Ukraine

Guerre en Ukraine

Ukraine : le bilan, un an après, des dommages causés au patrimoine

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 24 février 2023 - 934 mots

Le conflit russo-ukrainien semble aujourd’hui entraîner moins de destructions de sites culturels et historiques. L’inquiétude porte désormais sur les biens pillés, ainsi que sur le patrimoine immatériel.

Statues Polovtsy endommagées par des bombardements russes, près de la ville d'Izium dans la région de Kharkiv. L'une d'elle est totalement détruite. À l'arrière-plan, le monument aux héros de la seconde guerre mondiale a été lui aussi touché. Septembre 2022. © Ministry of Culture and Information Policy of Ukraine, CC BY 4.0
Statues Polovtsy endommagées par des bombardements russes, près de la ville d'Izium dans la région de Kharkiv. L'une d'elle est totalement détruite. À l'arrière-plan, le monument aux héros de la Seconde Guerre mondiale a été lui aussi touché.

Ukraine. Après douze mois d’un conflit majeur, les premiers bilans démontrent l’ampleur des crimes et destructions causés par l’offensive russe sur le territoire ukrainien : plus de 7 000 civils tués, un nombre inconnu de soldats morts ou blessés dans les combats, 6 millions de réfugiés, des villes entières rasées, et une reconstruction estimée à 750 milliards de dollars au minimum. Le bilan des destructions proposé ci-après suit la chronologie de la guerre.

24 février 2022 : l’offensive russe frappe l’Ukraine par surprise
Volodymyr Zelensky lui-même n’avait pas su lire dans les bravades de son voisin russe le risque imminent d’une guerre. Mais le président ukrainien se mue rapidement en chef de guerre lorsque l’armée de la Fédération de Russie se déploie brutalement sur la frontière nord du pays pour paralyser Kiev, puis se livre à des attaques dans le Donbass, à l’est, où se trouvent les régions convoitées par Moscou. Confrontée à la résistance du peuple ukrainien, Vladimir Poutine réplique par sa tactique de l’« urbicide » – destruction de villes – qu’il a précédemment mise en œuvre en Syrie et en Tchétchénie. Aveugle, cette pratique n’épargne pas les sites culturels : difficile de savoir si la destruction de biens patrimoniaux a été délibérée ou si elle fait partie des dommages collatéraux. 
Le gouvernement ukrainien fait quoi qu’il en soit de ces importants dommages causés au patrimoine un argument de poids pour dénoncer les intentions de la Russie quant à l’éradication et à la russification de la culture ukrainienne. Le ministère de la Culture ukrainien répertorie ces atteintes, et en dénombre aujourd’hui plus de cinq cents. Soit beaucoup plus que l’Unesco, qui en janvier 2023 a recensé 238 sites détruits ou endommagés. « L’Unesco prend un peu plus de temps, car elle vérifie et re-vérifie, demande des confirmations sur le terrain avant de mettre les biens sur la liste. C’est ce qui explique cette différence de chiffres ; mais nous sommes certainement plus proches du nombre donné par le ministère de la Culture », explique Dmytro Koval, professeur à l’université nationale de Kyiv-Mohyla et consultant pour l’Unesco. Pour précision : cent cinq édifices religieux, dix-huit musées et onze bibliothèques font partie des biens endommagés ou détruits.

Septembre 2022 : annexion de quatre régions, et contre-offensive ukrainienne
Repliée sur le front est, l’armée russe tente de sécuriser ses objectifs de guerre non déclarés : les régions russophones. Après avoir quasiment rasé les villes de Marioupol, Sievierodonetsk et une bonne partie de Kharkiv, c’est à une guerre de position, et de tranchées, que se livre la Russie. En septembre, le Kremlin organise des référendums pour justifier l’annexion des régions de Louhansk, Donetsk, Zaporijjia et Kherson. Après plusieurs contre-offensives victorieuses, l’Ukraine reprend Kharkiv, au nord, puis Kherson, en novembre. Dans les territoires annexés par les Russes, les atteintes au patrimoine ne se limitent plus aux destructions, mais s’étendent au pillage massif des biens culturels dans les sites patrimoniaux. Le bilan est difficilement quantifiable : l’Ukraine a entamé un inventaire national il y a seulement neuf ans, et ses bases de données demeurent incomplètes. Les outils utilisés pour surveiller, par exemple, le trafic de biens culturels en provenance de Syrie ou d’Irak sont ici inutiles : les biens pillés ne sont pas destinés au marché, mais à être intégrés aux collections des musées de Crimée et de Russie. Cette appropriation laisse peu d’espoir à une restitution des biens volés : « On peut seulement attendre qu’à un moment de l’histoire il y aura un changement de régime en Fédération de Russie, que cette dernière reconnaîtra les méfaits causés et s’engagera dans un processus de restitution », ose pourtant espérer Dmytro Koval. L’occupation fait également peser des menaces sur le patrimoine culturel immatériel ukrainien, à commencer par sa langue, véhicule de ce patrimoine. Les noms de lieux, d’institutions, les programmes scolaires, les médias sont russifiés, marginalisant l’usage de la langue ukrainienne.

Février 2023 : l’armée russe grignote du terrain
Alors que les Ukrainiens perdent des positions dans l’est, Zelensky obtient l’accord de l’Allemagne pour une livraison de chars Leopard, et profite de cette coopération européenne renforcée pour faire la tournée des chefs d’État et institutions du Vieux Continent. Un voyage durant lequel le président ukrainien se montre tourné vers la résolution du conflit, et la reconstruction : il a évoqué ce gigantesque chantier avec les dirigeants de la banque J.P. Morgan. 
Le secteur patrimonial pose également les prémices de la restauration du patrimoine. Quatre musées de Kiev, mis hors d’eau grâce à l’aide de l’Unesco, accueillent à nouveau des visiteurs. L’Iccrom (Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels) vient de produire un document permettant de diagnostiquer et hiérarchiser les restaurations urgentes sur des sites particulièrement affectés. Le ministère de la Culture ukrainien déploie, lui, une collecte de dons pour financer les premières restaurations : 3 millions d’euros pour la bibliothèque scientifique de Kharkiv, 5 millions pour la maison de la culture d’Irpin. L’Ukraine regarde vers le futur.

L’Unesco renforce son action en Ukraine

Aide internationale. Pour l’Unesco, la seconde année du conflit russo-ukrainien commence par un soutien bienvenu : le comité japonais a décidé de consacrer 10 millions de dollars à l’Ukraine. Une dotation qui complète les 18 millions de dollars déjà engagés par l’organisation onusienne depuis le début de la guerre. L’action de l’Unesco porte sur les trois volets pour lesquels elle est mandatée : l’éducation, les médias et le patrimoine culturel. Dans ce domaine, l’organisation consacre ses ressources à la formation des professionnels du patrimoine, au suivi des sites endommagés grâce à l’imagerie satellite, et à des restaurations ponctuelles, telle celle sur les musées de la capitale. 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°605 du 17 février 2023, avec le titre suivant : Ukraine : le bilan, un an après, des dommages causés au patrimoine

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