Rebeyrolle, peintre d’histoire

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 avril 2005 - 641 mots

Paul Rebeyrolle s’est éteint le 7 février dernier à l’âge de 78 ans. Figure majeure d’un art contemporain engagé, il conjuguait une haine pour toutes les répressions à un amour absolu pour la nature.

Il en est de certaines personnes, jamais rencontrées dont il suffit pourtant de les voir en photos pour avoir l’impression de les connaître. Ainsi de Paul Rebeyrolle : à travers des photos, cet étrange sentiment de l’avoir vu ici et là : au Louvre où il aimait à se promener, à Ornans chez Courbet, à Chooz dans les Ardennes où il vécut un temps, à Vérone chez son fondeur, à Boudreville, en Côte d’Or, où il était installé depuis plus de vingt ans et où il s’est éteint en février dernier. Une vraie nature ce Rebeyrolle. On imagine qu’il devait en imposer par ce côté bonhomme et paysan qu’il cultivait volontiers et par cette force de création qui fait de chacun de ses tableaux une vraie commotion.
Originaire du Limousin, né en 1926 à Eymoutiers – qui le célèbrera quelque soixante ans plus tard en créant un magnifique « espace » à son nom –, Paul Rebeyrolle se découvre très tôt un amour infini pour la nature et pour la vie. À dix-huit ans, il saute dans « le premier train de la Libération » pour aller à Paris parce qu’il sait qu’il veut « devenir peintre ». Au Louvre, qui rouvre ses portes en 1947, c’est le grand choc. Il préfère l’exemple des grands maîtres – les Vénitiens, Rubens, Rembrandt… – à tout enseignement d’école. Partagé entre une tendance abstraite et une peinture politiquement engagée, il consacre les années 1950 à toutes sortes de recherches pour trouver finalement un style propre dont la nature, la société et l’homme sont les prétextes récurrents et qui se caractérise par un matiérisme d’une rare puissance d’expression.
Installé dans l’Aube au début des années 1960, puis en Bourgogne, Paul Rebeyrolle exécute tout d’abord un ensemble de peintures sur le thème des Instruments de la peinture.
Suivront de nombreuses séries en écho au monde contemporain : Guerilleros (1968-1969), Coexistences (1970), Les Prisonniers (1972), Faillite de la science bourgeoise (1974-1975), Natures mortes et pouvoir (1976), Les Évasions manquées (1980-1982), Germinal (1986), Le Monétarisme (1999), etc. Chaque fois, il prend position face aux grands sujets de l’actualité. Il sait aussi hisser au niveau du symbole certains signes apparemment futiles, comme dans la série du Sac de Madame
Tellikdjian (1983-1984) dont la figure devient emblématique du thème de l’émigré.

Des corps dans la nudité brute de leurs chairs
D’une grande humanité, Rebeyrolle offre des personnages qui sont toujours les représentants types d’une catégorie sociale ou d’un statut particulier, des figures génériques d’une « comédie humaine » que l’artiste analyse sans complaisance et dont il dénonce les travers avec d’autant plus de distance qu’il vit retiré à la campagne. En fait, les figures de Rebeyrolle ne sont rien d’autre que des corps livrés au regard dans la nudité brute de leurs chairs, soumis à toutes sortes de décompositions substantielles et saisis dans la panique de leur condition.
À cette vision terrifiante mais touchante de l’humain fait écho celle d’une nature tout aussi remuée dont les grands paysages de sources, de cascades et de rochers composent comme un grand livre. La sorte de résistance que suggèrent les tableaux de Rebeyrolle, tant par la densité de leur matérialité que par la force d’impact visuel du traitement de leur sujet, leur confère quelque chose d’une monumentalité singulière, que surenchérit parfois la réalité physique du format. Non seulement l’œuvre de Paul Rebeyrolle en impose mais elle s’impose, et le temps qui lui a déjà donné raison ne cessera d’agir en ce sens – on peut en prendre le pari – pour la porter au plus haut d’une histoire de l’art universel.

Exposition à venir : « Rebeyrolle, Plongeons dans la peinture », EYMOUTIERS (87), route de Nedde, tél. 05 55 69 58 88, espace.rebeyrolle@wanadoo.fr, 25 juin-3 novembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°568 du 1 avril 2005, avec le titre suivant : Rebeyrolle, peintre d’histoire

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