École d'art

Bien choisir son école d’art et de design en réseau

Par Mathieu Oui · L'ŒIL

Le 1 mars 2018 - 2473 mots

Dans le choix d’une école d’art, la qualité pédagogique n’est pas le seul critère à considérer. La façon dont les établissements travaillent en réseau et développent leurs relations avec le milieu de l’art constitue un autre élément à prendre en compte.

Atelier céramique de l’École supérieure d’art et de design Le Havre-Rouen.
Atelier céramique de l’École supérieure d’art et de design Le Havre-Rouen.
Photo Charlène Cramoisan

Dans le parcours d’un jeune artiste, les rencontres effectuées au cours des études peuvent s’avérer déterminantes. C’est aux beaux-arts de Bordeaux que Guillaume Segond et Hugo Durante se sont rencontrés et que l’idée de former leur duo artistique Segondurante a germé [lire ci-dessus]. Avec le recul, ces deux jeunes artistes considèrent l’école comme « l’origine et le terreau de leur pratique artistique ». Jisoo Yoo, jeune Coréenne qui termine cette année son cursus à l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy, souligne quant à elle la solidarité dont elle a bénéficié au cours de ses études. « En première année, j’étais un peu perdue, car je ne maîtrisais pas encore bien le français. Mais les autres étudiants m’ont beaucoup aidée en me passant les notes et en répondant à mes questions. »

« L’école est le premier endroit où l’on crée son réseau », assure Jean-Michel Géridan, directeur de l’École supérieure d’art de Cambrai. Cela commence avec les autres étudiants avec lesquels des amitiés se nouent et des projets sont mis en place. Mais cela concerne aussi les enseignants, le personnel administratif, les intervenants extérieurs, les artistes et professionnels rencontrés lors des stages ou des séjours à l’étranger… En complément des critères habituels (qualité pédagogique, équipement matériel, spécialités proposées, implantation géographique, etc.), les liens de l’école avec son environnement constituent donc un élément essentiel dans le choix d’un établissement.

L’impact des regroupements territoriaux

En matière d’offre de formations, les jeunes qui se destinent à une carrière artistique ont l’embarras du choix. Rien que pour le secteur public, on ne compte pas moins de quarante-trois écoles d’art et de design sous la tutelle du ministère de la Culture. Au niveau régional, plusieurs d’entre elles se sont regroupées dans le cadre d’établissements multisites, par exemple Poitiers-Angoulême, Tours-Angers-Le Mans ou encore Strasbourg-Mulhouse. Le rapprochement des établissements entraîne des reconfigurations. C’est ainsi que le site havrais de l’École supérieure d’art et design Le Havre-Rouen (ESADHaR) a choisi de se recentrer sur le design graphique. Les étudiants qui visent la mention art devront suivre le cursus sur le campus de Rouen. Entre les sites de Mulhouse et Strasbourg, les spécialités de la Haute École des arts du Rhin (HEAR) ont été réparties afin d’éviter les doublons, mais il est possible de changer d’établissement en cours de cursus, pour rejoindre telle ou telle option.

Plus largement, l’organisation des établissements en réseaux régionaux leur permet de développer des actions communes. Réunies en association, les quatre écoles d’art du Grand Est participent à des salons professionnels comme la foire du livre de Francfort. Elles ont également mis en place un festival d’art vidéo qui se déroule chaque année sur plusieurs sites et un bureau du dessin (workshops et exposition itinérante). « Pour un étudiant, participer à une exposition qui circule dans plusieurs lieux est une façon d’élargir son réseau », analyse David Cascaro, le directeur de la HEAR. À Nancy, le regroupement de l’École d’art et de design (ENSAD), de l’école de commerce (ICN Business School) et de l’école d’ingénieur des Mines au sein de l’alliance Artem a permis de mettre en place une pédagogie originale, qui valorise une approche pluridisciplinaire.

