On pourrait croire les robes et les coiffes des Arlésiennes dépassées. Le tout nouveau Musée de la mode et du costume, ouvert par la Maison Fragonard à Arles, décape notre regard par une scénographie contemporaine, signée par le Studio KO.

Le temps a-t-il inversé son cours ? L’hôtel Bouchaud de Bussy, dans une ruelle du cœur d’Arles, a oublié son passé récent, où il abritait une clinique dans laquelle accouchaient les Arlésiennes, avant de devenir un hôtel de tourisme… Au terme de cinq années de travaux, il a retrouvé la beauté de sa façade et ses volumes du XVIIe siècle. Derrière la porte de l’élégante façade de cet édifice acquis en 1723 par ce conseiller du roi au siège d’Arles dont il a gardé le nom, s’est établi le tout nouveau Musée de la mode et du costume, ouvert par la Maison Fragonard pour célébrer l’histoire de la mode arlésienne. Folklorique ? Au contraire. Les robes des Arlésiennes comme les costumes masculins s’y sont débarrassés de leur poussière, pour apparaître absolument modernes. À moins que ce soient nos yeux qui s’étaient émoussés en attendant ce musée…D’emblée, ce dernier les décape et les taille comme on taille un diamant grâce à une scénographie raffinée et très contemporaine, signée par l’agence Studio KO. Dès la première salle, on se sent des yeux de mouche aux mille facettes, gourmands de saisir la diversité et la richesse des trésors présentés. Du sol au plafond-miroir, robes, bijoux et autres accessoires provençaux, des rubans à la coiffe, en passant par l’éventail, le peigne, le corsage, la croix en perles de corail ou les souliers de satin ornent les murs sombres, se réfléchissent et se multiplient, disposés dans de petites niches qui semblent celles d’un cabinet de curiosités ou d’une boutique fine d’Ali Baba, hors du temps. « Nous avons voulu donner à voir et expérimenter ce moment où un collectionneur déniche des objets, qui entreront ensuite en résonance les uns avec les autres », explique l’historien de la mode et spécialiste du costume arlésien, Clément Trouche, directeur du nouveau musée.
Au rez-de-chaussée de cette maison qui a retrouvé son charme d’antan, ainsi que la beauté de son escalier et de sa cour intérieure, on retrouve l’esprit des lieux. Comme dans une demeure ancienne, recelant coins et recoins, apparaît soudain dans un renfoncement une robe de bal couleur du soleil, mariant le raffinement parisien du XVIIIe siècle à l’identité provençale… Et plus loin, en traversant le couloir et en tournant la tête, on tombe sur une silhouette d’Arlésienne de dos, vêtue de soie et de dentelles couleur crème, que l’on peut admirer sous toutes les coutures grâce à un délicat jeu de miroirs.Comment s’étonner dès lors que la Vénus d’Arles, cette statue de marbre découverte non loin de là, près du théâtre antique, en 1651, et dont le roi Louis XIV tomba si amoureux qu’il la ramena avec lui à Versailles, nous accueille au bas de l’escalier d’époque ? « L’original est aujourd’hui au Louvre, mais ce moulage en plâtre évoque la beauté éternelle des Arlésiennes », confie Clément Trouche. Éternelle ? En effet, à l’étage, après avoir gravi l’escalier de pierres blanches en se tenant délicatement à sa rampe en fer forgé, surmonté d’un drapé évoquant le commerce fluvio-maritime qui a favorisé l’essor de la mode arlésienne, l’exposition « Collections collection » montre qu’au fil des siècles les Arlésiennes ont su conserver leur beauté. « Au XVIIIe siècle, ces dernières qui bénéficient des arrivages de textiles du monde entier via le Rhône et la Méditerranée, se prennent de passion pour la mode, qui devient pour elles un véritable langage et un vecteur d’expression de soi », raconte Clément Trouche.
On entame ce voyage dans l’histoire de la mode provençale en s’engageant dans un couloir dont les enduits sont de plus en plus sombres, jusqu’à devenir noirs. Choisis parmi les 10 000 pièces des collections Costa et Pascal, les costumes – rubans de coiffe, boucles d’oreilles, corsages ou jupes – forment une quarantaine de silhouettes qui reprennent vie, habillées du XVIIIe siècle à nos jours. « C’est grâce à la richesse des collections d’Hélène Costa et de celle d’Odile et Magali Pascal que nous avons pu les reconstituer, après un important travail d’archéo-stylisme, passant par des recherches sur le contexte et la datation de chaque élément », explique Clément Trouche. Un travail de fourmi titanesque, lorsque l’on sait qu’une Arlésienne peut alors composer sa tenue d’une coiffe en mousseline de Cambrai, de dentelles des Flandres, d’un droulet – dos de robe – taillé dans une toile imprimée à Jouy-en-Josas, d’un tablier en indienne d’Alsace et même d’une jupe brodée au Gujarat, en Inde.Scandée de portraits d’Arlésiennes qui leur donnent chair, la balade de ces silhouettes s’apparente à un défilé de mode. D’ailleurs, au XIXe siècle, les Arlésiennes rivalisaient de créativité pour confectionner une année durant le costume qu’elles porteraient pour la « Grande promenade » du mois d’août. « Dans les archives, on retrouve l’article d’un journaliste qui s’émerveillait de la robe couleur melon, rehaussé d’un tablier vert et d’un corsage aux manches noires portée par une certaine Mademoiselle G.. Nous avons pu reconstituer sa tenue et la présenter dans une vitrine ! », se réjouit Clément Trouche. Ce n’est pas tout. Le journaliste décrit aussi la coiffe de la demoiselle, et ses deux mèches de cheveux enroulées en escargot. Un article, l’année suivante, rapporte que toutes les Arlésiennes se sont coiffées à la façon de Mademoiselle G.… Mesdames, à vos peignes !
