Patrimoine

La Samaritaine

Un colosse de métal vulnérable

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 2005 - 811 mots

PARIS

Ce fleuron du patrimoine commercial parisien présente une réelle dangerosité pour le public. Mais les avis divergent sur la durée des travaux.

PARIS - Construits au début du XXe siècle en face du Pont-Neuf et inscrits sur l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis 1990, les grands magasins de la Samaritaine furent, en leur temps, une architecture d’avant-garde. Comprenant initialement quatre magasins, tous bâtis ou transformés par l’architecte Frantz Jourdain (1847-1935), la Samaritaine n’en occupe actuellement plus que deux : les magasins n° 2 et 4, situés entre la rue de Rivoli et le quai du Louvre. Déjà restaurés, les deux autres ne sont donc pas menacés par les injonctions de la préfecture de police de Paris qui obligent aujourd’hui l’établissement à fermer ses portes (lire le JdA n° 218, 24 juin 2005).
Chargé en 1904 d’agrandir le magasin de nouveautés qu’Ernest Cognacq avait ouvert en 1870, Frantz Jourdain choisit d’utiliser une mince ossature d’acier préfabriqué. Une technique rapide et économique qui permet à l’architecte d’exalter les qualités techniques et esthétiques du métal. La structure, délibérément laissée apparente, est peinte en bleu canard, revêtue d’un décor Art nouveau aux couleurs criardes (en partie supprimé en 1937) et coiffée de deux dômes en bulbe (démontés dans les années 1920). S’il fait scandale, le magasin n° 2 impressionne malgré tout pour la clarté de ses volumes intérieurs : percé de nombreuses baies, il s’organise autour d’une vaste cour centrale couverte d’une grande verrière et ceinturée de coursives dont les planchers sont dallés de verre. Le succès étant au rendez-vous, Cognacq continue son extension dans le quartier. En 1920, il parvient à racheter les immeubles qui lui bloquaient l’accès au quai du Louvre et commande à Jourdain l’agrandissement du magasin n° 2. À une condition imposée par la Ville de Paris : que l’architecte renonce au métal en façade. Associé à Henri Sauvage, Jourdain livre en 1928 une imposante façade Art déco (1928), entièrement plaquée de pierre de taille.

Travaux peu complexes
Dénaturés dans leurs volumes intérieurs et mal entretenus – la vétusté des installations électriques avait déjà provoqué un départ de feu en janvier –, les magasins 2 et 4 paient aujourd’hui les audaces architecturales de leur concepteur. Depuis 2000, les différents rapports d’expertise ont en effet jugé les structures des bâtiments insuffisamment stables au feu. « Si le métal ne brûle pas, il se déforme à la chaleur et entraîne la ruine du bâtiment », explique Bertrand Lemoine, architecte, ingénieur et spécialiste de la construction métallique. Comment, dès lors, mettre aux normes cette très belle structure historique sans en altérer l’authenticité ? « Il faut agir de manière globale, en rendant le bâtiment stable pendant un temps suffisant pour l’évacuation. » Cette faible résistance au feu doit être compensée par l’amélioration des systèmes de détection d’incendie, l’augmentation des accès pompiers et la mise en place d’un système de désenfumage général – totalement inexistant jusqu’à aujourd’hui. Des travaux finalement peu complexes. « Grâce à l’évolution de l’ingénierie incendie, on sait aujourd’hui parfaitement modéliser le comportement de ce type de feu et en évaluer les différents paramètres, ce qui permet d’apporter des réponses très précises. » Et dans des délais assez courts, contrairement aux cinq à six années de fermeture annoncées par la direction. Dans un entretien accordé le 15 juin au quotidien Le Parisien, l’architecte Jean-Claude Ory, en charge du chantier, avait estimé la durée des travaux à dix-huit mois ! Depuis, ce dernier se refuse à tout commentaire.

L’enfance de l’art

Propriétaire de LVMH, qui détient la Samaritaine, Bernard Arnault, dont la fortune pèse 12,2 milliards de dollars (10,2 millions d’euros), figurait en 21e position dans le classement du magazine Forbes en 2004. Comme tout homme d’affaires qui se respecte, il s’est piqué d’art, plutôt classique dans un premier temps. Outre une sensibilité portée sur l’impressionnisme, on lui connaît comme trésor de guerre la version « M » des Femmes d’Alger (1955) de Picasso. Ce tableau, qui clôturait l’exposition « Matisse-Picasso » au Grand Palais à Paris (2002-2003), avait été acheté en 1997 pour 10 millions de dollars dans la vente de la collection Victor et Sally Ganz chez Christie’s à New York. Les spécialistes relèvent aussi un goût prononcé pour les céramiques de Picasso et le mobilier du XVIIIe siècle. À l’instar de François Pinault, Bernard Arnault a toujours acheté ses meubles en ventes publiques. En 1995, il a déboursé 5,6 millions de francs pour un secrétaire en pente en laque de BVRB chez Beaussant-Lefèvre, à Paris. Il a aussi acquis pour 1,1 million de dollars un bureau de Dubois en laque de Chine dans la vente Alexander chez Christie’s à New York en 1999. Quant au versant contemporain de sa collection, la ligne directrice serait celle de l’enfance. Une thématique réductrice, qu’on imagine dictée par son premier souhait d’implanter sa fondation dessinée par Frank Gehry au Jardin d’Acclimatation ! Roxana Azimi

Communiqué

À la suite de la diffusion sur l’antenne de France-Info le 21 juin de l’information du Journal des Arts selon laquelle LVMH envisagerait d’installer une fondation d’art contemporain dans une partie de la Samaritaine, nous avons reçu par exploit d’huissier le communiqué suivant : « LVMH dément formellement l’information diffusée, ce jour, sur l’antenne de France Info selon laquelle il serait envisagé qu’une fondation consacrée à l’Art soit installée dans les locaux de la Samaritaine. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°219 du 8 juillet 2005, avec le titre suivant : Un colosse de métal vulnérable

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