Christophe Beaux - Pdg de la Monnaie de Paris

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 19 juin 2012 - 1543 mots

L’ambitieux PDG de la Monnaie de Paris, homme de Bercy, a fait une irruption remarquée dans les milieux culturels.

Il est des paris gagnants. Pour le moment, celui que s’est lancé Christophe Beaux est en passe de réussir. Il n’y a qu’à voir comment l’intéressé reçoit sous les ors de son bureau avec vue plongeante sur la Seine, décoré de photographies contemporaines et de quelques-unes des créations estampillées Monnaie de Paris, pour mesurer à quel point les délices des milieux culturels ont séduit ce pur produit de la puissante administration du Trésor. Rasséréné par sa récente reconduction à la tête de cette institution pluriséculaire qui bat la monnaie française, le jeune administrateur du civil du Trésor se plaît manifestement à brouiller les pistes. Depuis son arrivée, en 2007, la vénérable maison s’est invitée dans le panorama des lieux culturels parisiens à la mode.

Désormais, la « Monnaie » n’est plus seulement le lieu où acheter ces « euros des régions » – dont le milieu de l’art n’a probablement jamais entendu parler, et qui ont pourtant contribué à renflouer les caisses de la maison – mais aussi un endroit où les happy few se pressent aux vernissages des expositions dédiées à David LaChapelle ou Willy Ronis. Art contemporain, champagne et petits fours à quelques centaines de mètres des presses à monnaie : telle est le remède prescrit pour la relance de ce qui est aussi, comme se plaît à rappeler son président, « la dernière usine de Paris ».

Passé par l’École des hautes études commerciales (HEC) avant d’intégrer celle de l’administration (ENA), l’adepte du « franglais » qu’est Christophe Beaux a su appliquer les bonnes veilles méthodes marketing à la doyenne des institutions publiques. Considérant que la relance de la machine économique, certes primordiale, n’y suffirait pas, le jeune PDG a donc joué la carte de « la relance psychologique ». Quitte à « sacrifier à la tendance de l’offre culturelle » et entrer par effraction dans un milieu où venir de Bercy ne vous assure pas un potentiel de sympathie immédiat. « Il y a eu quelques prurits de jalousie », reconnaît volontiers Christophe Beaux. Et de surenchérir, affable mais un brin provocateur : « d’autant que toutes nos expositions s’autofinancent, ce qui peut gêner mes confrères. ».

Pour que la stratégie opère, il aura toutefois fallu prouver que la Monnaie pouvait inverser la spirale des déficits. À son arrivée quai de Conti (Paris, 6e arrondissement), dans ce luxueux coffre architectural minéral érigé au XVIIIe siècle sur les plans de Jacques Denis Antoine, l’institution était en proie à de très lourdes difficultés financières. Or son site parisien, sis dans le luxueux Palais de la Monnaie, n’était resté ouvert que pour abriter les ateliers de frappe des médailles et monnaies en métaux précieux, la monnaie courante n’étant plus battue à Paris mais à Pessac (Gironde) depuis 1973.

Une énergie puisée dans l’adversité
D’où, à l’heure d’une Révision générale des politiques publiques (RGPP) où l’on solde quelques bijoux de famille, une sourde menace pèse sur ce prestigieux ensemble immobilier. « Le projet était de nous découper en morceaux », confirme Christophe Beaux. Le destin de l’institution a donc croisé celui d’un jeune haut fonctionnaire en mal d’action, impatient d’être aux manettes après avoir caressé les velours des cabinets ministériels, dont ceux de Thierry Breton et Jean-Pierre Raffarin, à Matignon. Après une tentative de pantouflage dans le privé, à Londres, Christophe Beaux a préféré se consacrer à la relance d’une entreprise publique. « Entre être le n° 43 d’une entreprise privée et le PDG d’une PME publique, j’ai choisi. Dans le privé, je n’aurai jamais eu les clefs tout de suite ». Action aurait aussi pu rimer avec engagement en politique. « Je n’avais pas envie d’aller serrer des mains sur les marchés », rétorque-t-il.

Ce sera donc la Monnaie, malgré les « sincères condoléances » de ses congénères du Trésor. L’institution est alors seulement connue chez les mandarins de Bercy pour son bel appartement de fonction, son très confortable salaire et… son fort taux d’ouvriers syndiqués.
Avec le recul, Christophe Beaux admet aujourd’hui avoir d’abord connu un sérieux passage à vide. Sa priorité est alors de gérer un plan social, visant à faire passer les effectifs globaux de 700 à 500 employés, principalement par le biais de mesures d’âge. « La moyenne était de 53 ans, j’en avais 40 » note t-il. Il doit aussi redresser des finances qui partent à vau-l’eau.

