Politique

Antoine Stinco

Grenoble : culture toujours

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 4 mars 2005 - 709 mots

En 1968, deux architectes français accomplissent une trajectoire diamétralement opposée. Le premier, André Wogenscky, 52 ans, ancien premier couteau chez Le Corbusier, arpentant les allées du pouvoir (que celui-ci soit mandarinal, culturel ou politique), édifie dans l’urgence la Maison de la culture de Grenoble dont l’inauguration doit précéder l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver attribués, cette année-là, à la France. D’autant que Grenoble, ville complexe et composite (sur laquelle flottent encore les ombres tutélaires de Pierre Mendès France et de Hubert Dudebout), est déjà une sorte de vitrine culturelle en pleine action. Le second, Antoine Stinco, 33 ans, explore plutôt les marges, expérimentant d’une part les voies de l’architecture et du design pneumatiques au sein du groupe AJS Aerolande (AJS pour Aubert, Jungmann, Stinco) et d’autre part celles de la pensée au comité de rédaction de la revue Utopie, où siègent également Isabelle Auricoste, Jean Baudrillard, Henri Lefebvre et Hubert Tonka.
En mars 1968, Aerolande et Utopie organisent de concert à l’ARC/Musée d’art moderne de la Ville de Paris une exposition-manifeste qui fera date sous le titre de « Structures gonflables ». D’André Malraux, arrivé Rue de Valois sous la férule du général de Gaulle, on se souvient des premiers coups d’éclat : la grande rétrospective consacrée à Picasso et deux discours inspirés et tonitruants, celui prononcé à l’occasion de la mort de Le Corbusier et celui saluant l’entrée de Jean Moulin au Panthéon. On se souvient moins de son grand œuvre, la mise en place d’un réseau de Maisons de la culture, qualifiées par l’écrivain-ministre de « cathédrales des temps modernes ». Après Bourges et Amiens, Grenoble va constituer le troisième fleuron de cette couronne culturelle régionale.
Très vite, le metteur en scène Georges Lavaudant lui donnera un lustre international. Puis, ce sera le tour du chorégraphe Jean-Claude Gallotta, qui rebaptisera le lieu en « Cargo », manière de mieux qualifier cet immense vaisseau échoué sur une butte en lisière de la ville.
Les Maisons de la culture ne sont plus ce qu’elles étaient et le Cargo a bien besoin d’être revisité, architecturalement parlant. En 1997, un concours est organisé, que va remporter Antoine Stinco face à un jury qui compte en ses rangs André Wogenscky. L’opération de requalification est estimée à 34 millions d’euros et le chantier est évalué à deux ans. Six ans plus tard, le coût est passé à 42 millions d’euros et la durée des travaux a été multipliée par trois. Conséquence d’un désamiantage massif et d’études antisismiques non prévus à l’origine.

Spectacle vivant
Résultat, le bâtiment Wogenscky conserve son allure de paquebot avec sa coque en métal blanc chapeautée d’une colossale cheminée en métal noir. Mais l’intérieur a été évidé, agrandi, transformé, tandis qu’un nouveau bâtiment, relié au premier par deux passerelles, a jailli du sol, le flanquant et élargissant les possibilités de la « MC2 » nouvellement baptisée. Soit deux parallélépipèdes de béton blanc, fendus chacun d’une longue baie vitrée, qui accueillent les studios de danse et qui la nuit semblent de gigantesques écrans derrière lesquels la danse prend le pas. À l’arrière, une longue barre de tôle noire (35 mètres), s’élevant jusqu’à 17 mètres, accueille la nouvelle salle de création, tandis que, les joignant, un immense cube de terre abrite l’accueil, le bar et la brasserie. Entièrement consacrée au spectacle vivant (théâtre, musique et danse, avec respectivement aux commandes Laurent Pelly, Marc Minkowski et Jean-Claude Gallotta), la MC2 peut dorénavant accueillir plus de 3 000 spectateurs au fil de ses divers équipements (salle du grand théâtre : 1 030 places ; auditorium : 1 000 places ; petite salle : 263 places ; salle de création : 500 places ; studio de danse : 100 places ; brasserie et bar : 370 places...)
Un équipement exceptionnel en termes d’activités comme de jauge et tout autant en termes de qualité architecturale. Qu’il s’agisse de la requalification de l’existant ou de l’extension, on retrouve ici toute la grâce, la délicatesse, le raffinement et la légèreté d’Antoine Stinco. Talents qu’il avait déjà démontrés à l’École du Louvre et au Jeu de paume, à Paris, ou encore aux Abattoirs de Toulouse. Et qu’il met actuellement en œuvre au théâtre de Rennes et à l’ancien collège Sainte-Barbe, près du Panthéon à Paris, qu’il transforme en bibliothèque universitaire.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°210 du 4 mars 2005, avec le titre suivant : Grenoble : culture toujours

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