Biennale

Jean-Jacques Aillagon : « Les artistes se nourrissent des travaux et des alarmes des scientifiques »

Par Olivier Celik · L'ŒIL

Le 23 avril 2025 - 904 mots

Co-commissaire de l’édition 2025 de la Biennale de Nice avec Hélène Guenin, Jean-Jacques Aillagon évoque l’importance d’une manifestation entièrement tournée vers la mer, ses imaginaires et ses fragilités.

Pourquoi avoir choisi la thématique de la mer en 2025 ?

Les précédentes Biennales ont toutes abordé des thématiques qui concernaient la mémoire de la ville de Nice comme Cinéma (2019), à l’occasion du centenaire des Studios de la Victorine, ou École de Nice (2017), à l’occasion du 70e anniversaire de la création de l’école de Nice. Le sommet des Nations Unies sur l’Océan (UNOC) se tenant à Nice cette année, au mois de juin, il nous a semblé opportun de nous emparer de cette thématique-là puisque son retentissement est fort, à la fois dans l’histoire de la ville et dans sa mémoire. Que la protection des milieux marins soit une urgence pour notre temps est évident, surtout à un moment où, avec une terrible inconséquence, certains gouvernements en nient la priorité. Que beaucoup d’artistes se soient emparés de cette thématique est par ailleurs le signe de l’acuité de leur regard et, d’une certaine façon, de leur engagement.

Comment s’organisent la Biennale et ses temps forts ?

Le programme de la Biennale, présenté sous le titre de « La mer autour de nous », emprunté à l’ouvrage de Rachel Carson, de 1951, associe des expositions historiques à des expositions et des installations in situ. Chaque musée, chaque institution s’inscrit dans ce programme selon sa vocation propre. Si l’exposition du Musée Masséna, « Nice, du rivage à la mer », parcourt près de trois millénaires d’histoire maritime de Nice, le Musée de la photographie, Le 109 et la Villa Arson mettent en avant, dans la perspective de notre thématique, le travail d’artistes contemporains. L’exposition du Musée Matisse souligne à quel point la découverte des rivages méditerranéens a été déterminante dans l’œuvre de l’artiste né loin d’eux, au Cateau-Cambrésis.

Vous avez l’ambition de proposer « une traversée des temps et des imaginaires ». Que recouvre cette formule ?

La traversée des temps souligne la dimension historique de certaines des expositions qui nous parlent d’un temps reconstitué, quasiment ressuscité, comme l’exposition du Musée d’archéologie « Mémoires du fond des mers », ou celle du Musée Terra Amata « Des hommes préhistoriques à la plage ». Quant aux imaginaires, ce sont ceux des artistes qui, à partir du XVIIIe siècle, et « l’invention du rivage » si bien décrit par l’historien Alain Corbin, se sont attachés à représenter la mer avec souvent émerveillement, parfois crainte de ses excès, et aujourd’hui vigilance et même angoisse. Un artiste comme Racca Vammerisse dont les œuvres cohabiteront avec celles du Musée des beaux-arts revisite, en céramique, les formes de l’univers marin les plus étranges. Au Palais Lascaris, de façon très poétique, Anne-Laure Wuillai présente dans l’ancienne pharmacie une sorte d’échantillonnage méthodique des eaux de la mer. Quant à Ugo Schiavi, au centre culturel Le 109, c’est par toutes ses atmosphères successives, de contemplation, d’étonnement, de crainte, qu’il nous fait passer en explorant l’univers des abysses – entremêlant imaginaires de la science-fiction et questionnements contemporains sur les grands fonds.

Depuis plus d’une vingtaine d’années, artistes et scientifiques se retrouvent sur les problématiques autour de la mer. Que sort-il de cette collaboration ? S’agit-il de collaborations au sens propre ou plutôt de chemins parallèles ?

C’est en tout cas un territoire que parcourent depuis longtemps deux Fondations qu’Hélène Guenin, co-commissaire générale, a tenu à associer à notre travail, la Fondation Tara Océan et la Fondation TBA21 (Thyssen-Bornemisza Art Contemporary). Souvent, les artistes se nourrissent des travaux et des alarmes des scientifiques. En retour, les scientifiques, trouvent dans les œuvres des artistes la meilleure expression possible de leurs travaux, de leurs mises en garde et de leurs avertissements. La Biennale donne lieu, tout au long de l’année 2025, à l’organisation d’une université de la mer et des océans dont le programme conjugue des interventions de scientifiques et de créateurs, plasticiens, écrivains, musiciens et metteurs en scène. La partie du programme que parraine plus particulièrement la Fondation Tara avec le Musée d’art moderne et d’art contemporain de Nice (MAMAC) et Centre d’arts et de culture, L’Artistique, a pour thème « Porter la voix de l’océan ».

La Biennale peut-elle peser sur les décisions politiques alors que se tient en juin à Nice la conférence de l’ONU, qui doit déboucher sur un traité ?

On ne peut que le souhaiter d’autant que, pour la première fois, la Biennale s’installe, dans l’espace public, avec des œuvres importantes de Laure Prouvost, Shilpa Gupta, Nicolas Floc’h [lire p. 38], Choi+Shine, Emmanuel Régent et Joël Andrianomearisoa.

Quels sont les messages que la Biennale peut adresser à ses visiteurs ?

J’en vois deux principalement : le premier, c’est que, si la mer appartient à notre histoire, en l’occurrence à celle de Nice, elle doit également appartenir à notre présent et à notre avenir. Le deuxième, c’est qu’il faut à la fois se laisser aller aux émerveillements que procure son spectacle, mais aussi être capable de mesurer à quel point elle est fragile, souvent menacée et donc digne de notre intérêt et nos actions.

 

Naît à Metz. Il suit des études supérieures d’histoire de l’art à l’université de Toulouse, puis à Paris-Nanterre
1993-1996
Directeur des affaires culturelles de la mairie de Paris
1996-2002
Président du Centre-Pompidou
2002-2004
Ministre de la Culture
2004-2005
Président de TV5 Monde
2007-2011
Président de l’établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles
Depuis 2018
Directeur général de Pinault Collection
À voir
Biennale des arts et de l’océan à Nice,
du 1er mai au 31 octobreProgramme de la biennale sur www.anneedelamer.nice.fr

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°785 du 1 mai 2025, avec le titre suivant : Jean-Jacques Aillagon : « Les artistes se nourrissent des travaux et des alarmes des scientifiques »

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque