Architecture

La Morgan Library

Piano livre l’extension de la Morgan

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 4 novembre 2005 - 699 mots

Voici tout juste trente ans, lors d’une escapade à New York, pousser la porte de la Morgan Library était en quelque sorte comme pousser celle du saint des saints, avec, en prime, le sentiment d’appartenir à une rare coterie de « happy few ». Non pas que la bibliothèque entretînt le mystère, l’exclusion ou le regret, mais les temps alors n’étaient pas ce qu’ils sont devenus. Les « scholars », les savants, les chercheurs, comme en tout lieu et à toute époque, rasaient les murs ; et quant aux visiteurs des expositions qui s’y déroulaient, ils étaient rares, attentifs et discrets. Bref, la Morgan Library dispensait, au cœur de Manhattan, une atmosphère digne de la Bibliothèque vaticane.
Le parallèle n’est pas innocent si l’on considère que la collection de manuscrits à peintures, d’incunables, de livres rares et précieux, de manuscrits et d’autographes de la Morgan est la quatrième en importance au monde. Après celles de la Bibliothèque vaticane, justement, de la British Library et de notre Bibliothèque nationale de France (BNF).
Mais revenons aux sources. Le banquier et financier John Pierpont Morgan (1837-1913) appartenait à cette race de géants qui, à l’instar des Cabot, des Carnegie, des Guggenheim, des Lodge, des Rockefeller ou encore des Vanderbilt, édifièrent les États-Unis d’Amérique. Et qui n’eurent de cesse d’y apporter, coûte que coûte, la culture européenne. Amateur éclairé, collectionneur avisé, il constitua une collection d’une importance et d’une qualité éblouissantes. Habitant une élégante « brownstone » au coin de Madison Avenue et de la 37e Rue, il fit édifier par le cabinet McKim, Mead & White sur la 36e Rue, entre 1902 et 1906, une sorte de petit palais dans le goût de la Renaissance italienne pour abriter ses œuvres. Après sa mort, son fils Jack prit sa suite et enrichit la collection, jusqu’à ce qu’il décide, en 1924, de la transformer en fondation et de rendre ses trésors accessibles. Il fit édifier quatre ans plus tard par Benjamin Wistar Morris une annexe afin de donner plus d’ampleur à l’ensemble.

Symboliques et maîtrise
Dès les années 1980, le « board » de la Morgan Library pensa à des agrandissements. Mais ce n’est qu’à l’extrême fin des années 1990 qu’un concours fut lancé. Aucun des projets ne fut retenu et, en juillet 2000, le directeur de la bibliothèque, Charles E. Pierce Jr, passa une commande directe à Renzo Piano, dont chacun sait le talent qu’il a de concevoir et de réaliser des institutions culturelles : le Centre Pompidou à Paris, la Menil Foundation à Houston, le Centre culturel Jean-Marie-Tjibaou à Nouméa (Nouvelle-Calédonie), la Fondation Beyeler à Bâle, entre autres, sont là pour en témoigner.
En avril 2006, Piano livrera donc ses nouveaux espaces pour une surface totale de 6 500 m2 (soit une augmentation d’un tiers de la surface globale) et un budget de 102 millions de dollars (85 millions d’euros). 6 500 m2 dont 4 000 m2 sont enterrés. Piano l’a voulu ainsi (bien qu’à New York, si les immeubles semblent jaillir directement du sol, rien ne soit très profondément établi) afin de garder à l’ensemble une justesse d’échelle qui ne dénature en rien l’ordre et la sensation générés par les trois bâtiments préexistants : la « brownstone », le « palazetto » et l’annexe. Le programme quantitatif établi (qui comportait notamment un auditorium de 298 places), le programme qualitatif fut très lapidairement mais clairement exprimé en trois mots par Pierce : « Élégance, beauté, sérénité. »
Comme à son habitude, Piano y parvient. Et s’il aime, nonobstant les 4 000 m2 enterrés, faire référence à l’iceberg, le programme est toutefois parfaitement respecté. La symbolique de la fonction, puisque si la salle de lecture est dorénavant située dans les hauteurs du bâtiment neuf, elle conserve une galerie qui la ceinture et sans laquelle une bibliothèque ne saurait être une bibliothèque. La symbolique du lieu, puisque, malgré l’occupation totale du terrain, il a su ménager suffisamment de traversées, de découvertes, d’« échappées belles » pour que le regard file et embrasse aisément l’ensemble.
Enfin, la maîtrise avec laquelle il plie l’acier et le verre extra-blanc, auquel il donne un aspect proche du cristal, témoigne de son respect du programme : élégance, beauté, sérénité.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°224 du 4 novembre 2005, avec le titre suivant : La Morgan Library

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque