Architecture - Biennale

François de Mazières : « Nous basculons dans l’époque de l’architecture écologique »

Par Olivier Celik · L'ŒIL

Le 23 avril 2025 - 1107 mots

Commissaire général de la 3e édition de la Biennale d’architecture et de paysage de la Région Île-de-France (BAP !) organisée à Versailles, une ville dont il est maire depuis 2008, François de Mazières revient sur les enjeux de la « ville vivante », confrontée à l’adaptation au changement climatique et à la préservation de l’attrait esthétique des villes.

Pourquoi avez-vous choisi, dès la préfiguration de cette Biennaleen 2019, d’accoler « architecture » et « paysage » ?

La réflexion sur la BAP ! remonte à la période où je présidais la Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris, entre 2004 et 2012. Cette cité entendait regrouper le patrimoine avec le Musée des monuments français, la formation avec l’école de Chaillot qui forme les architectes du patrimoine et l’IFA (Institut français pour l’architecture) pour la promotion de la création contemporaine. En travaillant sur la programmation, j’ai vécu aux premières loges ce moment de transition qui a vu émerger les préoccupations environnementales. À l’époque, cette inquiétude nouvelle était ressentie de manière assez violente par le monde de l’architecture, qui était encore sur une vision de l’architecte artiste parfois bridé par les questions écologiques. J’ai programmé deux expositions qui rendaient compte des tendances émergentes, « Habiter écologique » en 2009 et « La ville fertile » en 2011. La prise en compte du paysage fait partie de la même logique d’évolution. Dans le passé, les paysagistes jouaient un rôle secondaire. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Ils sont très pertinents dans les réponses qu’ils apportent à la question environnementale et à celle qui suit : « Comment nourrit-on la ville ? ». Les paysagistes travaillent sur l’intra-urbain (végétalisation, pollution urbaine) mais aussi sur l’agriculture et les paysages. En parallèle, l’État, avec le président Nicolas Sarkozy, lançait une consultation sur le Grand Paris, annoncée à la Cité de l’architecture et du patrimoine, qui a été au cœur de la réflexion stratégique sur l’aménagement du territoire francilien. C’est donc à ce moment que je pouvais aussi participer à cette mobilisation sur l’environnement à travers l’architecture. Quand je deviens maire de Versailles en 2008, une ville où l’architecture comme le paysage sont très importants, je propose cette thématique de Biennale à Valérie Pécresse, présidente de la Région Île-de-France, qui soutient la manifestation dès sa première édition en 2019.

Quel est l’enjeu de cette 3e édition ?

Je me suis beaucoup appuyé sur des réflexions de Christine Leconte, présidente du Conseil de l’ordre des architectes, qui a écrit un ouvrage passionnant avec l’urbaniste Sylvain Grisot (Réparons la ville, Apogée, 2022). Ils y défendent une nouvelle manière de penser la ville, en mettant notamment en avant la préservation de l’existant. Entre 60 et 70 % des émissions des gaz à effet de serre pour un bâtiment, dont la durée de vie est de cinquante ans, vient en effet de la construction. Nous devons changer de paradigme : maintenir l’existant, le reconvertir, et renforcer la présence de la nature. Et comme chacun peut faire le constat que les villes ne sont pas en train de se bonifier, d’un point de vue esthétique, je me dis que nous sommes à un moment de bascule : nous pouvons utiliser ce changement de paradigme pour inventer une nouvelle esthétique qui peut s’appuyer sur des matériaux de proximité, en se méfiant du risque de simplement standardiser des bâtiments isothermes. Le point d’entrée de cette édition, c’est donc : comment maintenir la beauté des villes en ayant une volonté d’ouverture à toutes les initiatives nouvelles ?

Ce terme de beauté, que vous évoquez ici, n’est-il pas un tabou depuis de nombreuses années, dans l’art comme dans l’architecture ? N’est-ce pas prendre le risque d’appeler à un art officiel ?

Pas du tout ! La beauté, c’est d’abord lutter contre le laid. La beauté est une considération subjective, mais pas tant que ça ! Aujourd’hui, si les gens sont quasi unanimes à dire que les centres-villes historiques sont beaux, c’est qu’il y a des critères, ou au moins des ressentis communs. Pour lutter contre le laid, les maires jouent un rôle stratégique très important, car ils ont le pouvoir de délivrer, ou pas, les permis de construire. N’oublions pas que le laid est facteur de malaise. On ressent quand une ville est apaisée par l’esthétique. Dans cette réflexion, il faut oser dire que si on ne met pas en priorité une volonté de beauté, la seule règle qui s’impose est celle de l’argent. Car vous avez en face des promoteurs qui, quel que soit leur intérêt personnel pour les belles choses, ont pour critère premier la rentabilité. Et la beauté, si difficile à saisir, se définit quand même dans le temps. Nous avons connu la période classique, la période néogothique, la période moderne dans les années 1920 avec le culte de la vitesse et les prouesses technologiques du béton, puis le post-modernisme. On sort de tout cela depuis quelques années, et l’on rentre dans une nouvelle époque. Nous basculons dans l’époque de l’architecture écologique, ce qui change aussi les critères de la beauté.

Faut-il tourner la page des grands gestes architecturaux ?

Il faut distinguer deux choses : il y a des bâtiments très exceptionnels, avec de gros moyens financiers, mais qui restent rares. Et il y a l’architecture du quotidien. De même que, pendant des siècles, il y a eu des cathédrales au milieu des villes, il faut qu’il y ait encore de grands gestes. Je ne les condamne pas du tout. J’aime ce qu’ont fait Christian de Portzamparc, Zaha Hadid ou Jean Nouvel. Mais le star-system est un modèle largement déclinant. On est dans une époque plus sobre qui redécouvre des techniques traditionnelles.

Quels sont les axes de programmation de la Biennale ?

La thématique commune est évidente : comment l’architecture et le paysage s’adaptent aux nécessités environnementales. Il y aura des expositions grand public qui inviteront à réfléchir sur les risques d’inondations, le réemploi et matériaux biosourcés, la transformation de bâtiments ou de zones d’activité existants, l’évolution du tissu pavillonnaire. Elles feront prendre conscience du passage d’un climat tempéré à un climat subtropical. La Biennale est une occasion de parler de la ville. En 2022, nous avions attiré plus de 200 000 visiteurs. L’architecture et le paysage sont dans la vie des gens. Et ça les intéresse directement.

 

1960
Naît à Tarbes
1987
Diplômé de l’ENA
2001-2002
Directeur général de la Fondation du patrimoine
2002-2004
Conseiller à la culture du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin
2004-2012
Président de la Cité de l’architecture et du patrimoine
Depuis 2008
Maire de Versailles et président de la communauté d’agglomération Versailles Grand Parc
2012-2017
Député des Yvelines
Depuis 2019
Commissaire général de la Biennale de l’architecture et du paysage (BAP !) de la Région Île-de-France
À Lire
François de Mazières, « Pour une ville belle. 10 propositions pour une ville où il fait bon vivre, »
préface de Christian de Portzamparc, Éditions Eyrolles, 2025, 240 p., 17 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°785 du 1 mai 2025, avec le titre suivant : François de Mazières : « Nous basculons dans l’époque de l’architecture écologique »

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