À travers différents dispositifs comme les Ateliers Artem, les étudiants de ces trois établissements peuvent élargir leurs compétences et découvrir d’autres univers. Tous les vendredis, une soixantaine d’élèves de quatrième et de cinquième année de l’ENSAD se retrouvent avec leurs homologues en commerce et ingénierie pour plancher sur la gestion des risques, le cinéma plasticien, l’écocitoyenneté ou l’humain augmenté. « En se confrontant avec des étudiants en commerce, on découvre d’autres codes ou manières de raisonner », témoigne Aliénor Morvan, jeune diplômée de l’école nancéenne [lire ci-contre]. « Par exemple, leur approche de la couleur est plus liée à des notions marketing, tandis qu’en design, nous nous intéresserons plutôt aux usages. Pour travailler ensemble, il faut alors apprendre la langue des autres. » En participant à ces ateliers du vendredi, la jeune designer s’est aussi formée à la gestion de projets, et elle a étoffé son carnet d’adresses. « Monter des projets dans le cadre de l’écosystème Artem permet de nouer très vite des liens avec les collectivités locales, des fabricants locaux ou des entrepreneurs, observe Aliénor. Quand on développe ensuite ses propres projets, ce tissu de contacts nous fait gagner beaucoup de temps.

S’insérer dans le réseau de l’art contemporain

Pour aider les étudiants à se professionnaliser et à enrichir leur pratique d’une expérience concrète, la plupart des écoles ont développé des relations avec les institutions artistiques du territoire : musées, centres d’art, galeries, etc. L’École d’art de Cambrai a, par exemple, noué des partenariats avec le Musée des beaux-arts de la ville, mais aussi avec le Fonds régional d’art contemporain de Dunkerque et d’autres institutions culturelles du territoire (médiathèque, antenne de l’Imprimerie nationale à Douai, opéra de Lille, etc.). « Cette mise en réseau constitue une nécessité », insiste le directeur Jean-Michel Géridan. « Si l’école travaillait uniquement sur son territoire local, nous serions très seuls et isolés. »

Dans cette insertion dans le tissu local, certains établissements vont encore plus loin. Copiloté par l’École nationale des beaux-arts de Lyon et les Subsistances, un lieu de résidences et de création artistique hébergé sur le même site, le nouvel art-lab NRV (Numérique, Réalités, Virtualités) est destiné aux personnes ayant une pratique artistique liée au numérique. Des outils pour imprimer en 3D, réaliser des prototypes électroniques ou des installations en réalité virtuelle sont mis à leur disposition.

À la rentrée 2017, l’École des beaux-arts de Nantes a emménagé dans de nouveaux locaux, sur l’Île de la création, un nouveau quartier qui regroupe d’autres établissements de formation et des institutions culturelles. Le principe est de créer un écosystème favorable au futur artiste, réunissant à la fois des studios de production, des lieux de diffusion (galeries, auditorium) et des équipements collectifs (restaurant, bibliothèque).

À Montpellier, l’École supérieure des beaux-arts a intégré le Moco, un nouvel établissement public, réunissant le centre de culture contemporaine La Panacée et le futur musée d’art contemporain qui doit ouvrir en 2019. Cette nouvelle structure est dirigée par le critique d’art et commissaire d’expositions Nicolas Bourriaud. « De la formation jusqu’à l’exposition, l’idée est de créer une sorte de chaîne de l’art contemporain, explique ce dernier. La plupart des artistes qui exposent à la Panacée sont sollicités pour intervenir dans l’école à travers des workshops. Et les étudiants participent au montage des expos et à leur médiation. »

L’ouverture internationale

Les relations internationales d’une école peuvent prendre différentes formes : voyages d’études, workshops, stages, échanges d’étudiants ou de professeurs voire ouverture d’antennes à l’étranger, comme dans le cas de l’école de Nantes, qui dispose d’un lieu à Marfa au Texas. La HEAR bénéficie de sa position transfrontalière, au cœur de l’Europe. En novembre 2017, le site de Mulhouse a accueilli un workshop trinational réunissant, durant trois jours, cinquante étudiants de Master design issus de sept écoles françaises, suisses et allemandes. L’occasion pour les élèves de découvrir de nouvelles disciplines, de monter en compétences et aussi d’enrichir leurs contacts avec de nouveaux étudiants, des enseignants ou des artistes.