« Et l’Arlésienne, plus belle que toutes, avec ses yeux noirs et sa bouche de sang, porte le voile de la jeune femme provençale », décrit Alexandre Dumas, au sujet de ces Arlésiennes qui ont aussi fasciné les peintres. À Arles, au Musée de la mode et du costume, les voilà donc qui reprennent vie, grâce à la rencontre de deux collections – celle d’une mère et une fille, Magali et Odile Pascal, collectionneuses passionnées de costumes arlésiens, et celle de trois sœurs, Anne, Agnès et Françoise Costa, qui dirigent la Maison Fragonard. Ces dernières avaient déjà créé en 1997 le Musée provençal du costume et du bijou à Grasse pour rendre hommage à la somptueuse collection de leur mère, Hélène Costa. Avant le décès de Magali Pascal, les sœurs Costa s’étaient engagées à acquérir sa collection, pour la conserver et lui offrir un écrin d’exposition. Le fonds de la collection Costa compte ainsi aujourd’hui pas moins de 10 000 pièces, dont l’exposition « Collections collection » révèle la beauté à travers une quarantaine de silhouettes du XVIIIe au XXe siècle.
Dans l’œil de Charles Fréger
On pénètre dans une salle obscure. Sur les murs, dans des ovales évoquant aussi bien des miroirs, des fenêtres, ou des trous de serrure, en contre-jour, des Arlésiennes s’habillent, nouent leurs corsets, ajustent leurs coiffes. Dans ce ballet chorégraphié d’ombres chinoises, le photographe Charles Fréger (né en 1975), célèbre pour ses portraits en costumes traditionnels, nous invite avec poésie à contempler le savoir-faire toujours vivant des Arlésiennes d’aujourd’hui, qui continuent à porter leurs costumes lors des fêtes traditionnelles ou de la vie privée.
La scénographie, entre tradition et modernité
Restauré pendant cinq ans, l’édifice a retrouvé la beauté de sa façade, de son escalier, de sa cour des XVIIe et XVIIIe siècles. Mais pas question pour les architectes Karl Fournier et Olivier Marty, dont l’agence Studio KO a réalisé le Musée Yves Saint Laurent à Marrakech, de « singer » le passer. « Les Arlésiennes étaient à la pointe de la mode. Nous avons voulu créer pour leurs costumes un écrin très contemporain, avec des vitrines traversantes, des jeux de miroirs, des murs noirs, pour les mettre en valeur », explique Karl Fournier.
Antoine Raspal, peintre de mode
Peintre arlésien par excellence – son tableau de l’atelier de couture de ses sœurs, conservé au Musée Réattu, est sans doute La Joconde de la ville –, Antoine Raspal (1738-1811) s’est attaché à réaliser de nombreux portraits, très précis et détaillés, d’Arlésiens et d’Arlésiennes en costumes. Ces véritables portraits de mode, qui font la publicité de l’atelier de couture de ses sœurs, marquent le début de l’imagerie de la mode dans cette petite ville pourtant bien loin de la cour. Aujourd’hui, ils donnent vie et chair aux costumes de ce nouveau musée arlésien.
Les Arlésiennes, les plus grandes des fashionistas
Au XVIIIe siècle, les femmes confectionnent leurs robes et leurs accessoires, scrutent la mode de la cour, s’affranchissent des codes des vêtements régionaux et lancent des tendances. « Une Arlésienne peut posséder un nombre de robes étourdissant », relate Clément Trouche. Elle peut ainsi changer complètement de tenue d’un jour à l’autre, et faire du vêtement un véritable langage, participant à une forme de liberté d’expression. Parmi les pièces majeures de la garde-robe, la coiffe ne cesse d’évoluer depuis son apparition dans les années 1820.
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L’Arlésienne dévoile ses costumes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°788 du 1 septembre 2025, avec le titre suivant : L’Arlésienne dévoile ses costumes








