Trois questions à Gilles Bourdos, réalisateur

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 11 décembre 2012 - 532 mots

Maureen Marozeau : L’histoire du film est inspirée par le récit romancé de Jacques Renoir. Quelles sont les sources documentaires auxquelles vous avez eu recours ? La rétrospective « Renoir au XXe siècle » en 2009 (à Paris, Los Angeles et Philadelphie) a-t-elle, par exemple, retenu votre attention ?
Gilles Bourdos : J’ai eu le plaisir de voir l’exposition à Paris et à Philadelphie l’année suivante. Nous nous sommes mis au travail quelques semaines plus tard. Ce qui m’a frappé à ce moment-là, c’est de découvrir que la dernière période de Renoir était loin de faire l’unanimité de la critique. Or c’est la période artistique que je préfère du peintre. Celle qui m’émeut le plus. J’ai beaucoup lu sur le sujet, rencontré des historiens formidables comme Augustin de Butler, eu de très stimulantes conversations avec Pascal Merigeau qui travaillait alors à sa superbe biographie sur Jean Renoir… Après m’être immergé dans ce monde des Renoir père et fils, il a fallu laisser de côté la documentation pour faire œuvre de fiction. J’ai fonctionné avec l’univers des Renoir par imprégnations successives. Au fond, je voulais surtout retrouver la sensation que m’avait procurée la fréquentation des œuvres picturale et cinématographique sans être écrasé par une documentation excessive.

M.M. : Malgré sa polyarthrite, Renoir se lance dans la sculpture, assisté de Richard Guino qui logeait aux Collettes (1914-1918). Pourquoi cet aspect de son travail est-il occulté ?
G.B. : Il y avait aussi la présence constante du peintre Albert André à ses côtés, les visites de Matisse, l’étrange pèlerinage de Ryuzaburo Umehara, les sollicitations des marchands Ambroise Vollard et Paul Durand-Ruel… Il fallut donc faire des choix de récit. Or ce qui m’intéressait, c’est le moment très précis où Andrée Heuschling est entrée dans la vie des Renoir. Source de vie pour le père qui meurt et le fils « pas encore né », Andrée a été le médium d’une étrange circulation des désirs, amoureux autant qu’artistiques. C’est par cette jeune fille que m’est vraiment venu le désir de faire ce film. Il s’agissait donc de concentrer le récit du film autour de ces relations. Et j’ai en horreur le « name dropping » artistique, les films où défilent de manière anecdotique les figures historiques connues d’un large public.

M.M. : Le succès commercial du peintre est à peine évoqué dans le film. D’ailleurs, Jean ne répond pas à Andrée quand celle-ci lui demande combien vaudrait une des toiles du « patron ». Pourquoi avoir coupé au montage une scène dans laquelle Ambroise Vollard lui fait part d’une importante commande de la Fondation Barnes ?
G.B. : Il me semble que l’imposante maison bourgeoise du domaine des Collettes et la présence de personnel de maison situent clairement la situation sociale des Renoir en 1915, et de facto, le succès commercial de la peinture du maître des lieux… Jean ne répond pas. Jean est fuyant sur la question de classe et de richesse personnelle. Car ce grand bourgeois s’est toujours rêvé en faubourien. Imprégné de la culture ouvrière de son père mais héritier d’une grande fortune, il est en quelque sorte un « déclassé » en quête d’appartenance, d’où sa fascination pour la fraternité des combattants qui transcende les clivages sociaux.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°381 du 14 décembre 2012, avec le titre suivant : Trois questions à Gilles Bourdos, réalisateur

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