Livre

Sur les routes de la soie, loin des stéréotypes

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 13 février 2020 - 614 mots

Les éditions Flammarion publient un ouvrage érudit richement illustré, qui met en lumière l’histoire, la géographie, le commerce, la culture des peuples semi-nomades d’Asie et du Moyen-Orient.

Comme l’énonce en introduction Susan Whitfield, historienne anglaise et directrice de l’ouvrage, il s’agit de rendre visibles « les cultures de la steppe », des populations semi-nomades d’Asie souvent délaissées par les études sur les routes de la soie. Il est en effet plus facile d’évoquer les villes de Samarkand et Tachkent, les caravansérails ou les tapis brodés d’Iran que les pasteurs de Mongolie ou les éleveurs de chameaux. Ici les auteurs s’attachent aux territoires désertiques et hostiles traversés par les caravanes, ainsi qu’aux populations qui y ont vécu dès l’Antiquité.

L’ouvrage Sur les routes de la soie se caractérise par son absence d’approche chronologique, alors que la période concernée court du Ier millénaire avant J.-C. à la fin du Moyen Âge. Ce cadre temporel assez large rejoint le vaste cadre géographique posé en introduction par Susan Whitfield, selon laquelle le terme « routes de la soie » désigne un « système interrégional de réseaux commerciaux permanents […] empruntant les voies terrestres et maritimes de la zone afro-eurasienne ».

La structure du livre est donc thématique, et quasiment topographique, puisque ce sont les milieux naturels traversés par les caravanes qui donnent leur titre aux cinq grandes parties : « La steppe », « Les déserts et les oasis »… Chacune de ces parties est divisée en plusieurs chapitres eux-mêmes thématiques portant sur des sujets plus spécialisés, comme le commerce de l’encens en Arabie ou la religion zoroastrienne. Enfin des cartes détaillées et des encadrés complètent les textes un peu austères du fait de leur ton académique. La beauté des illustrations compense largement cette austérité !

Au fil des chapitres ce sont des populations très variées qui prennent vie, à travers leur habitat naturel, leur culture matérielle et leurs croyances. L’ouvrage alterne les développements sur les paysages, les conditions de vie ou les étapes des caravanes avec des chapitres plus classiques sur l’artisanat d’une région précise. Ainsi les peuples de la steppe sont-ils présentés au travers des Scythes d’Europe orientale, puis par le biais d’une étude de la cavalerie chez les Turcs et d’une autre sur les objets en or découverts en Asie centrale. Les auteurs resituent dans l’histoire ces peuples semi-nomades qui n’ont pas laissé autant de traces écrites que les empires qu’ils traversaient – l’ouvrage rappelle combien les relations entre empires et nomades furent complexes dès l’Antiquité. La question de la sédentarisation des nomades a autant préoccupé les Romains et les Perses sassanides que les califes arabes : il s’agissait avant tout de sécuriser les territoires et les routes commerciales en évitant les raids et les pillages.

La vie quotidienne le long des routes

Outre les paysages et les objets, l’ouvrage présente de nombreuses sources qui témoignent de la vie quotidienne le long des routes, comme la correspondance perdue d’un groupe de commerçants originaires de la Sogdiane (nord-ouest de la Chine) au IVe siècle de notre ère. Entre les problèmes liés au transport de la soie, les questions de politique locale et les récriminations d’une « épouse abandonnée », c’est toute une communauté marchande qui prend vie. Les auteurs n’idéalisent donc aucunement leur sujet, évitant de tomber dans les stéréotypes attendus de ce genre de beau livre. C’est ainsi que le thème de l’esclavage est abordé par deux fois, dans l’océan Indien et en mer de Chine, deux régions où transitaient « des flux transocéaniques de main-d’œuvre servile ». Enfin des aspects plus techniques sont étudiés, comme la construction navale, l’astronomie appliquée à la navigation et bien entendu l’élevage des vers à soie. Ces routes constituaient déjà une mondialisation des échanges, rappelle le livre, juste avant l’émergence des empires coloniaux.

Sur les routes de la soie,
sous la direction de Susan Whitfield, éd. Flammarion, Paris, 2019, 480 pages, 69 €.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°539 du 14 février 2020, avec le titre suivant : Sur les routes de la soie, loin des stéréotypes

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque