PAROLES D’ARTISTE

Didier Faustino : « Ramener l’architecture au plus près du corps »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 10 décembre 2013 - 744 mots

Architecte de formation, l’artiste Didier Faustino exploite l’univers domestique à la galerie Michel Rein.

À la galerie Michel Rein, à Paris, Didier Faustino (né en 1968) déploie les éléments d’une réflexion sur la protection et l’intimité à travers le retournement d’éléments de l’univers domestique.

Le terme « home » employé dans le titre de l’exposition, « We can’t go home again », semble renvoyer à vos figures en moquette qui évoquent un univers domestique. Souhaitiez-vous placer implicitement votre proposition sous de tels auspices ?
Ce qui m’intéresse depuis longtemps, c’est une espèce de dichotomie entre l’architecture et l’espace, mais m’intéresse aussi l’intimité et comment elle occupe l’architecture et ces espaces. Je suis architecte de formation et j’ai beaucoup réfléchi à cela. Tout mon travail se situe autour de la question du corps et de l’espace. Il y avait chez moi une volonté de travailler des matériaux qui ne sont pas forcément ceux de l’architecture mais qui sont un peu ceux du domestique, qui sont mésestimés alors qu’ils nous accompagnent dans notre intimité. La moquette est un de ceux qui m’intéressaient tout particulièrement car c’est une espèce de peau, de chose sur laquelle on marche, qui est elle-même peut-être habitée par des acariens.

Il y a toujours eu pour moi un rapport à la question de l’abandon du corps dans l’espace domestique. Or, sur quoi s’abandonne-t-on la plupart du temps dans l’environnement domestique ou dans l’architecture ? sur des surfaces un peu travaillées à cet effet. Il y avait également une envie de travailler sur une destruction possible de l’espace domestique. Finalement, cet espace n’est pour moi qu’une représentation sociale qui, la plupart du temps, n’est pas liée à un besoin ou à une nécessité.

Est-ce cette idée de destruction qui vous a conduit à ces sortes de figures inhabitées ?
J’avais déjà produit un travail autour de la mort et des vanités en faisant recouvrir toute une galerie de moquette dont j’avais extrait une tête de mort : une sorte de vanité géante que j’avais accrochée comme une vieille peau. On n’était pas là dans la question du costume, mais dans celle de l’habitacle. Dans l’architecture, quand vous élaborez une forme, vous travaillez sur son développé afin de la « re-former ». C’est ce procédé que j’ai repris ici. J’ai réfléchi en me disant : « Tu peux peut-être pousser jusqu’à représenter un réel habitacle, et qu’est-ce que l’habitacle ? » Le plus évident, c’est le costume, l’habit, quelque chose qui se colle au corps. Cela m’intéressait de ramener l’architecture au plus près du corps, et que le matériau devienne l’habitacle pour soi. Il s’agit donc d’un développé qui génère cet habitat situé entre un scaphandre et une combinaison de cosmonaute.

Ces pièces sont très ambiguës car elles évoquent la protection par leur matière et leur forme mais paraissent en même temps rapiécées et fragiles…
Le paradoxe est que le matériau n’est absolument pas un matériau solide et protecteur, on est donc aussi en train de parler de fragilité en effet. Il y a des ambiguïtés et des non-dits. En fait, ce sont là des protections absurdes. Si elles protègent, peut-être s’agit-il d’une protection par rapport à un stade de l’intimité qui, aujourd’hui, au XXIe siècle, est le dernier combat qu’on peut encore mener : celui de protéger notre intimité et nos secrets.

Ces œuvres s’intitulent Home Suit Home. « Suit » signifie costume et fait un jeu de mot avec l’expression « Home Sweet Home » ; ou l’espace habité comme représentation de soi, représentation sociale, mais aussi lieu ultime de protection, qui peut être conduit à se fondre dans une sorte de monotonie ou d’anti-qualité, voire à disparaître. C’est le propre du costume. Cela sert aussi à protéger la richesse de l’individualité.

Y a-t-il chez vous un passage de l’architecte au sculpteur et vice versa ? Ce travail est-il pour vous de la sculpture ?
Je pense que c’est un travail sculptural, car lorsque je commence à évoquer la question du développé, de la forme et de l’assemblage, on est vraiment dans ce champ-là. Ensuite, j’ai envie de ramener à la question de l’architecture par son signifiant. J’ai toujours évité la question car il est assez confortable de parler d’espace et d’architecture et de ne jamais aborder ce problème, mais effectivement c’est un travail sculptural.

DIDIER FAUSTINO. WE CAN’T GO HOME AGAIN,

jusqu’au 11 janvier 2014, galerie Michel Rein, 42, rue de Turenne, 75003 Paris, tél. 01 42 72 68 13, www.michelrein.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.

Légende photo

H BOX, Salle de projection d'art video, Didier Faustino - Présentée au Centre Georges-Pompidou, MUSAC, MUDAM, Tate Modern et à la Yokohama Triennale- © Photo Vantey - 2008 - Licence CC BY-SA 3.0

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°403 du 13 décembre 2013, avec le titre suivant : Didier Faustino : « Ramener l’architecture au plus près du corps »

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