Afrique

Dak’Art 2004 se tourne vers la vidéo

Le Journal des Arts

Le 28 mai 2004 - 658 mots

La Biennale de l’art africain contemporain qui se tient dans la capitale du Sénégal fait cette année la part belle aux arts numériques pour se rapprocher des manifestations occidentales.

DAKAR - Si, il y a deux ans, la peinture et la sculpture dominaient, la 6e édition de la Biennale de l’art africain contemporain, Dak’Art, au Sénégal, est cette année davantage tournée vers la vidéo et la photographie. En ce sens, l’œuvre d’Amal el-Kenawy et Abd el-Ghany el-Kenawy (Égypte) constitue une véritable révélation. À la fois installation et vidéo, leur travail se déploie dans l’espace d’une pièce obscure. Un mannequin acéphale, habillé d’une robe de mariée blanche, est posé dans l’ombre, devant le sol carrelé menant à l’écran vidéo. Un papillon blanc se cogne contre les parois de l’écran. Il tente de sortir, de s’échapper, en vain. Une main de femme gantée passe une aiguille sur un cœur qui bat. Elle coud une perle, une dentelle sur cet organe encore chaud… L’image est d’une violence presque insoutenable, à la mesure de la violence faite à ces femmes forcées de nouer leur destin à celui d’un homme qu’elles n’ont pas choisi. Plus légère, l’œuvre de Mohamadou N’Doye (Sénégal) n’en est pas moins forte. Procédant par « collages » de papiers découpés, l’artiste évoque avec humour et poésie le pêle-mêle construit de la Médina (quartier populaire de Dakar), la foule, la congestion urbaine, l’atmosphère chaotique et la proximité des habitations.
Que s’est-il passé pour que peintures et sculptures disparaissent quasiment d’une édition à l’autre de la Biennale ? Les artistes africains choisis ont-ils soudainement eu accès massivement au médium numérique pour produire des œuvres vidéo, à l’instar des artistes occidentaux ? Une analyse fine de la sélection montre que celle-ci est majoritairement composée d’artistes formés, financés ou reconnus par l’Occident. Bien que la notion d’« art africain contemporain » soit fragile en ce qu’elle évoque une spécificité africaine renvoyant à une idée d’essence en art (on ne peut aujourd’hui parler d’« art africain », comme on ne peut parler d’« art européen »), cette désignation pourrait pourtant servir à la promotion d’artistes locaux, lesquels diffèrent bien souvent, dans leur pratique, des artistes exposés dans toutes les grandes biennales européennes et américaines. Si telle est l’ambition de Dak’Art, pourquoi privilégier les œuvres réalisées en Europe ou financées par l’Occident ? Pour le président du conseil scientifique de la manifestation, Victor-Emmanuel Cabrita, il s’agit de permettre aux artistes d’Afrique d’exposer à New York ou à Paris, « sans complexe ». Sans doute dans son esprit le médium détermine-t-il la qualité de l’œuvre… La modernité technologique devenant le critère de réussite sur un marché exclusivement occidental. La question se situe pourtant moins dans le médium choisi ou dans la nationalité que dans la sensibilité d’un individu réagissant à un contexte donné.

« Décolonisation mutuelle »
Hors des murs de la sélection officielle de Dak’Art s’exposent en « off » des œuvres réalisées avec les moyens locaux, parfois bien plus fortes que certaines œuvres choisies dans le « in ». Cheikhou Ba, artiste sénégalais résidant à Dakar, présente par exemple pour la première fois à la galerie Eberis Studio. Disposées en demi-cercle, ses sculptures en plâtre blanc, au corps d’hommes sans visage, semblent vibrer en silence, crier sans qu’aucun son puisse jaillir de leurs visages béants. Évocatrices des naufragés du bateau Le Diola, ces pièces expriment une violence contenue démultipliée par leur nombre.
Si les pressions économiques pèsent sur une biennale financée très largement par l’Europe, il est temps de construire, en Afrique, les infrastructures culturelles qui permettront aux artistes d’apporter leur contribution aux enjeux posés par la globalisation. L’heure devrait être à la « décolonisation mutuelle (1) » et non à l’uniformisation sur le modèle occidental.

(1) Ery Camara, commissaire indépendant, professeur de muséologie, évoquait cette notion dans l’un des nombreux colloques organisé autour de la biennale.

DAK’ART

Biennale de l’art africain contemporain, jusqu’au 7 juin, divers lieux, Dakar, Sénégal, tél. 221 823 09 18, www.dakart.org

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°194 du 28 mai 2004, avec le titre suivant : Dak’Art 2004 se tourne vers la vidéo

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