Belle de Mai

Le psychédélisme éclairé d’Arnaud Maguet

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 17 juin 2014 - 715 mots

Avec humour, la prise de position d’Arnaud Maguet face au psychédélisme est prétexte à s’intéresser à des mouvements « révolutionnaires » et à la nostalgie qui les accompagne.

MARSEILLE - Ce sont les seuls objets accrochés au mur, discrètement, en hauteur dans des coins. Si discrètement qu’il serait fort possible de visiter cette exposition sans les voir. Des pédales de delay, utilisées par les guitaristes pour produire des effets sonores basés sur le décalage temporel et un effet d’écho, semblent avoir muté en des explosifs potentiels, étant là reliées à de petits blocs de céramique grise semblables à des pains de plastic (Derniers delays, 2013).

Alors, terroriste Arnaud Maguet ? En un certain sens oui, qui inlassablement s’emploie à dynamiter les conventions et les habitudes du conformisme culturel. Dans l’ample galerie coiffant la Tour Panorama de la Friche Belle de Mai, à Marseille, l’artiste a inauguré dans le cadre du Printemps de l’art contemporain – rendez-vous désormais annuel qui, le temps d’un week-end, fédère les énergies artistiques de la ville – une exposition, où la plupart des œuvres sont encloses derrière des palissades formant une cabane en bois brut, une Grange aux mille plaisirs (2014) ainsi que nommée. L’esthétique du juke joint – ces cabanes informelles qui dans le sud des États-Unis servaient de lieu de rassemblement aux amoureux du blues – n’est chez lui pas nouvelle. On a pu les voir notamment en 2011 lors du Nouveau festival du Centre Pompidou. Mais la structure ici prend de l’ampleur en ce qu’elle rassemble en son sein plusieurs types de travaux permettant de lire une synthèse des préoccupations exprimées par l’artiste au cours des années écoulées. Construite avec du bois de coffrage destiné à être jeté, soit le plus brut et le moins onéreux, elle constitue une situation autant qu’une invitation, un lieu de rassemblement, manière d’insister sur l’idée de communauté essentielle dans son travail. Des groupes de musique viennent en général y performer, de même qu’ici quelques pièces d’autres artistes ont été incluses dans l’accrochage.

Détournement de réflexions
Si cette idée de communauté – que l’on retrouve à l’extérieur avec un paravent noir intitulé Mes camarades et moi-même (2014) et dont la forme évoque un alignement de membres du Ku Klux Klan – est centrale, c’est que la réflexion et le travail de Maguet interrogent précisément comment les structures de groupes, les rassemblements, voire les sociétés plus ou moins secrètes, parviennent à faire éclore des idées et mouvements créatifs voulus révolutionnaires, mais qui parfois entretiennent des formes de nostalgie déraisonnables et obsolètes. Ainsi, poser frontalement dans le titre de l’exposition la question a priori absurde « Le psychédélisme est-il mort ou vivant ? » est-il une manière d’amorcer une réflexion sur la disparition des avant-gardes et la manière dont des phénomènes de groupe, ici les acteurs de la Beat Generation ou là les promoteurs du psychédélisme, ont géré cet état de fait. Sous couvert de la dérision, le constat dressé est critique : « nous avons enchaîné des périodes de compilations, où beaucoup d’artistes relisaient au lieu de détruire le père », relève Maguet. Le constat – et c’est là tout le sel de son travail – se dresse dans des formes savoureusement décalées, souvent en référence à la musique. Comme cette vitrine fixée au mur dans laquelle quatre perruques s’agitent au gré de l’air produit par un petit ventilateur : une allusion directe à l’air frais généré par la pop music et notamment celle des quatre garçons dans le vent, dont les moindres souvenirs sont aujourd’hui devenus des reliques (Reconstitution 2 (A Hard Day’s Night), 2013). Ou encore cette photo de la main de l’artiste les doigts coiffés de têtes de crevettes, inspirée d’une pochette des Residents aux visages remplacés par des têtes d’écrevisses et une étoile de mer et qui elle-même détournait une image des Beatles (Modeste hommage aux Residents, 2010). Ou encore ces magnifiques tissus tie and dye, très psychés ceux-là, ayant achevé leur voyage terrestre ou astral dans de sages encadrements (Le phénomène hippie, 2008). Derrière la scène occupant le fond des lieux, la lumière et la ville percent à travers un étrange rideau qui altère quelque peu la vision. Il est confectionné avec des rigatonis. Vous avez dit révolutionnaire ?

ARNAUD MAGUET

Commissariat : Association Sextant & plus
Nombre d’œuvres : 18

ARNAUD MAGUET. LE PSYCHÉDÉLISME EST-IL MORT OU VIVANT ?

Jusqu’au 3 août, Friche Belle de Mai, 41, rue Jobin, 13003 Marseille, tél. 04 95 04 95 95, www.lafriche.org, tlj sauf lundi 13h-19h.

Légende photo
Arnaud Maguet, Ni voix ni maître, 2014, céramique, engobe noir, platines disque, métal, ampoule et câble. © Photo : Maud Chavaillon.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°416 du 20 juin 2014, avec le titre suivant : Le psychédélisme éclairé d’Arnaud Maguet

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