À Bordeaux, ville jumelée avec Los Angeles, un groupe d’étudiants de l’école d’art est parti en voyage d’études dans la cité des Anges. Mais les séjours longs sur le modèle des échanges Erasmus, qui ne concernent qu’une minorité d’élèves, sont encore à développer. Si les établissements affichent sur leurs sites Internet une longue liste de partenariats à l’étranger, ceux-ci fonctionnent parfois par intermittence ou ne concernent qu’une poignée d’élèves. « Le nombre d’écoles étrangères partenaires ne dit pas forcément la réalité des choses, reconnaît David Cascaro. Il faut plutôt regarder quels sont les partenariats forts et actifs. » De façon plus pragmatique, cette ouverture internationale suppose aussi un enseignement de l’anglais digne de ce nom, à destination des étudiants… mais aussi des enseignants.

Les réseaux professionnels

À la différence des grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce, les établissements artistiques ne cultivent pas vraiment les relations avec leurs diplômés. Peu d’entre elles disposent par exemple d’une association d’anciens. Plusieurs directeurs reconnaissent d’ailleurs que c’est un point faible de la formation. « Par définition, les artistes auteurs sont des personnes indépendantes qui n’ont pas un attachement supérieur à leur formation », glisse l’un d’entre eux. Par ailleurs, les artistes qui enseignent en écoles d’art ne se revendiquent pas toujours comme tels dans leur milieu professionnel.

Durant leurs études, les Segondurante reconnaissent qu’ils n’ont pas été particulièrement sensibilisés à cette question. « Ce n’était pas du tout dans les préoccupations de nos professeurs de l’époque. Mais, indirectement, les rencontres liées à l’école nous ont fait comprendre l’importance primordiale du réseau », témoignent-ils. Comme souvent, celui-ci se constitue au fur et à mesure du temps, par ricochets successifs.

Avec l’institution le Confort Moderne de Poitiers, qui vient d’exposer les deux jeunes Bordelais, c’est un peu « une histoire de famille ». « En 2014, nous avons assisté le commissaire Laurent Le Deunff pour l’exposition “Natura Lapsa”. La relation tissée avec l’équipe est restée. Yann Chevalier, le directeur, est venu visiter notre première exposition solo, et certaines de nos pièces correspondaient au projet de l’exposition de réouverture du Confort. » Conscientes qu’elles doivent améliorer l’accompagnement de leurs diplômés, les écoles ont mis en place différents dispositifs d’aide à l’insertion. Cela peut prendre notamment la forme de formations post-diplômantes ou d’offres de résidences. C’est ainsi que l’Association des écoles supérieures d’art et design d’Auvergne-Rhône-Alpes (Adéra) propose toute une série d’aides à la professionnalisation des jeunes artistes et designers comme la mise à disposition d’ateliers de production, l’aide à la production ou à la publication.

Dernière initiative en date : le projet de plateforme de ressources des écoles d’art du Grand Est (Presage). Ce site Internet vise à répondre à toutes les questions relatives aux démarches administratives des artistes en début de carrière. « Ils sont confrontés en permanence à des problématiques d’ordre juridique autour d’un contrat ou de la signature d’un bail pour un atelier, explique Grégory Jérôme, en charge du projet. Des experts spécialisés donneront des réponses circonstanciées, et en fonction de l’occurrence des questions, nous pourrons publier des fiches ressources. » Prévue pour une mise en ligne au printemps, la plateforme Presage sera accessible à tous les jeunes diplômés du Grand Est moyennant un abonnement modique. Un outil simple pour les aider à développer leur activité, et peut-être, sortir du lot.
 

