Traces du sacré

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 25 juin 2009 - 1018 mots

Fruit d’un partenariat public-privé inédit, le Musée Brandhorst expose à Munich une collection exceptionnelle. Au point de faire concurrence à sa voisine, la Pinacothèque d’art moderne.

Imaginé il y a plus de dix ans, le Musée Brandhorst de Munich est enfin sorti de terre sous la forme d’un bloc multicolore au centre de l’ancestrale Kunstareal (quartier des arts). Le chatoiement désinvolte de sa façade, composée de 32 000 réglettes de céramique accordées en trois camaïeux, contraste avec l’austérité néoclassique de l’ancienne Pinacothèque et trouble la sobriété du béton de la Pinacothèque d’art moderne. L’architecture, signée par les Berlinois Sauerbruch Hutton, entend s’intégrer avec justesse au paysage culturel munichois − en se référant par exemple à l’orthogonalité du Jugenstill − tout en affichant sa singularité. Cette ambivalence annoncerait-elle la politique d’une fondation privée greffée sur un site dévolu aux collections publiques ?
Inauguré en mai, l’édifice marque sans conteste l’architecture muséale par des innovations sur le plan écologique et pratique. Grâce à un système naturel de régulation thermique, salles et réserves bénéficient d’une température constante pour une meilleure conservation des œuvres. Quant à l’ingénieux empilement des trois cubes d’architecture, il offre une lumière zénithale à chaque niveau, y compris au sous-sol. Sous l’enveloppe bigarrée, semblable à une « peinture moderne » selon son créateur Matthias Sauerbuch, le visiteur découvre un espace laissé blanc, dont la luminosité est adoucie par le plancher et l’escalier monumental en chêne clair du Danemark.

« Mauvais deal » ?
Totalisant 30 000 entrées depuis son ouverture, le 21 mai, le musée est déjà adopté par le public de la Kunstareal. Un succès qui conforte l’investissement de l’état de Bavière et paraît démentir le scepticisme de plusieurs commentateurs. En effet, le projet d’Udo et Annette Branhorst d’abriter leur collection dans un musée munichois s’est soldé par un accord inédit. Tandis que les fonds publics supportent la construction du musée et son fonctionnement, la Bavière se voit accorder le prêt à durée indéterminée de la collection, gérée par une fondation. Qu’adviendra-t-il lorsque les Brandhorst ou leurs héritiers souhaiteront vendre une œuvre ? Malgré la confiance affichée par le directeur de la collection, Armin Zweite (lire JdA n°298, 6 mars 2009 p. 6), la question reste en suspens. Depuis l’ouverture, on a pu faire valoir que ce qui était apparu comme un « mauvais deal » allait finalement attirer davantage de visiteurs sur le site. Reste que les plus économes préféreront sans doute payer 7 euros pour le Musée Brandhorst, plutôt que 10 pour la Pinacothèque d’art moderne. Cette différence de tarif témoigne de la concurrence que se livre déjà les deux musées. Un simple coup d’œil à leurs budgets d’acquisitions vient le confirmer. Comment ne pas mettre en balance les 2 millions d’euros annuels accordés par la fondation aux nouvelles acquisitions du Musée Brandhorst et les 400 000 euros annuels que se partagent les trois pinacothèques ? L’erreur serait de placer sur le même plan deux collections qui, malgré leurs points communs (plusieurs artistes sont actuellement représentés dans les deux musées), ne partagent pas la même vocation. La collection privée ne peut se substituer à une Pinacothèque d’art moderne d’intérêt public, qui se démarque par son exigence historique et son souci pédagogique. Si la présence du Musée Branhorst dans la Kunstareal est un signe encourageant pour l’enrichissement artistique de la ville de Munich, elle pointe aussi les risques, du fait d’un tel écart entre les budgets, de se reposer à terme sur le dynamisme du mécénat privé. à cet égard, la collection privée doit sans cesse mobiliser l’esprit critique du visiteur.
Riche d’environ 700 pièces, le Musée Brandhorst en expose 150. L’ensemble traduit un attachement particulier pour deux artistes américains aux univers très contrastés – et dont Brandhorst possède des fonds exceptionnels : Andy Warhol et Cy Twombly. Le troisième niveau est entièrement consacré à ce dernier artiste. Un immense mur convexe accueille sa série Lepanto, douze toiles réalisées pour le pavillon italien de la Biennale de Venise en 2001. En outre, la salle dévolue à ses premières toiles ouvre sur un autre espace monumental occupé par une dizaine de tableaux que Twombly a réalisés sur place. Ce hall baigné de tons chauds allant du jaune au pourpre, « un espace ressourçant », selon la conservatrice Nina Schleif, propose une expérience saisissante de la peinture du maître.

Discours idéologique
La collection, commencée dans les années 1960, réunit les grands noms de la scène allemande (Polke, Richter, Beuys) et comporte des corpus monographiques qui s’illustrent dans les salles consacrées à Alex Katz, Eric Fischl, Robert Gober, Mike Kelley, Bruce Nauman ou encore Franz West. Comme s’il y en avait trop − plus de cent, dont plusieurs pièces rares −, les commissaires de l’exposition ont inséré quelques Warhol dans le parcours, provoquant parfois d’heureuses rencontres. Mais le discours idéologique lisible au premier abord dans l’accrochage est-il le fait de scénographes malicieux ? La teneur religieuse de la collection n’échappe pas au visiteur, de l’immense Last Supper (1986) de Warhol jusqu’à la chapelle flamboyante dédiée au massacre de Lépante (qui met fin à l’emprise des Ottomans sur la Méditerranée). La critique d’une société contemporaine impie s’exprime dans le face-à-face entre la Cène démultipliée de Warhol et la vitrine de 77 000 pilules par Damien Hirst, qui dénonce l’effacement de la souffrance et de la mort. Les sculptures-rebus de Franz West (rappelant que les grandes civilisations naissent dans les égouts), et les siphons de Robert Gober, menaçant d’aspirer les artefacts de l’individualisme et du consumérisme, traduiraient un aspect cathartique de l’art et, paradoxalement, de son acquisition. Alors que l’amour de l’art s’assimile à la foi chrétienne dans le portrait mythifié de Beuys par Warhol au côté d’une apparition de la vierge de Polke, la problématique de la matérialité s’exemplifie dans les sculptures de Katarina Fritsch, faites de statuettes de madones produites en série, ou dans le Christ $ 9.98 d’Andy Warhol. Boutade ou pointe d’autocritique, la réunion de ces soi-disant amulettes rappellent avant tout que l’art n’a pas de prix.

MUSÉE BRANDHORST

- Architectes : Sauerbruch Hutton
- Surface d’exposition : 3 200 m2
- Coût de construction : 48 millions d’euros

MUSÉE BRANDHORST

Theresienstraße 35a, Munich (Allemagne). Tél. 00 49 89 23 80 51 325. Tlj sauf mardi 10h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°306 du 26 juin 2009, avec le titre suivant : Traces du sacré

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