de tension subtile, pour les jardins et l’escalier Gabriel.

À Versailles, Lee Ufan investit l’escalier Gabriel et les jardins avec dix œuvres toutes de tension subtile, et notamment une fine arche de métal qui redessine les perspectives.

Selon vous, quelle est l’attitude à adopter pour un artiste confronté à un site tel que Versailles ?

Un artiste fabrique quelque chose et cherche un endroit pour le déposer, il donne donc de l’importance à la fabrication de l’objet. Dans mon cas c’est un peu différent car lorsque je fais de la sculpture, j’essaie de dialoguer avec le lieu. Je cherche donc une idée qui contribue à le valoriser, qui l’ouvre. Versailles est un site qui a une longue histoire et un jardin typiquement français. J’ai été un peu embarrassé au tout début, mais au fil des visites j’ai découvert quelque chose qui me permettait de travailler avec plaisir.

Aviez-vous déjà quelques idées en tête ou cela est-il venu au contact du site ?
Parfois je me rends sur place et c’est là que je trouve la première idée, mais il arrive que des idées soient un peu en sommeil dans mes souvenirs et mes expériences. Par exemple ici, la grande perspective sur le canal, lorsqu’on s’y place, on sent que c’est un lieu ouvert. Il y a une vingtaine d’années environ, lorsque j’étais au Japon, à la campagne, un jour après la pluie j’ai vu un arc-en-ciel sur les rochers et je me suis dit que ce serait une bonne idée de faire une œuvre comme un arc-en-ciel, puis je l’ai complètement oubliée. Mais quand je suis venu à Versailles, ce souvenir m’est revenu en tête à la vue de cette perspective.
L’arche (Relatum – L’Arche de Versailles, 2014) n’est bien évidemment pas un arc-en-ciel, mais il y a pour moi comme une relation, une liaison. Avec l’arche, cet espace déjà ouvert devient un peu plus dynamique, un peu plus grand, un peu plus sec. Je cherche toujours une relation entre l’intérieur de moi et le monde extérieur. C’est dans cette relation que l’œuvre peut se constituer, et je pense que cette exposition est réussie car elle donne à voir cette relation intérieur-extérieur.

La sculpture est-elle pour vous, plus que la création d’une forme, celle d’un espace ?
Je ne crée pas une forme et pas un espace non plus. Je peux peut-être emprunter une petite forme ou un petit espace, mais en empruntant ces choses je fais en fait une suggestion. Et comme mon travail est donc une suggestion, je réduis le plus possible l’installation et j’use d’une manière minimale afin que tout ce qui se trouve aux alentours – ces choses qui étaient restées cachées – devienne visible. Cela permet au spectateur d’aller imaginer quelque chose. Je n’utilise donc pas une forme spécifique ni un style particulier. Ici j’ai mis l’arche en perspective, mais elle n’est elle-même pas importante ; elle est en relation avec le ciel, avec le sol, le canal, le paysage, et elle forme un tout. L’artiste ne peut pas tout fabriquer lui-même. Il fabrique peu de choses et laisse la place à l’espace et à la nature afin qu’ils racontent leur histoire.

Plusieurs de vos œuvres évoquent des questions d’équilibre et de tension…
Il y a dans mes travaux une certaine ambiguïté. C’est-à-dire que, dans une œuvre, il faut avoir la tension mais en même temps il faut avoir la sensation d’être libéré. La question des deux facteurs pose également celle de l’équilibre. Mais il n’y a pas d’harmonie parfaite. C’est un petit peu décalé, et c’est d’ailleurs pour cela que les œuvres deviennent dynamiques, c’est de là que l’on imagine des mouvements. C’est une invitation à l’imagination. Lorsque quelque chose est en harmonie parfaite, cette chose va tout de suite se pourrir. Dans mes œuvres on trouve donc toujours une petite contradiction, mais cette contradiction dégage justement cette sensation de tension et de libération.

Votre travail fait toujours montre d’une grande réduction formelle et d’une économie de moyens. Est-ce relatif à une manière de voir le monde et de l’aborder ?
Nous vivons dans une société de production et de consommation de masse qui est très compliquée et rapide. L’artiste a pour but, je crois, de réduire, économiser, produire le moins possible, toucher le moins de choses possible. Il met ainsi son œuvre en relation avec l’extérieur, ce qui permet de créer une vibration beaucoup plus importante. C’est donc une manière de critiquer la civilisation également.

LEE UFAN VERSAILLES

Jusqu’au 2 novembre, château de Versailles, escalier Gabriel et jardins, place d’Armes, 78000 Versailles, tél. 01 30 83 78 00, www.chateauversailles.fr, tlj sauf lundi 9h-18h30. Catalogue, éd. Réunion des musées nationaux-Grand Palais, 144 p., 35 €.

Légende photo

Lee Ufan, Relatum, L'Arche de Versailles, vue in situ de l'œuvre dans le parc du château de Versailles. © Photo : Tadzio, courtesy de l'artiste, Kamel Mennour, Paris et Pace, New York/Londres.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°417 du 4 juillet 2014, avec le titre suivant : Lee Ufan : « mon travail est une suggestion »

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