MONTPELLIER
Fermé depuis 2017, le Carré Sainte-Anne de Montpellier rouvre ses portes au public. Pour célébrer cette renaissance, l’artiste JR investit la nef avec Adventice, une œuvre participative mêlant mémoire collective et poésie visuelle.
Est-ce une colonne de pierre qui a pris racine dans le sol de cette église transformée en espace d’exposition d’art contemporain pour y devenir arbre ? Ou est-ce une graine qui se serait glissée entre deux pavés, et aurait germé, poussé, déployé ses branches ? En pénétrant dans la nef du Carré Sainte-Anne, ancienne église néogothique, nos yeux s’écarquillent face cet arbre semblable à ceux des contes de fées qui abritent une vie invisible. Il ouvre ses branches et nous invite sous son ombre projetée au sol. Ses branches ? Ou bien ses bras ? Car si on lève les yeux, on s’aperçoit que ses feuilles, accrochées aux branches ou suspendues, volant autour de lui, sont en réalité des mains. Des mains blanches, découpées dans du papier. Des mains de Montpelliérains qui les impriment sur place et les découpent, ou celles de personnes du monde entier, ayant envoyé les leurs, afin qu’elles soient suspendues là pour faire vivre cette œuvre imaginée par l’artiste JR (né en 1983). « Seulement 20 % des habitants de Montpellier sont nés dans la ville. Je me suis inspiré pour cette œuvre de l’histoire des drapiers qui se sont installés ici au Moyen Âge, au bord du Lez. La laine venait de tout le pourtour méditerranéen, jusqu’à l’Égypte, et même de la vallée de l’Hindus (Pakistan moderne). Or, en lavant cette laine, ils en ont libéré des graines, qui ont germé le long du fleuve, dont la végétation est tout à fait étonnante », raconte JR.
L’artiste, célébré depuis une vingtaine d’années pour ses photographies monumentales en noir et blanc collées dans l’espace public – des murs de banlieue parisienne au Panthéon, en passant par le mur de séparation entre Israël et la Palestine ou les favelas de Rio de Janeiro – a été choisi pour marquer la réouverture du Carré Sainte-Anne, fermé depuis 2017 pour travaux. « C’est un artiste qui s’adresse aussi bien aux amateurs d’art contemporain qu’aux néophytes et, surtout, il est capable de créer une œuvre à la fois universelle et profondément ancrée dans un territoire », raconte Numa Hambursin, directeur du Mo.Co. (Montpellier Contemporain), en charge du Carré Sainte-Anne avant la nomination de la personne qui prendra les rênes de la programmation de ce lieu très aimé par les Montpelliérains.
Ces derniers attendaient sa réouverture depuis huit ans. Au cœur de l’Écusson, centre historique de Montpellier, le clocher de l’ancienne église Sainte-Anne, culminant à 69 mètres reste le point le plus élevé de la ville et un repère pour de nombreux habitants et amateurs d’art. La première pierre de cet édifice emblématique de la ville a été posée en 1866, sur décision d’un maire protestant, Jules Pagézy, et de son adjoint Gaston Bazille, père du peintre Frédéric Bazille. « Montpellier gardait alors un souvenir douloureux des guerres de Religion particulièrement violentes, qui avaient déchiré la ville. En faisant construire une église alors que le pouvoir et les richesses de la ville se concentraient dans les familles protestantes, le maire a voulu faire un geste d’apaisement », raconte Numa Hambursin. Dans les années 1980 cependant, le nombre de fidèles s’est réduit, et ces derniers se sont davantage attachés à la cathédrale, ou à l’église Saint-Roch. L’église est alors désacralisée et est devenue un lieu d’exposition d’art contemporain : le Carré Sainte-Anne. « La ville ne possédait pas d’autre espace pour l’art contemporain », se souvient Numa Hambursin. « J’ai choisi des artistes actuels capables de s’emparer des dimensions monumentales de ce lieu et d’y présenter des œuvres en écho avec sa spiritualité. Il n’était pas question de produire pour ce lieu des pièces subversives pour choquer le bourgeois, mais de créer des œuvres qui nous interrogent sur les grandes questions de notre existence : la vie, l’amour, la mort… », explique Numa Hambursin.
Depuis sa réouverture en mai, le Carré Sainte-Anne accueille entre 1 000 et 4 000 visiteurs par jour. L’entrée se fait par le porche historique, redonnant toute sa majesté à l’expérience de visite. Le chœur, autrefois masqué, a été révélé. Les décors peints des colonnes néogothiques ont été restaurés. Au centre de la nef, l’arbre de JR pulse doucement : si l’on s’en approche, on peut entendre battre un cœur ou le ressac d’une vague. On s’y blottit, on l’écoute, comme on le ferait avec un être vivant.
