Art moderne - Art contemporain

Ces artistes qui font la Suisse

Par Bertrand Dumas · L'ŒIL

Le 12 mai 2015 - 1823 mots

« Sans crimes, sans histoire, sans littérature, sans arts… ». Les mots d’André Gide sont assez durs pour qualifier l’honnête peuple suisse qui, depuis le XIXe siècle, a su produire des artistes remarquables. La preuve à travers une petite sélection des artistes qui font, et ont fait, la Suisse des beaux-arts.

Ferdinand Hodler   
(1853-1918)
Doyen des peintres suisses de notre florilège, Ferdinand Hodler est considéré comme le fondateur d’un style autochtone dont les prémices remontent au succès du Guerrier furieux exposé au Salon suisse des beaux-arts de Genève en 1884. La Nuit, en revanche, est exclue du Musée Rath en 1891. La toile jugée « obscène » marque le début d’une série de polémiques qui émailla localement la carrière du peintre bernois. En revanche, son style « moderne », à cheval entre réalisme et symbolisme, récolte les éloges à l’étranger, notamment à l’exposition de la Sécession viennoise de 1904. Plus consensuelle, sa peinture de paysage n’en est pas moins sensationnelle. Ses vues de montagnes, en particulier, à l’instar du mont Blanc se reflétant dans le lac Léman, laissent un souvenir impérissable.
www.kunstmuseumbern.ch
www.gianadda.ch
www.fondationlouisvuitton.fr

Marius Borgeaud    
(1861-1924)
À partir du 26 juin prochain, la Fondation de l’Hermitage, à Lausanne, consacre une rétrospective à Marius Borgeaud qui fut, avec Félix Vallotton, le peintre vaudois le plus marquant de sa génération. Les deux artistes ont aussi en commun d’avoir exercé essentiellement en France, Borgeaud vivant entre Paris et la Bretagne, qu’il découvre en 1908. De cette période datent ses premiers petits tableaux intimistes qui ont fait son succès. Borgeaud peint des intérieurs silencieux animés par des effets de contre-jour qui sculptent les formes, en particulier les objets du quotidien dispersés en délicates natures mortes. 
www.fondation-hermitage.ch

Alexandre Perrier
(1862-1936)
Magnétiques sont les paysages d’Alexandre Perrier dont l’œuvre fait actuellement l’objet d’une réévaluation légitime. Ses vues composées en atelier se limitent à quelques motifs, les montagnes autour du lac Léman et celles au Praz-de-Lys en Haute-Savoie. Comme chez Hodler, la répétition du sujet chez Perrier est prétexte à renouveler le motif en profondeur. Sa technique originale y concourt. Partant d’un postimpressionnisme à la Segantini, elle évolue jusque dans les œuvres tardives vers une dématérialisation de la touche qui confine à l’abstraction. Expérience méditative garantie. 

Adolf Wölfli
(1864-1930)
Schizophrène, Adolf Wölfli passa la moitié de son existence enfermé dans un hôpital psychiatrique,
à Berne. Dans l’isolement de sa cellule, il entreprend à partir de 1895 la rédaction d’une autobiographie fictionnelle qui atteindra à terme 25 000 pages. La démesure de l’ouvrage illustré est à l’image des dessins de Wölfli. Ceux-ci, d’une incroyable complexité, compilent à l’infini des symboles propres à la mythologie personnelle du malade, qui fut le premier patient à être reconnu comme artiste par son médecin.
www.artbrut.ch

Ernest Biéler
(1863-1948)
À 17 ans, Ernest Biéler est confié par ses parents à des cousins parisiens dans le but d’offrir à leur enfant la possibilité d’étudier. En auditeur libre, le jeune Vaudois fréquente l’École des beaux-arts de Paris jusqu’à sa première participation au Salon de 1887. Le tableau qu’il présente illustre le cadre champêtre du village montagnard de Savièse, où l’artiste se fera construire un atelier en 1900. Il est rejoint sur place par une communauté d’artistes citadins en quête de nature et d’authenticité. Parmi eux, Édouard Vallet et Marguerite Burnat-Provins font partie de ce qu’on appellera par la suite l’« école de Savièse ». Les sujets les plus prisés d’Ernest Biéler, des portraits et des scènes réalistes du folklore valaisan, reflètent son style le plus original, celui d’après 1904, quand l’artiste abandonne l’huile pour la gouache et la tempera.
www.ernest-bieler.ch

