Justice

Un vase minoen au centre d’une bataille judiciaire

Par Philippe Sprang · Le Journal des Arts

Le 18 mars 2018 - 1088 mots

PARIS

Malgré deux décisions de justice lui enjoignant de s’exécuter, la Galerie Ratton-Ladrière refuse de restituer un vase antique mis en dépôt-vente chez lui il y a plus de dix ans.

Le vase d'époque minoenne (IIe millénaire av. J.-C.) au cœur du litige
Le vase d'époque minoenne (IIe millénaire av. J.-C.) au cœur du litige
Photo Emmanuel Soubielle

Paris. Si elle n’était judiciarisée, elle resterait comme l’une de ces bonnes histoires dont le marché de l’art raffole. Celle d’une sensationnelle trouvaille par un novice, de celles dont rêvent et se rengorgent les professionnels. Au centre de cette affaire, un vase minoen que se disputent Emmanuel Soubielle (aujourd’hui courtier en art ancien) et la galerie parisienne Ratton-Ladrière. Condamnée en appel en avril 2017 à le restituer, cette dernière rechigne à rendre le vase malgré les injonctions de la justice.

L’histoire commence en 2007, Emmanuel Soubielle a 24 ans : « J’étais étudiant, je suivais des cours à l’École du Louvre et, passionné par les antiquités, je fréquentais assidûment les salles de ventes. Lors d’une vente courante chez Giafferi, le 12 octobre 2007 à Drouot, je remarque un vase d’environ 13 cm qui ressemblait beaucoup à un autre objet dit “gobelet au chef” se trouvant au musée d’Héraklion, en Crète. » La pièce présentée au Musée archéologique d’Héraklion est en stéatite, une roche tendre composée de talc, elle date du IIe millénaire avant J.-C. et a été exhumée lors des fouilles de Haghia Triada, en Crète. « Je l’acquiers pour 20 euros, je suis sûr que c’est un vase de la civilisation minoenne. Vu l’importance de l’objet, j’estimais qu’il pourrait valoir plusieurs millions d’euros sur le marché. »

Contactée, la maison de ventes Christie’s conseille à Emmanuel Soubielle, eu égard à son jeune âge, d’étoffer son enquête sur la provenance tandis qu’une galeriste du quai Voltaire se tient à distance : l’affaire est trop belle, se pourrait-il que l’objet provienne d’un vol ? « Je retourne voir Me Giafferi afin de connaître l’origine des objets mis en vente, il m’éconduit », explique le jeune homme.

Pendant quelque temps, il conserve l’objet chez lui pour l’étudier. Finalement, un marchand du Carré Rive Gauche l’invite à contacter Guy Ladrière, un antiquaire parisien de renom. La rencontre entre Emmanuel Soubielle et Guy Ladrière intervient environ deux mois après l’achat à Drouot. « On devait être fin 2008. Il regarde le vase, on discute et, un rien paternaliste, comme s’il me faisait une faveur, il explique : “C’est conclu, je le prends en dépôt, je trouve un client et on partage en deux.” Je lui demande un reçu, il me tranquillise, mais rien. Je le revois et le relance à propos d’un reçu, mais toujours rien. Il me rassure “Ne t’en fais pas, tu as peur de quoi ?” ». Emmanuel Soubielle poursuit : « Deux ou trois ans après le dépôt je m’inquiète un peu, je reviens le voir et lui demande à revoir le vase. Il le sort, je lui reparle du reçu, il prend alors un air outragé et me prend le vase des mains. Il m’assure qu’il a fait ce qu’il fallait, mais que pour le vendre il avait besoin d’un certificat d’exportation qu’il avait demandé. Malgré mes recherches, je ne trouve pas de traces d’une quelconque demande de certificat d’exportation pour le vase. Plus tard, lorsque je l’appelle, courant 2012, il est sur la défensive, me demande de lui “rendre son pognon”, car, explique-t-il, le Saint Mathieu a été volé, il a dû le rendre. Là je tombe des nues, je n’ai jamais été prévenu. »

L’affaire dans l’affaire

Explications, nous sommes en 2012 et depuis leur rencontre quatre ans plus tôt, il a été convenu que si Emmanuel Soubielle découvrait des pièces d’intérêt il pourrait les proposer à la galerie de Guy Ladrière. C’est ainsi que le 22 octobre 2009 il achète pour 1 000 euros une statuette en pierre du XIIIe siècle représentant saint Matthieu auprès d’un brocanteur parisien et, une semaine plus tard, la revend pour 10 000 euros à la galerie. Problème, alors qu’il tente de la vendre, l’antiquaire est informé par les services du ministère de la Culture et de la Communication que la statuette a été dérobée et provient de la cathédrale Sainte-Croix à Orléans. Il est contraint de rendre la statuette le 25 octobre 2010, avec à la clé une perte sèche de 10 000 euros. De son côté, facture en main, Emmanuel Soubielle plaidera plus tard sa bonne foi auprès des services du ministère. « J’ai expliqué à Guy Ladrière que j’étais prêt à lui rembourser les 10 000 euros à la condition qu’il me rende le vase », rapporte-t-il. Quelques courriels sont échangés, le ton monte, Emmanuel Soubielle s’adjoint les services d’un avocat qui, le 13 novembre 2012, met en demeure la galerie de justifier sous 48 heures ses démarches effectuées pour vendre le gobelet et, à défaut, de le restituer. Et l’avocat de la galerie de répondre trois jours plus tard à son confrère qu’il « entend contester les faits tels que relatés par [son] client qui n’a pas manqué de céder un objet volé, et qui a remis le gobelet litigieux à la Galerie Ratton-Ladrière à titre de dédommagement. »

Une argumentation curieuse dans la mesure où, comme le souligne la défense d’Emmanuel Soubielle, « la remise du vase était antérieure à la vente de la statuette ». « Du coup, mon avocat a demandé si, en conséquence, le dépôt du vase figurait bien dans le livre de police de la galerie », explique l’ancien étudiant. Résultat, arguant du fait que l’avocat « n’avait pas été informé de la totalité des litiges », la défense de la galerie s’ajuste : il s’agit désormais d’un « achat à titre personnel par M. Ladrière pour un montant de 3 000 euros ». De ce fait, plus besoin d’une inscription dans un livre de police. Quoi qu’il en soit, selon Emmanuel Soubielle : « Guy Ladrière n’a pas pu produire la moindre facture d’achat. »

Saisi le 8 août 2013 par Emmanuel Soubielle, le TGI de Paris le déboute le 25 mai 2015 « de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la Galerie Charles Ratton et Guy Ladrière ». Emmanuel Soubielle fait appel et, dans son arrêt du 20 avril 2017, la cour d’appel infirme le jugement et condamne la galerie à restituer le vase minoen à Emmanuel Soubielle. Si ce dernier a bien indemnisé la galerie à hauteur de 10 000 euros pour la vente du Saint Mathieu comme l’a demandé la cour d’appel, il attend en vain le retour du vase minoen. De guerre lasse, il saisit le juge de l’exécution qui ordonne le 13 décembre 2017 l’antiquaire à restituer le vase au plaignant sous astreinte de 200 euros par jour. Contacté, Guy Ladrière n’a pas souhaité répondre à nos questions.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°497 du 16 mars 2018, avec le titre suivant : Un vase minoen au centre d’une bataille judiciaire

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