Et peut-être quelques graines tombées de cet arbre appelé Adventice pour jouer sur le mot latin adventis qui désigne la « mauvaise herbe » si poétiquement réhabilitée germeront-elles à leur tour, éveillant chez les visiteurs, même les plus éloignés de l’art, l’envie de pousser les portes d’autres lieux d’art contemporain de Montpellier – le Mo.Co., le Musée Fabre et ses collections d’art moderne et contemporain, le Frac Occitanie, ou encore des espaces plus intimistes comme le Pavillon Populaire ou l’Espace Dominique-Bagouet, qui rouvriront bientôt, après rénovation, l’Espace Saint-Ravy, ou les galeries indépendantes de la ville…
« J’ai découvert Montpellier vers 2002-2003, quand je passais de ville en ville pour faire des “expos de rue”. Je suis touché d’y revenir aujourd’hui, au Carré Sainte-Anne, ce lieu sublime, gratuit et fédérateur. J’ai donné à mon œuvre collaborative – un arbre dont les feuilles sont des mains imprimées – un nom qui vient du latin advenire : Adventice. Le mot adventis désigne aussi ces « mauvaises herbes » dont on se rend compte aujourd’hui qu’elles sont essentielles à la construction de la végétation. Les feuilles de cet arbre sont constituées des mains imprimées et découpées de personnes du monde entier et, sur place, les visiteurs du Carré Sainte-Anne sont invités à scanner et imprimer les leurs, et les découper pour qu’elles soient accrochées aux branches. Ce processus de fabrication, très manuel et collaboratif, est essentiel dans l’œuvre : il fait qu’on se sent exister, ensemble », JR.
Fier clocher
Haut de 69 mètres, le clocher de Sainte-Anne signe la silhouette de la ville : un « panorama remarquable » né au XIXe siècle de la volonté de la municipalité, envieuse des fiers clochers de Narbonne ou Béziers. Avant l’édification de Sainte-Anne, Montpellier ressemblait, vue de loin, à « un tas de pierres sortant de la carrière », pour reprendre les mots Gaston Bazille, père du peintre Frédéric Bazille, et premier adjoint au maire Jules Pagézy, lorsqu’il présente au conseil municipal les plans dessinés par l’architecte Jean Cassan pour la construction de la nouvelle église, en juillet 1862. Dix ans plus tard, l’église de style néogothique est achevée.
Un chantier d’envergure
Entièrement restauré, le Carré Sainte-Anne a retrouvé son éclat. Le montant du chantier de rénovation s’élève à 5 millions d’euros. Pas moins de 30 entreprises et 200 ouvriers spécialisés ont consolidé les piliers, restauré les façades extérieures et intérieures, les décors peints, la toiture, la charpente, la zinguerie, mais aussi le plafond, dont la réfection a redonné tout leur lustre aux couleurs d’origine, et les anciens vitraux. L’aménagement du Carré Sainte-Anne a libéré 700 m2 d’exposition, agencés de la nef jusqu’au chœur, désormais accessibles depuis le porche historique.
Une programmation populaire et exigeante
« Les visiteurs du Carré Sainte-Anne, gratuit et ouvert sur la ville, ne sont pas forcément ceux des centres d’art contemporain comme le Mo.Co.. Il me semble donc essentiel que la programmation soit à la fois populaire et exigeante », remarque Numa Hambursin, directeur du Mo.Co. et responsable de la programmation du Carré Sainte-Anne en attendant la nomination de la personne qui prendra la direction du lieu. Des artistes de renommée internationale tels que Gérard Garouste, Hervé Di Rosa, Jean-Michel Othoniel, Chiharu Shiota, JonOne, Barthélémy Toguo y ont été exposés.
Du côté du Mo.Co.
Et si on prolongeait la visite du Carré Sainte-Anne par celle du Mo.Co. ? Cette institution singulière réunit une école d’art et deux centres d’art contemporain, le Mo.Co. Panacée, laboratoire de la création contemporaine installé dans l’ancien collège royal de médecine et le Mo.Co., qui consacre jusqu’au 2 novembre une grande exposition monographique à Françoise Pétrovitch [lire page 96], rassemblant près de 130 œuvres réalisées entre 1994 et 2025.
« Sur un os, Françoise Pétrovitch »,
Mo.Co., 13, rue de la République, Montpellier (34), jusqu’au 2 novembre, www.moco.art
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Le Carré Sainte-Anne, spirituel et fédérateur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°789 du 1 octobre 2025, avec le titre suivant : Le Carré Sainte-Anne, spirituel et fédérateur