Cuno Amiet
(1868-1961)
En 1883, Cuno Amiet peint son premier autoportrait à l’âge de 15 ans. Ses dons sont encouragés par le peintre Frank Buscher qui recommande à son élève soleurois de rejoindre l’Académie des beaux-arts de Munich. Sur place, il rencontre Giovanni Giacometti. Ensemble, ils se rendent à Paris en 1888. Un séjour d’Amiet à Pont-Aven éloigne temporairement les deux amis en 1892. Le voyage en Bretagne est capital pour le Suisse, qui découvre sur place le synthétisme de Gauguin. De retour au pays, sa peinture s’oriente vers un divisionnisme aux couleurs expressionnistes hérité de sa participation à la première exposition de Die Brücke, en 1906. Retiré dans son atelier d’Oschwand, près de Berne, Amiet s’applique à faire valoir un art suisse qui, dans les années 1930, cherche à se démarquer de ses voisins totalitaires. www.gianadda.ch

Alice Bailly
(1872-1938)
L’École des beaux-arts de Genève encore interdite aux femmes en 1891, c’est à l’École des demoiselles qu’Alice Bailly fait son apprentissage artistique. À Paris, où elle s’installe en 1906, elle rencontre les artistes d’avant-garde et découvre auprès d’eux le cubisme et le futurisme qui resteront les deux composantes principales de sa peinture. Celle-ci est d’abord décriée en Suisse où être à la fois « peintresse » et cubiste est doublement pénalisant.
La reconnaissance pointe son nez en 1913 avec une première exposition personnelle au Musée Rath, à Genève. En 1918, Alice Bailly rejoint le groupe Das Neue Leben fondé à Bâle par Fritz Baumann. De cette époque datent ses premiers tableaux tissés dits « tableaux-laine », qui sont l’une des contributions les plus originales à l’art suisse de son temps.
www.musees.vd.ch et www.gianadda.ch

Louis Soutter
(1871-1942)
En 1902, c’est la rupture. Louis Soutter, peintre formé aux meilleures académies genevoises et parisiennes, quitte son poste de directeur du département des beaux-arts du Colorado College aux États-Unis où il s’est installé avec son épouse en 1897. Il s’en retourne seul en Suisse pour y mener une existence de vagabond avant d’être interné dans un asile où il passera les vingt dernières années de sa vie à dessiner. À partir de 1923, il remplit les pages de cahiers d’écolier qu’il peuple de scènes hallucinées. À 66 ans, Soutter, souffrant de cécité, n’hésite pas à renouveler radicalement sa technique. Il dessine alors directement avec ses doigts qu’il trempe dans l’encre comme des pinceaux vivants. À vérifier à la Maison de Victor Hugo, jusqu’au 30 août.
maisonsvictorhugo.paris.fr

Olivier Mosset
(né en 1944)
Ancien assistant de Jean Tinguely puis de Daniel Spoerri, Olivier Mosset fonde à Paris, en 1966, le mouvement B.M.P.T. en associant la première lettre de son nom à celles de Buren, Parmentier et Toroni. Ensemble, ils revendiquent le « degré 0 » de la peinture : support, couleur, texture. Entre 1966 et 1972, Mosset produit 200 cercles noirs sur fond blanc, manière pour l’artiste bernois de tourner le dos à l’abstraction de l’école de Paris et à l’expressionnisme abstrait du moment. En 1972, il fait une entrée remarquée dans la mouvance « appropriationniste » en rejouant les bandes de Buren avant de se lancer dans les années 1980 dans l’aventure du monochrome. Depuis 1996, Mosset vit à Tucson, en Arizona. Il revient cet été à Môtiers, près de Neuchâtel, pour participer au festival « Art en plein air ».
www.fillesducalvaire.com

Silvia Bächli
(née en 1956)
Depuis trente ans, Sylvia Bächli explore les possibilités infinies du dessin, son médium de prédilection. Dès 1984, elle concourt à en révolutionner la pratique avec ses premières installations murales qui peuvent comporter jusqu’à une cinquantaine de feuilles. Ses dispositifs, où l’espace entre les dessins (le mur blanc) fait partie intégrante de l’œuvre, ont fait connaître l’artiste bien au-delà de son Argovie natale. Signe de cette reconnaissance internationale, Sylvia Bächli est choisie en 2009 pour représenter la Suisse à la Biennale de Venise. Cet été, elle bénéficie d’une exposition monographique au Frac Franche-Comté à Besançon.
www.frac-franche-comte.fr

