Portrait

Catherine Grenier, conservatrice, directrice adjointe du Musée national d’art moderne-Centre Pompidou

Catherine Grenier, la directrice adjointe du Musée national d’art moderne, est candidate à la succession d’Alfred Pacquement

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 10 avril 2013 - 1818 mots

Liée depuis plus de vingt ans au Centre Pompidou, Catherine Grenier entend explorer les champs périphériques de l’art moderne. Elle vise la succession d’Alfred Pacquement au Musée national d’art moderne.

Petit sourire timide et air déterminé, Catherine Grenier tient un air sauvage, plutôt Diane que biche. Au Centre Pompidou, dont elle est un pilier, elle assure l’interface avec nombre d’artistes contemporains qui lui vouent une fidélité sans faille. Aujourd’hui, elle est chargée par son président, Alain Seban, de refaire l’accrochage de l’art moderne au Musée : mille œuvres sur 5 000 m2, ce qui en fera, dit-elle, « la plus grande exposition en Europe ». Elle explique ses intentions dans un ouvrage proposant de « transcender » le clivage entre beaux-arts et histoire. Elle est une boulimique de la publication.
Catherine Grenier est aussi une femme dont les ambitions ont été parfois contrariées, instillant quelques pointes acérées. Ayant espéré prendre la direction du Palais de Tokyo il y a quelques années, elle a subi un échec dont la blessure ne s’est pas tout à fait refermée, quoi que veuille bien en dire celle qui se définit comme une « optimiste active ». Dernièrement encore, elle aurait dû être commissaire de la rétrospective « Dalí » qui vient de se terminer sur un succès historique de fréquentation. Cela ne s’est pas fait, à la suite d’un méli-mélo qui s’est conclu sur un marchandage, pour lesquels les musées français cultivent un don qui fascine nos amis étrangers. Elle a tenu sa petite revanche en publiant, des semaines à l’avance, une monographie illustrée de l’artiste qui valait bien le catalogue.
À nouveau, elle est candidate. Cette fois, forte d’un immense travail et du réseau de sympathies qu’elle a tissé avec les artistes et les galeries, elle vise la succession d’Alfred Pacquement au Musée national d’art moderne (Mnam), dont elle est devenue l’adjointe. Alain Seban a retardé le processus à l’été, pour parer au risque de confusion avec celui de la présidence du Louvre, qui a été passablement malmené par la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti. Une chose est certaine : la course reste très ouverte.

Catherine Grenier est une femme de conviction, qui déploie une grande énergie pour explorer des champs négligés dans une France retardataire, et relaie une réflexion inaugurée aux États-Unis depuis quelques décennies déjà, sur le mondialisme, les femmes ou les minorités. « Une personne assez double, confie, admirative, l’une de ses premières compagnes de route, Annette Messager. Elle est capable de s’enfermer des jours à la campagne pour écrire, avant de rentrer à Paris se plonger dans un accrochage. Une grande travailleuse. » Messager est de ces artistes qui ont engagé à un moment de leur vie un dialogue avec la dame. « La plupart du temps, témoigne-t-elle, quand un conservateur veut présenter l’œuvre d’un créateur, il le montre comme s’il était mort. Catherine Grenier le traite comme un artiste vivant, cela change tout. » La fidélité, aussi, est fréquemment citée à son propos. « Une fois l’exposition passée, beaucoup vous oublient ; elle, elle conserve la relation, elle la nourrit et l’entretient, poursuit Messager. Elle a un œil, je me souviens de son passage alors que j’étais en pleine installation dans une galerie à New York, chez Marian Goodman, elle m’a dit : il y a trop de choses. On se connaissait à peine. Je me suis dit : Qui est-elle pour débarquer comme cela ? Quelques heures plus tard, je me suis rendu compte qu’elle avait raison. » À quoi l’intéressée répond : « Annette Messager m’a ouvert le regard, elle a eu beaucoup d’importance pour moi. Elle a contribué à m’ouvrir à des formes artistiques comme l’art brut ou le pathos de l’humour. »

