Design

Enzo Mari - Fais-le toi-même

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 14 décembre 2010 - 623 mots

C’est ce que l’on appelle un projet de longue haleine : trente-six ans pour passer de l’esquisse à la production.

Vingt fois plus qu’une gestation d’éléphant, preuve s’il en est d’une exceptionnelle endurance. L’animal en question n’est autre qu’Enzo Mari, 78 ans, monstre du design italien, monstre de provocation et d’ironie aussi envers ce même monde du design, souvent avec excès (lire les JdA no 170, 2 mai 2003 et no 212, 1er avril 2005). L’objet qu’il a dessiné et qui a mis si longtemps à voir le jour est la Sedia 1 ou « Chaise no 1 ». Celle-ci fait partie d’une série de meubles présentée pour la première fois en 1974, à la Galleria Milano, à Milan. Cette recherche désormais légendaire s’intitule « Proposta per un’Autoprogettazione », de auto, « self » et progettazione, « projet, dessein », autrement dit : « Proposition pour un projet à réaliser soi-même ». À l’époque, ce travail avait tout du Manifeste, amplement influencé par le courant marxiste en vigueur. Son but : démocratiser la création en court-circuitant les différents acteurs de l’industrie et de la distribution. « J’ai pensé que le monde n’était pas fait que pour les riches », répétait Mari depuis 1968. Sans doute avait-il aussi le désir secret de rendre à l’usager une certaine maîtrise sur la conception de son environnement, alors quasi unilatéralement prise en charge par la déjà trop fameuse société de consommation. 

Prix modique
Le principe d’Autoprogettazione était de permettre à l’acheteur de réaliser lui-même un mobilier, à l’aide d’un plan constructif, de planches standard et d’un matériel de bricolage usuel – scie, marteau, clous… Hormis les marques et les fabricants, n’importe qui pouvait s’approprier les dessins de Mari et il suffisait d’à peine deux jours pour meubler un appartement entier avec des chaises, des tables, des lits, des étagères, un banc, un bureau, une armoire… Le tout à prix modique, évidemment. Plus besoin de l’intervention de fabricants ou d’éditeurs, mais l’établissement d’un rapport direct entre le créateur et le destinataire final. Mieux : l’usager était libre de modifier, voire d’apporter une touche personnelle aux formes originelles. À l’époque, Enzo Mari encourageait même la démarche, demandant aux particuliers de lui envoyer commentaires et photographies dudit mobilier une fois réalisé. Pour le designer, cette technique élémentaire devait permettre d’apprendre à chacun à regarder la production de son temps avec un œil critique : « En 1974, je pensais que si les gens étaient encouragés à construire une table de leurs propres mains, ils seraient alors à même de comprendre la pensée cachée derrière celle-ci », écrit Mari en 2002. Quoique l’accueil théorique fût alors des plus enthousiastes, la mise en pratique ne suivit point. Pis, en 2007, patatras ! toute cette belle rhétorique « démocratique » et ce rafraîchissant jusqu’au-boutisme furent mis à bas par Enzo Mari lui-même, lequel succomba au chant des sirènes, en l’occurrence celui d’une maison de ventes. Ainsi, pour Artcurial (Paris), il n’hésita pas à fabriquer de ses propres mains une série de pièces emblématiques d’Autoprogettazione, des exemplaires uniques il va de soi. Une chaise modèle « R » se vendra ainsi à… 4 957 euros [vente no 1 186 « Al Dente ! », 25 juin 2007]. Bref, l’antithèse parfaite du projet originel ! Question de cote ou, tout simplement, d’ego ?Présentée à Milan, lors du dernier Salon du meuble, la Sedia 1 est aujourd’hui produite en série par la firme finlandaise Artek (1). Dans sa boîte en carton, le kit comprend : un plan de montage, 50 clous, une série de planches en pin naturel et un bloc de bois pour pouvoir clouer les planches sans heurt. Son prix : 220 euros (frais de transport non inclus). L’honneur est sauf !

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°337 du 16 décembre 2010, avec le titre suivant : Enzo Mari - Fais-le toi-même

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