John M Armleder
(né en 1948)
John Armleder, figure emblématique de l’art contemporain genevois, paraît pour la première fois sur la scène locale en 1969. Il vient de fonder le groupe Ecart qui promeut une pratique collective de l’art. Parallèlement, Armleder développe un œuvre personnel qui émerge en 1979 avec sa première Furniture Sculpture. Son coup d’essai est une chaise peinte à la gouache que l’artiste qualifie de « peinture d’ameublement » afin de troubler le spectateur : « Est-ce l’œuvre qui décore ou le décor qui œuvre ? » Dans les années 1980, sa peinture abstraite le fait accéder à une reconnaissance internationale.
Ses toiles néo-géométriques proposent alors une relecture décomplexée de l’art abstrait du XXe siècle, tandis que ses Poor Paintings réactualisent les pratiques de l’Action Painting. Ses dernières recherches utilisent l’exposition comme médium. Il en inverse la hiérarchie des codes quand, en 2008, il demande au décorateur Jacques Garcia de réaliser à sa place son exposition.
www.galeriecaratsch.ch

Fabrice Gygi
(né en 1965)
Depuis 1994 et ses premières tentes en bâche, Fabrice Gygi exprime des préoccupations communautaires qu’il développe au travers de ses sculptures-installations. Celles-ci sont pensées comme des structures fonctionnelles à l’image de Podium (1997), Snack-mobile (1998), Vidéothèque mobile (1998) ou encore son Dérouleur de tapis rouge (1999) présenté jusqu’au 6 septembre à la Kunsthaus de Zurich dans le cadre de l’exposition « Europe, l’avenir de l’histoire ».
www.kunsthaus.ch

Didier Rittener
(né en 1969)
Ses dessins sont remarqués par la critique en 2002. Leur technique particulière les singularise. Les motifs, tirés de magazine de mode, de reproduction d’œuvres d’art, de planches de botanique ou de slogans publicitaires, sont transférés sur le papier ou sur la surface murale par l’empreinte chimique d’une photocopie ou par le biais d’images projetées. Les transferts sont ensuite repassés à la mine de plomb. Le procédé lent et minutieux est perçu par Didier Rittener comme un « acte de résistance à la surcharge médiatique et à l’abondance d’images indifféremment soumises à notre regard ». Jusqu’au 30 août, l’artiste est l’invité du MAC VAL (Val-de-Marne), avant de participer à la 8e Triennale de l’art imprimé au Musée des beaux-arts du Locle, près de la Chaux-de-Fonds.
www.langepult.com

Valentin Carron
(né en 1977)
À 36 ans, Valentin Carron peut déjà se prévaloir d’un CV impressionnant. Après une première exposition personnelle au Mamco de Genève en 2001, il enchaîne les solo shows au Swiss Institute de New York (2006), à la Kunsthalle de Zurich (2007), au Palais de Tokyo à Paris (2010) avant de représenter la Suisse à la Biennale de Venise en 2013. En décontextualisant les objets traditionnels de son Valais natal ou en réinterprétant certains canons de l’art moderne, Valentin Carron se situe dans la lignée des « appropriationnistes » suisses, de Sherrie Levine à Fischli et Weiss, en passant par Olivier Mosset et John Armleder.
www.kamelmennour.com
www.centre.ch

Denis Savary
(né en 1981)
Jeune artiste parmi les plus prometteurs de la scène contemporaine suisse, Denis Savary utilise tous les médias pour donner corps et vie à son univers à la fois poétique et humoristique. Pour y parvenir, il convoque indifféremment la danse, la sculpture, la vidéo ou la photographie, l’art étant toujours pour l’artiste « un espace de jeu mouvant ». En 2012, la Kunsthalle de Berne offrait au Genevois de 34 ans sa première exposition institutionnelle de grande ampleur. Il est exposé cet été au Mamco (Genève), en attendant d’investir le Centre culturel suisse, à Paris, à partir de janvier 2016.
www.mamco.ch et www.xippas.net

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°680 du 1 juin 2015, avec le titre suivant : Ces artistes qui font la Suisse

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