Peu diplomate
Ce qui ressort chez elle, pour Agnès Thurnauer, ce n’est pas seulement cette « constance » dans ses échanges avec les plasticiens, mais surtout « une vision qui vient de très loin et qui va très loin : elle a une longue focale ». Cette artiste souligne la faculté de la conservatrice à relayer son propos d’une « capacité constructive exceptionnelle ». « Elle a sa propre réflexion, qu’elle poursuit, elle trace sa route. »
Cette détermination a son revers : la diplomatie n’est pas le fort de Catherine Grenier. Une consœur, qui dit « respecter la professionnelle », lui trouve ainsi un côté « très bonne élève, première de la classe », mais « manquant de charisme ». Quand elle fut chargée de préparer l’implantation du Centre Pompidou au Palais de Tokyo, la rencontre a été heurtée avec l’association du Site de création contemporaine, déjà installée dans la place et qui ne comptait pas lui faire de cadeau. Elle trouvait naturel d’hériter de la responsabilité du nouveau lieu. Les politiques l’ont lâchée, en dépit d’un appel de ses amis artistes, qui a été perçu comme une ultime maladresse. L’intéressée le reconnaît à mi-mots, en soulignant avoir changé depuis. Elle se dit aujourd’hui assurée de l’adhésion de ses équipes. « Depuis qu’Alain Seban lui a confié la responsabilité de la recherche et de la mondialisation, son bureau est devenu une véritable pépinière de chercheurs venus du Brésil, du Liban ou d’Iran », raconte une collègue.
« J’ai voulu fonder le nouvel accrochage sur la recherche, en lien avec l’Université », explique l’intéressée. Elle voudrait casser « l’histoire linéaire de l’art, la réécrire en proposant de nouvelles lectures des modernités plurielles, en s’intéressant à des artistes insuffisamment connus, qui sont restés à l’écart des groupes organisés ». Un accrochage à ses yeux « ne doit pas être l’ostentation des trésors, mais une lecture de l’art qui intègre les périphéries ». Elle cite l’exemple du réalisme à sujet social et politique dans les années 1930, de l’abstraction au Moyen-Orient ou de l’interprétation du modernisme au Brésil, évoquant une « ethnologie élastique ». « Elle parvient à ouvrir de nouvelles perspectives, en accouchant d’une production théorique, contrairement aux conservateurs qui cultivent leur petit pré carré », juge ainsi un responsable des lieux.

« Passeur » de parole
En deux décennies, Catherine Grenier a orchestré trente expositions ou manifestations similaires, certaines aussi importantes que « Les années pop » (2001), « Los Angeles 1955-1985 » (2006), « Abracadabra » (avec Catherine Kinley), essai sur la fantaisie de l’art en 1999, à la Tate Modern (Londres), ou, six ans plus tard, le premier accrochage thématique au Mnam, « Big Bang », concentré sur la destruction dans la création. Dans le même temps, elle a signé treize monographies et conduit dix-huit ouvrages collectifs, livres d’entretien ou catalogues d’exposition. Des noms reviennent souvent : Messager, Christian Boltanski – qu’elle a accompagné pour son « Monumenta » dans la nef du Grand Palais –, Robert Morris, Malcolm Morley, Maurizio Cattelan… Et, du côté de l’Arte povera, Giuseppe Penone, Luciano Fabro, Claudio Parmiggiani… Elle a consacré ses mémoires universitaires à la réception de cet art italien en France et à l’esprit radical de Fontana. Mention très bien, à chaque fois, on n’en doutait pas. C’est sans compter nombre d’essais sur des sujets aussi variés que la dépression, le christianisme (elle est catholique pratiquante) ou les vanités dans la création. On ne s’y amuse pourtant pas à tous les paragraphes, écrits dans cette langue un peu savante, un peu lisse et étirée, très propre aux universitaires.
Une partie de cette prose sert à porter la parole des artistes, sans prendre, à ce moment, la distance du critique d’art. Une position qu’elle assume, voulant bien se définir comme « passeur » de parole. « L’entretien avec l’artiste, c’est un témoignage formidable, l’histoire de l’art, qui a dédaigné la micro-histoire, s’en est trop privé. » Et si les artistes inventent ou se contredisent, l’auteur participe-t-il d’une supercherie ? « Pas du tout, c’est simplement un outil pour l’histoire ; le lecteur peut voir la contradiction : je ne propose pas la vérité. Le grand succès de ces livres témoigne d’un besoin de théâtraliser l’art. »
Elle se voit ainsi inscrite dans un réseau de « mises en relation » : « Un musée est comme un cerveau, avec toutes ses connexions ». Dont elle pourrait être le regard, dont la froideur apparente renverrait à une « force amoureuse des artistes », selon les mots du metteur en scène québécois d’origine libanaise, Wajdi Mouawad. L’ayant rencontrée au cours d’une conférence sur Boltanski, il a été « énormément impressionné par la liberté d’une parole qui resituait la violence au cœur du propos artistique » et qui l’a aidé à réfléchir sur son propre théâtre. « J’ai eu l’impression que, dans la création, elle accorde presque plus d’importance à la démarche qu’au résultat. »

