Co-commissaire de l’édition 2025 de la Biennale de Nice avec Hélène Guenin, Jean-Jacques Aillagon évoque l’importance d’une manifestation entièrement tournée vers la mer, ses imaginaires et ses fragilités.
Les précédentes Biennales ont toutes abordé des thématiques qui concernaient la mémoire de la ville de Nice comme Cinéma (2019), à l’occasion du centenaire des Studios de la Victorine, ou École de Nice (2017), à l’occasion du 70e anniversaire de la création de l’école de Nice. Le sommet des Nations Unies sur l’Océan (UNOC) se tenant à Nice cette année, au mois de juin, il nous a semblé opportun de nous emparer de cette thématique-là puisque son retentissement est fort, à la fois dans l’histoire de la ville et dans sa mémoire. Que la protection des milieux marins soit une urgence pour notre temps est évident, surtout à un moment où, avec une terrible inconséquence, certains gouvernements en nient la priorité. Que beaucoup d’artistes se soient emparés de cette thématique est par ailleurs le signe de l’acuité de leur regard et, d’une certaine façon, de leur engagement.
Le programme de la Biennale, présenté sous le titre de « La mer autour de nous », emprunté à l’ouvrage de Rachel Carson, de 1951, associe des expositions historiques à des expositions et des installations in situ. Chaque musée, chaque institution s’inscrit dans ce programme selon sa vocation propre. Si l’exposition du Musée Masséna, « Nice, du rivage à la mer », parcourt près de trois millénaires d’histoire maritime de Nice, le Musée de la photographie, Le 109 et la Villa Arson mettent en avant, dans la perspective de notre thématique, le travail d’artistes contemporains. L’exposition du Musée Matisse souligne à quel point la découverte des rivages méditerranéens a été déterminante dans l’œuvre de l’artiste né loin d’eux, au Cateau-Cambrésis.
La traversée des temps souligne la dimension historique de certaines des expositions qui nous parlent d’un temps reconstitué, quasiment ressuscité, comme l’exposition du Musée d’archéologie « Mémoires du fond des mers », ou celle du Musée Terra Amata « Des hommes préhistoriques à la plage ». Quant aux imaginaires, ce sont ceux des artistes qui, à partir du XVIIIe siècle, et « l’invention du rivage » si bien décrit par l’historien Alain Corbin, se sont attachés à représenter la mer avec souvent émerveillement, parfois crainte de ses excès, et aujourd’hui vigilance et même angoisse. Un artiste comme Racca Vammerisse dont les œuvres cohabiteront avec celles du Musée des beaux-arts revisite, en céramique, les formes de l’univers marin les plus étranges. Au Palais Lascaris, de façon très poétique, Anne-Laure Wuillai présente dans l’ancienne pharmacie une sorte d’échantillonnage méthodique des eaux de la mer. Quant à Ugo Schiavi, au centre culturel Le 109, c’est par toutes ses atmosphères successives, de contemplation, d’étonnement, de crainte, qu’il nous fait passer en explorant l’univers des abysses – entremêlant imaginaires de la science-fiction et questionnements contemporains sur les grands fonds.
C’est en tout cas un territoire que parcourent depuis longtemps deux Fondations qu’Hélène Guenin, co-commissaire générale, a tenu à associer à notre travail, la Fondation Tara Océan et la Fondation TBA21 (Thyssen-Bornemisza Art Contemporary). Souvent, les artistes se nourrissent des travaux et des alarmes des scientifiques. En retour, les scientifiques, trouvent dans les œuvres des artistes la meilleure expression possible de leurs travaux, de leurs mises en garde et de leurs avertissements. La Biennale donne lieu, tout au long de l’année 2025, à l’organisation d’une université de la mer et des océans dont le programme conjugue des interventions de scientifiques et de créateurs, plasticiens, écrivains, musiciens et metteurs en scène. La partie du programme que parraine plus particulièrement la Fondation Tara avec le Musée d’art moderne et d’art contemporain de Nice (MAMAC) et Centre d’arts et de culture, L’Artistique, a pour thème « Porter la voix de l’océan ».
On ne peut que le souhaiter d’autant que, pour la première fois, la Biennale s’installe, dans l’espace public, avec des œuvres importantes de Laure Prouvost, Shilpa Gupta, Nicolas Floc’h [lire p. 38], Choi+Shine, Emmanuel Régent et Joël Andrianomearisoa.
J’en vois deux principalement : le premier, c’est que, si la mer appartient à notre histoire, en l’occurrence à celle de Nice, elle doit également appartenir à notre présent et à notre avenir. Le deuxième, c’est qu’il faut à la fois se laisser aller aux émerveillements que procure son spectacle, mais aussi être capable de mesurer à quel point elle est fragile, souvent menacée et donc digne de notre intérêt et nos actions.
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Jean-Jacques Aillagon : « Les artistes se nourrissent des travaux et des alarmes des scientifiques »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°785 du 1 mai 2025, avec le titre suivant : Jean-Jacques Aillagon : « Les artistes se nourrissent des travaux et des alarmes des scientifiques »