Didier Faustino - "L'architecture est à la mode"

L'ŒIL

Le 28 juin 2012 - 1779 mots

Designer, plasticien, directeur artistique…, l’architecte Didier Fiuza Faustino multiplie les casquettes et les interventions
dans la ville.

Frédéric Marigaux : Votre parcours est atypique et vous restez très discret sur vous-même. C’est à peine si l’on sait où vous êtes né : en France ou au Portugal ?
Didier Faustino : Je suis né en banlieue parisienne où j’ai vécu trente ans. Mes parents sont portugais et j’ai toujours navigué entre le petit village près de Lisbonne dont ma famille est originaire et Paris, entre la campagne et le milieu urbain. Je me sens d’abord parisien, mais je suis très attaché à Lisbonne, une ville très différente socialement, culturellement. Mon père était charpentier, et moi, je m’intéressais aux bandes dessinées, aux arts visuels. Mais j’ai fait des études de plomberie dans un lycée technique de banlieue et on ne m’a pas accepté en école d’art. Alors, je suis entré à l’École d’architecture Paris-Villemin et j’ai trouvé ces études passionnantes. J’ai eu des professeurs comme Claude Lévêque, pas encore connu mais déjà étonnant, déstabilisant. L’enseignement était très varié, on côtoyait des personnes très diverses venues de l’art, du cinéma, de la sociologie, de la philosophie… J’y ai étudié Deleuze, découvert le cinéma de Tarkovski, assisté aux cours de l’historien de l’architecture Jean-Louis Cohen, l’école était très marquée à gauche… Bref, j’ai trouvé mon compte dans cette étrange école installée dans l’ancien couvent des Récollets, près de la gare de l’Est, avec des élèves de tous les milieux, pas formatés.

F.M. : Cette absence de formatage est-elle toujours une réalité ?
D.F. : Nous étions en 1989. À l’époque, l’architecture était une discipline qui n’intéressait plus grand monde. Alors les étudiants étaient vraiment motivés. Dans ce bâtiment quasi en ruine, on pouvait tout faire : reconstruire des murs, mettre des installations sur les toits, organiser des fêtes… Cela fédérait des gens en rébellion avec les Beaux-Arts. Aujourd’hui, l’architecture est redevenue à la mode, elle apparaît comme un vecteur de réussite sociale, grâce au succès de quelques stars du secteur.

F.M. : Cette expérience vous a-t-elle convaincu d’enseigner vous-même, notamment à l’ArchitecturalAssociation de Londres?
D.F. : J’ai commencé à enseigner récemment. Depuis dix ans, je donnais des conférences dans des écoles, j’animais des workshops. Mais à l’Architectural Association, j’ai beaucoup de chance : je dispose d’un laboratoire avec treize étudiants. On planche, par exemple, sur la construction d’un iceberg… Là-bas, on peut partir d’une page blanche, il n’y a aucun dogmatisme.

F.M. : Professeur, architecte, artiste, rédacteur… Vous êtes partout, même où l’on ne vous attend pas nécessairement.
D.F. : J’aime être sur plusieurs terrains. Ou plutôt sur un seul d’ailleurs, car tout se rejoint autour de l’architecture. Mais cela apparaît aux yeux de certains comme un mélange des genres, pas forcément bien perçu.

F.M. : Comment, sorti d’une école d’architecture, êtes-vous devenu ce plasticien obsédé par la réflexion sur le corps comme composante spatiale ?
D.F. : Les travaux que j’ai réalisés pour l’obtention de mon diplôme, autour du déplacement et du corps, ont été remarqués par des personnalités de l’Institut français d’architecture, lesquelles ont proposé mon nom pour une exposition. D’emblée, j’ai ainsi eu une réputation décalée. Pourtant, selon moi, tout est lié : il faut habiter les espaces que l’on dessine ! Mon diplôme consistait en une performance, avec un bodybuilder, et cela a défrayé la chronique au sein de l’école. Si jusqu’à la décennie 1970, les deux disciplines, art et architecture, se mêlaient, dans les années 1980 et 1990, elles se sont séparées. Je ne comprenais pas bien ce débat. L’économie des deux disciplines n’est pas la même, le rapport à la commande non plus, le rapport à l’usage et à l’appropriation diffère, mais le mode de pensée est similaire.