« Extrêmement féministe »
Catherine Grenier est très forte, si l’on pense qu’elle conjugue tout cela avec une famille recomposée qui compte cinq enfants. Elle se dit « extrêmement féministe », même si elle ne suit pas l’engouement maladroit de la ministre de la Culture en faveur de la parité. Elle est née il y a près de 53 ans à Lyon. Le père notaire, qui aimait Joyce, avait posé un porte-bouteilles face au piano en hommage à Duchamp. À l’âge de 8 ans, elle a suivi sa mère à Paris. Elle a su tôt qu’elle voulait s’engager dans l’histoire et dans l’art. À l’Université et à l’École du Louvre, elle s’est intéressée aux XIXe et XXe siècles, alors plutôt délaissés.
Autre grande rencontre, celle de Dominique Bozo, qu’elle a suivi au Centre Pompidou et dans les allées du ministère. Pendant quatre ans, à la direction régionale des Affaires culturelles à Rouen, elle a promu des expositions et s’est initiée au langage de l’administration et des budgets. Conseillère au cabinet de Renaud Donnedieu de Vabres, elle a donné naissance à la manifestation « Monumenta », avec Richard Serra, belle expérience aujourd’hui mise de côté. Mais du désastre de la Triennale d’art contemporain lancée par le ministre, elle ne dit mot. Elle se sent bien éloignée de la politique, manifestement…
Sa force de travail surmonte aussi sa timidité. « On a du mal avec soi-même », dit-elle en s’avouant portée vers les artistes « qui cherchent à dépasser cela et ces violences ». Et elle trouve « toujours plus intéressant de dialoguer avec une personnalité difficile qu’avec une personnalité éteinte ». De sa route, avoue-t-elle, elle n’entend pas « dévier ».

Catherine Grenier en dates

1960 Naissance à Paris.

1987 Entre au Centre Pompidou.

1988 Conseillère pour les arts plastiques à la Drac Haute-Normandie.

1992 Revient au Centre Pompidou.

1999 « Abracadabra », à la Tate Modern, à Londres

2006 « Big Bang » au Mnam. Conseillère du ministre Renaud Donnedieu de Vabres.

2007 Chargée du projet du « Centre Pompidou-Alma » au Palais de Tokyo.

2010 Nommée directrice adjointe du Mnam, en charge du programme « recherche et mondialisation ».

2013 Chargée du raccrochage de la collection moderne ; parution en avril de La Fin des musées ? aux Éditions du Regard.

Consultez la fiche biographique de Catherine Grenier

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°389 du 12 avril 2013, avec le titre suivant : Catherine Grenier, conservatrice, directrice adjointe du Musée national d’art moderne-Centre Pompidou

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