Dès 2008, l’entreprise renoue avec les bénéfices. Pour cela, Beaux crée de nouveaux produits, surfe sur le retour des métaux précieux comme source d’épargne privilégiée, sillonne le monde pour proposer aux États de frapper leur monnaie. Mais c’est une affaire, celle de la « parcelle de l’an IV », qui va remotiver l’ambitieux PDG. Peu après son arrivée, Christophe Beaux doit en effet batailler contre un fait du prince. Son voisin, l’Institut de France, est alors en passe d’obtenir la rétrocession d’un terrain lui ayant appartenu… avant 1796. Une perte de près de 1 500 mètres carrés qui oblige à un déménagement très complexe des machines destinées à la frappe des médailles. Une telle aberration n’aurait pas dû échapper à la sagacité des fonctionnaires de Bercy, mais Éric Woerth, ministre du Budget d’alors, tranche en 2008 en faveur de l’Institut de France.

Tout le monde comprendra plus tard qu’il s’agissait d’un volet de l’affaire Bettencourt : le terrain était en effet promis à la construction d’un auditorium « André Bettencourt ». Pour le PDG de la Monnaie de Paris, qui défend alors bec et ongles son entreprise, la passe d’armes aura été violente. « Ma tête a été demandée plusieurs fois. Je dois mon maintien à Christine Lagarde [alors ministre de l’Économie et des Finances] ». Autant dire que la rancune demeure tenace à l’encontre de l’ancien ministre, aujourd’hui réduit à serrer des mains sur l’hippodrome de Chantilly. Il n’empêche, au 31 décembre 2012, la parcelle devra être rendue. D’où l’idée, quitte à devoir déplacer des ateliers, de transformer un mal en bien.

Pour vaincre l’adversité, Christophe Beaux invente le concept Metalmorphose. Sous cette pompeuse appellation se cache en réalité un très ambitieux projet de réhabilitation du site, du point de vue industriel et patrimonial. L’intégralité de l’outil sera donc reconfiguré en étant plus largement ouvert vers l’extérieur, arpenté de rues donnant à voir les ateliers, ponctué d’un musée, mais aussi de boutiques d’artisanat d’art, d’un concept store et du nouveau restaurant du Chef étoilé Guy Savoy. Soit un chantier pharaonique, d’un coût de 48 millions d’euros, entièrement financé sur fonds propres, qui entretient quelques similitudes avec celui porté jadis par Alexandre Allard pour l’Hôtel de la Marine. Christophe Beaux, qui a été membre de la « Commission Giscard » chargée de torpiller le projet controversé de l’entrepreneur, ne le nie pas. « Si l’État s’était séparé du bâtiment, le projet Allard aurait d’ailleurs pu se faire ici. Mais j’ai voulu démontrer que l’État pouvait agir et ne pas se contenter de donner les clefs au privé ».

Confiant et serein face à l’avenir
En 2014, au milieu de son second contrat, Christophe Beaux sera donc à la tête d’un nouveau navire amiral où se croiseront numismates, amateurs d’art et gastronomes fortunés. Et après ? Reconduit juste avant les élections présidentielles à un poste qui fait désormais des envieux, ce provincial issu de la classe moyenne, resté, selon lui, sans savoir ce qu’il ferait de sa vie jusqu’à 30 ans, s’endormira-t-il dans les Délices de Capoue des milieux culturels ? « Les mauvais jours, je me dis en effet que je suis entre deux chaises. C’est le problème des gens hybrides comme moi. Mais j’avoue que cela ne me déplairait pas d’être nommé à la tête d’un établissement public culturel ! ». Celui qui a fait du redressement productif avant l’heure n’est d’ailleurs pas du genre à injurier l’avenir.

Passé dans les cabinets de ministres de droite, il est aussi proche de personnalités de gauche, dont un certain David Kessler, devenu conseiller de la Culture et de Communication à l’Élysée, mais fraie aussi au Cercle de l’Industrie, où il aura croisé un certain Pierre Moscovici, devenu son ministre de tutelle. « Dans les cabinets je n’étais pas encarté, précise t-il. J’étais plus techno que politique ». Son dernier fait d’armes pourrait d’ailleurs laisser présager d’un horizon dégagé sous les auspices socialistes. En tant qu’administrateur indépendant de France Télévisions, une autre de ses casquettes, Christophe Beaux vient de dénoncer publiquement la réalité financière de l’entreprise, appelant même à la réintroduction de la publicité après 20 heures sur les chaînes publiques, mesure phare du quinquennat Sarkozy ! À 46 ans, celui qui a redoré le blason de la Monnaie de Paris devrait donc avoir encore de beaux jours devant lui.

Christophe Beaux en dates

1966 Naissance à Sainte-Foy-les-Lyon (Rhône)

1989 Diplôme d’HEC

1994 Sortie de l’ENA ; arrivée à la Direction du Trésor

2000 Vice-président à la banque JP Morgan, Londres

2002 Cabinet de Francis Mer, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie

2004 Conseiller auprès de Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre

2005 Directeur du cabinet de François Loos, ministre de l’Industrie, et directeur adjoint du cabinet de Thierry Breton, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie

2007 PDG de la Monnaie de Paris

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°372 du 22 juin 2012, avec le titre suivant : Christophe Beaux - Pdg de la Monnaie de Paris

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