F.M. : Après votre diplôme, à la fin de 1995, et après une période d’apprentissage durant laquelle vous montez le Laps, Laboratoire d’architecture de performance et sabotage, qui prône déjà une forme de guérilla urbaine, vous décidez de partir au Portugal. Pourquoi ce choix ?
D.F. : Je voulais travailler à Lisbonne, car j’y avais côtoyé une jeune scène artistique très active. Pour en parler, j’ai lancé un magazine, Número, qui traitait de toutes les formes culturelles, un fanzine hybride pour lequel je faisais beaucoup de photos et des éditos. J’ai toujours été fasciné par les magazines : ils reflètent l’air du temps si rapidement ! J’ai aussi monté un festival de musique électronique et approfondi là-bas ma connaissance de la danse grâce à la manifestation Encontros Acarte qu’organisait la Fondation Gulbenkian. Mon rapport à la multitude des aventures artistiques vient de là, de cette petite capitale où tous les milieux créatifs se croisent. Aujourd’hui encore, j’y connais beaucoup de monde, c’est une plate-forme moins impersonnelle et moins hermétique que Paris, plus poreuse. Et j’y ai une galerie : Filomena Soares. J’ai trouvé un modèle économique qui me permet de travailler dans les deux pays, le Portugal et la France, où je suis représenté par Michel Rein.

F.M. : Qu’est-ce qui vous a propulsé rapidement au rang de plasticienqui compte dans le paysage français et international ?
D.F. : Presque un quiproquo. À la fin des années 1990, j’ai fait une proposition remarquée au concours pour la réalisation de l’ambassade du Portugal à Berlin. Artpress est venu m’interviewer et j’ai fait la couverture de la revue, avec une photo illustrant mes travaux de diplôme. Après, j’ai reçu une première invitation en 1997 pour l’exposition collective Beau comme un camion à Paris, pendant la Gay Pride, où a été présentée ma vidéo In, Trans, Ex… Et puis il y a eu, en 2000, la Biennale d’architecture de Venise, et la présentation d’une pièce sans concession, provocatrice, Body in Transit, stigmatisant le nomadisme contraint de ces immigrés clandestins qui risquent leur vie dans l’espoir d’un monde meilleur… Cette pièce imaginée est entrée dans les collections du Centre Pompidou. Je mentionnerais aussi ma participation à l’édition 2001 d’ArchiLab organisée par le Frac Centre. La monstration m’intéresse plus que tout. Dans mes œuvres, il est toujours question du corps, de l’espace et de l’interaction entre les deux. Tout cela participe de ma recherche architecturale.

F.M. : En 2002, vous fondez le Bureau des mésarchitectures, agence qui s’exprime à travers une architecture-performance. Vos œuvres sont des installations, des vidéos, des photos… Peut-on parler aussi de sculptures ?
D.F. : Non, je crée des objets mais je ne travaille pas la matière. Je pense la forme, je la fantasme, mais je ne la fabrique pas. Je dessine, je photographie mes installations… De toute façon, je n’aime pas les étiquettes. Je manie les concepts, les idées, les espaces, les situations.