Liste des écoles sur www.andea.fr
Association des classes prépas publiques aux écoles d’art : www.appea.fr
Louis Fouilleux
22 ans, en DNSEP design graphiqueà la HEAR Mulhouse
« J’ai commencé mes études par un BTS design de produits à Saint-Étienne, la ville dont je suis originaire. Son école d’art est très reconnue, mais elle ne proposait pas de section graphisme et j’avais envie de voyager. J’ai donc choisi Mulhouse pour son ouverture transfrontalière. J’ai participé à plusieurs workshops internationaux. Un des workshops proposés par l’IBA de Bâle consistait en la réhabilitation d’une zone protégée de la ville. Ce projet, qui a duré un an, réunissait des élèves architectes de Bâle et des étudiants en art de Fribourg et de Mulhouse. En novembre 2017, j’ai suivi un autre workshop trinational qui m’a permis de découvrir l’impression en 3D. Nous avons eu beaucoup d’échanges en anglais avec les autres participants. C’est très stimulant de sortir du train-train de l’école et de se confronter à d’autres élèves. »
Aliénor Morvan
28 ans, titulaire d’un DNSEP design obtenu en 2015 à l’ENSAD Nancy
« Mon projet de compostage partagé en milieu urbain a été sélectionné par l’incubateur Stand up Artem. Il est né durant mes études, dans le cadre des ateliers de recherche Artem. Pendant deux ans, je dispose d’un local, j’ai accès aux ateliers du campus et je reçois 500 euros de gratification par mois. Je bénéficie aussi de l’accompagnement de professionnels. Avoir collaboré avec des étudiants d’autres univers permet ensuite d’être plus pragmatique. Par exemple, j’intègre désormais, dès la conception, les questions liées au coût et au transport, des thèmes pas forcément abordés dans nos études de design. L’apprentissage se fait un peu dans la douleur, mais cela permet d’apprendre beaucoup plus vite. »
Alan Affichard
28 ans, titulaire d’un DNSEP des Beaux-Arts de Nantes en 2016, sélectionné en 2017 pour le Berlin Program for artists
« Après mon diplôme, je voulais partir de France afin d’aller voir ce qui se passait à Berlin. Très intéressé par le travail de Saâdane Afif, j’ai cherché son contact via un de mes professeurs qui l’avait eu comme élève. Depuis plus d’un an et demi, je travaille pour lui en tant qu’assistant. C’est Saâdane qui m’a parlé du “Berlin Program for Artists”, une sorte de post-diplôme un peu expérimental, sans lieu fixe, et qui se base sur le relationnel. Nous sommes onze jeunes artistes accompagnés par douze artistes confirmés que nous rencontrons très régulièrement. Nous bénéficions d’une bourse de production, et travaillons sur une exposition collective. Il ne faut pas avoir peur de contacter les artistes que l’on apprécie, que ce soit juste pour une rencontre, un stage ou une visite d’atelier. »
Jisoo Yoo
27 ans, en DNSEP à l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy, lauréate du prix Bic en 2017
« Originaire de Corée, je suis arrivée en France en 2011. J’ai commencé par six mois d’apprentissage du français, puis j’ai suivi une année à Prép’art à Paris. Aux beaux-arts de Cergy, j’ai expérimenté la performance, l’installation, la sculpture. J’apprécie beaucoup cette liberté d’essayer des choses. Les études artistiques reposent sur l’autonomie de l’étudiant. L’école transmet beaucoup d’informations, les enseignants nous passent leurs contacts, mais on ne nous force à rien. C’est à nous de prendre rendez-vous avec eux pour leur montrer notre travail. C’est par l’école que j’ai eu connaissance du prix Bic auquel j’ai participé en 2017. J’ai remporté le prix doté de 5 000 euros et je vais présenter mon œuvre lors d’une exposition au 104 en avril. J’envisage aussi de présenter un dossier au Salon de Montrouge et à la Jeune Création. »
Segondurante
Guillaume Segond, 24 ans, et Hugo Durante,26 ans, diplômés en 2016 des beaux-arts de Bordeaux
« Nos études nous ont apporté de la sensibilité et de la créativité. Elles nous ont permis de développer un vrai esprit critique, de mieux analyser les formes qui nous entourent et de mieux les intégrer dans le contexte. Quand on sort du lycée, certains contenus peuvent laisser perplexe au premier abord, mais il faut laisser le temps d’infuser. L’année de post-diplôme “la grande évasion” a été un véritable tremplin. De façon indirecte, elle a débouché sur notre premier solo show, sur des premières ventes et commandes. L’atelier mis à disposition cette année-là nous a permis de mener à bien de nombreux projets qui, sans cela, n’auraient pas pu aboutir, par exemple une grande sculpture pour le château Smith Haut Lafitte. »

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°710 du 1 mars 2018, avec le titre suivant : Bien choisir son école d’art et de design en réseau

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