Sept questions capitales sur le sac du musée de Bagdad auxquelles nous avons tenté de répondre

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 2 mai 2003 - 979 mots

Quelle est l’ampleur des dégâts ?
Le Musée archéologique national de Bagdad possède un inventaire de 170 000 pièces. Parmi les objets célèbres disparus, citons la Harpe d’Ur, réalisée en argent et vieille de 4 000 ans, un vase sumérien d’Uruk et une statuette en bronze de l’époque akkadienne. D’après McGuire Gibson, professeur à l’Institut oriental de l’université de Chicago, président de l’Association américaine pour la recherche à Bagdad et membre de l’Association américaine d’archéologie, la collection de 80 000 tablettes cunéiformes en argile, témoignage des écritures babyloniennes et sumériennes, est perdue. Par ailleurs, la plupart des objets transportables disposés en vitrine ont été volés. Même si un certain nombre d’objets précieux, dont une collection de trésors en or de Nimroud, de très grande valeur, avaient été précédemment transférés dans le coffre d’une banque, il est encore difficile de savoir s’ils y sont toujours en sécurité.

L’armée américaine savait-elle que le musée était une cible pour les pillards ?
Depuis janvier 2003, experts, archéologues, conservateurs et collectionneurs avaient distribué des cartes détaillées des sites à protéger aux responsables du Pentagone (lire le JdA no 167, 21 mars 2003). Le 5 avril, le commandant américain Christopher Varhola assurait dans une conférence de presse au Koweit qu’il redoutait “le pillage et en particulier (celui) du Musée national de Bagdad. L’armée américaine souhaite vivement collaborer avec toute organisation dédiée à leur préservation”.

Qui sont les pillards ?
Selon McGuire Gibson, le pillage s’est déroulé en deux phases. Les premiers vandales seraient une bande organisée et professionnelle, rodée au trafic illicite au niveau international, comme en témoignent les cinq coupe-verres trouvés sur les lieux et les dommages causés par les brouettes aux escaliers en marbre. Lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion du 17 avril à l’Unesco, il a déclaré soupçonner une opération organisée depuis plusieurs mois “à l’extérieur du pays par des personnes qui paient des habitants pour piller les sites”. Par ailleurs, Donny George, directeur de recherche et d’études au musée national irakien, a déclaré à l’AFP : “Les pillards n’ont pas touché aux copies, ils ont volé les originaux. C’est une opération de vol organisé.” Toujours selon McGuire Gibson, la seconde vague de pillards serait “des gens en colère et des adolescents, souvent en raison même de leurs conditions de vies lamentables”, dues à l’embargo.

Pourquoi les forces américaines ne sont-elles pas intervenues alors que le musée se faisait piller ?
L’ORHA, le Bureau de la reconstruction et de l’aide humanitaire, qui relève directement du Pentagone, avait fourni une liste des bâtiments à protéger. En tête figurait la Banque nationale, devant le musée, et, à la seizième et dernière place, le ministère du Pétrole, qui, lui, était parfaitement sécurisé. Pour reprendre les termes d’un responsable de la délégation irakienne à l’Unesco : “Pourquoi ont-ils [les soldats américains] pu protéger le ministère du Pétrole, et pas ces édifices si importants ?” L’archéologue Raeed Abdul Reda, présent sur les lieux, leur aurait en vain demandé de laisser un tank sur place. McGuire Gibson déclare avoir été fréquemment en contact avec l’armée américaine depuis le 9 avril, implorant ses responsables d’envoyer des troupes pour protéger le bâtiment. Certains accusent même le gouvernement de George W. Bush d’avoir ordonné à l’armée de laisser les pillards faire “leur travail”, en mettant en évidence les liens de certains de ses membres avec l’American Council for Cultural Policy (l’ACCP, le conseil américain pour la politique culturelle), une organisation “caritative” de collectionneurs et d’avocats qui a souvent critiqué la politique protectionniste des pays aux grandes richesses archéologiques comme le Mexique.

Quel avenir pour le musée ?
Les spécialistes recommandent de considérer le musée comme un site archéologique voire un lieu de crime, tant sur le plan scientifique que légal. Pour le Dr. Eleanor Robson, membre du conseil de la British School of Archaeology en Irak basée à Oxford, les lieux où ont été commis les crimes doivent rester en l’état si l’on veut réparer quoi que ce soit : “Si les débris sont balayés et mis dans des sacs en plastique, ils seront impossibles à reconstituer.” Les gravas de chaque salle doivent d’abord être photographiés. Un plan d’action sera nécessaire avant que les conservateurs puissent examiner chaque pièce, une par une. Les cartes d’inventaire des 170 000 objets ont été éparpillées par la foule et pourront, avec de la chance, être rassemblées. Les ordinateurs ont été soit volés, soit dégradés, mais il reste un espoir de trouver des données sur les disques durs.

Comment les antiquités illégales peuvent-elles être repérées ?
Chaque objet de musée possède un numéro de 7 ou 8 chiffres normalement écrits à l’encre noire. En outre, il comporte souvent une référence à la fouille archéologique. Ces numéros peuvent être effacés ou obscurcis. Le milieu très spécialisé de l’art ancien assure que la qualité et la renommée des pièces rendent impossible leur commercialisation via les filières traditionnelles. L’Unesco a demandé à l’ONU d’instaurer un embargo sur tous les objets culturels irakiens. Notre partenaire éditorial, The Art Newspaper, propose sur son site Internet une liste détaillée de plus de 300 objets de la collection (www.theartnewspaper.com).

Les États-Unis ont-ils préparé un assouplissement des lois irakiennes d’exportation d’antiquités ?
Cette rumeur est née de la réunion du 24 janvier à Washington entre l’American Council for Cultural Policy et des membres du Pentagone et du département d’État. Bien que le président de l’association, Ashton Hawkins, nous ait affirmé “qu’il n’y avait pas eu de discussion sur les lois irakiennes” lors de cette réunion, il a par ailleurs déclaré que “la dispersion du matériel culturel à travers le marché est l’un des meilleurs moyens pour le protéger”. Des modifications en Irak de la loi actuelle de 1936 (corrigée en 1974-1975) seraient de toute manière impossible à entériner avant l’établissement d’un gouvernement élu démocratiquement. Selon les lois internationales, une puissance occupante peut seulement modifier les lois sous un prétexte humanitaire ou d’ordre public.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°170 du 2 mai 2003, avec le titre suivant : Sept questions capitales sur le sac du musée de Bagdad auxquelles nous avons tenté de répondre

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