F.M. : En 2009, vous êtes commissaire d’exposition d’Evento, un événement d’art contemporain organisé à Bordeaux et qui vous a valu nombre de critiques. Quel souvenir en gardez-vous ?
D.F. : Le maire, Alain Juppé, voulait donner carte blanche à un artiste. J’ai construit une histoire autour de l’idée d’intime et de collectif dans l’espace public, de la fête foraine et de l’art contemporain, des cultures populaire et érudite. Le nomadisme de la fête foraine questionne la ville contemporaine qui veut l’effacer. J’ai voulu un parcours itinérant des œuvres, des monuments furtifs produisant de l’inattendu. Car une œuvre révèle un lieu, le réactive ou le perturbe. J’ai bien aimé l’expérience, cela a permis de mêler plusieurs publics. J’ai essayé de comprendre comment se structure une ville, par la rencontre, la célébration. Il y a eu collaboration avec l’opéra, le conservatoire, le CAPC et plein d’autres. On m’a critiqué pour ne pas avoir assez travaillé avec les associations locales, j’ai privilégié les institutions en place et les forains… Evento a donné un côté festif et magique à Bordeaux, il a rassemblé plus de trois cent mille personnes en quelques jours. C’est un souvenir magnifique.

F.M. : D’autres métropoles vous ont passé commande. Où en êtes-vous ?
D.F. : À Paris, le projet d’aménagement artistique de la culée rive gauche du pont Alexandre-III avance lentement, du fait des différends entre la Ville de Paris et l’État. La Maison du projet a bien été inaugurée à Lyon. C’est un lieu d’exposition temporaire pour montrer le projet d’aménagement des quarante kilomètres de rives de la Saône, un travelling le long du fleuve qui a mobilisé de nombreux artistes et paysagistes. Par ailleurs, je travaille sur une œuvre pour le parcours artistique du tramway de Brest, quatre escaliers qui se croisent et forment des jetées afin de regarder la ville sous un autre point de vue. Dans le cadre de Marseille 2013, je m’attelle à la façade de l’hôpital Nord avec une proposition que j’ai nommée L’Écume des jours, en hommage à Boris Vian, et qui dessinera une ligne d’horizon poreuse sur le bâtiment.

F.M. : Vous que l’on qualifie parfois d’architecte borderline et qui avez finalement peu bâti, vous édifiez en Espagne une maison pas banale…
D.F. : Cette maison s’inscrit dans une collection d’architecture, c’est une commande particulière d’un éditeur français qui a choisi des sites exceptionnels en Europe pour construire à chaque fois un ensemble de quatre à cinq maisons d’auteurs, toutes uniques. Un nouveau type de promotion immobilière qui s’apparente à de l’art contemporain. L’architecte n’est pas contraint, il crée sans cadre précis. Ma proposition a été baptisée Ego House, un hommage à l’autofiction, elle fantasme l’acheteur, propose un scénario domestique inédit. Ce sera une grosse carapace, un refuge de montagne, il n’y aura pas de planchers, mais des toiles tendues, trois entrées, pour faire vivre une expérience différente de la nature.

F.M. : Que rêvez-vous de réaliser ?
D.F. : Un night-club, une salle de gym pour bodybuilders… forcément exhibitionnistes. Des programmes pour des lieux en haute montagne ou sur des territoires qui peuvent disparaître, comme des icebergs. Je suis fasciné par la question de la fragilité, par ce qui met à mal les idées reçues. WYSI(not)WYG… What you see is NOT what you get! Expérimenter, questionner jusqu’à épuisement du sujet est très important pour moi. C’est un droit que l’on donne aux artistes, mais plus aux architectes.

Trois lieux, trois réalisations de Faustino

Dans le parc du Domaine de Chamarande (Essonne), l’œuvre Paranoid Android, en apparence une porte à deux battants mais en réalité un rideau souple, est un élément architectural posé hors contexte, créant une perturbation dans le paysage et le parcours du promeneur. À Lyon, dans le cadre du réaménagement des bords de Saône, l’architecte a conçu la Maison du projet, un espace d’accueil du public qui présente les futures réalisations de ce vaste programme urbain qui concerne quinze communes de la région. Enfin, le long de la ligne du nouveau tram de Brest, Didier Faustino a créé Les Jetées qui prennent la forme de quatre escaliers croisés ne menant nulle part, comme un point de rencontre des usagers et un panorama sur la ville.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°648 du 1 juillet 2012, avec le titre suivant : Didier Faustino - "L'architecture est à la mode"

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