Capitales européennes de la culture

Que la meilleure gagne !

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 19 novembre 2007 - 2139 mots

Une ville française sera « Capitale européenne de la culture » en 2013. Pour la première fois, une compétition est organisée pour départager les sept candidates.

Quelle sera la prochaine ville française à porter le titre de « Capitale européenne de la culture », après Paris en 1989, Avignon en 2000 et Lille en 2004 ? Selon un calendrier préétabli par la Commission européenne, la France partagera ce titre en 2013 avec la Slovaquie. Séduites par le succès de Lille 2004, sept villes, dont cinq métropoles régionales, se sont portées candidates : Bordeaux, Lyon, Nice, Marseille, Saint-Étienne, Strasbourg et Toulouse. Le verdict sera prononcé conjointement par les ministres chargés de la Culture et des Affaires étrangères au deuxième semestre 2008, après une procédure de consultation en plusieurs étapes. Remis à la mi-novembre 2007, les dossiers seront examinés, au plus tard avant le 31 décembre 2007, par un jury de treize personnalités européennes – parmi lesquelles six françaises – qui n’a pas encore été désigné. Celui-ci établira alors une liste restreinte de villes invitées à peaufiner leur projet.
La Commission européenne a mis en place ce nouveau système de sélection, organisé par les États membres, afin de taire les critiques récurrentes qui incombaient à un label trop politique (lire le JdA no 214, 29 avril 2005, p. 5). Le choix des villes a souvent été en effet le fruit d’un intense lobbying, pratique ordinaire auprès des instances européennes. Lille n’avait-elle pas été désignée en 2004 grâce à l’implication personnelle de son maire, Martine Aubry ? « Ces nouvelles procédures n’éviteront pas forcément le lobbying auprès des membres du jury, nuance toutefois un élu d’une ville candidate. Leur seul avantage, c’est d’imposer aux Villes de déposer un véritable dossier avant de s’engager. »
Pour séduire le jury, les Villes ont parié sur différentes stratégies. Certaines (Toulouse, Nice et Marseille) ont ainsi choisi de s’offrir les services de personnalités extérieures très impliquées dans le milieu culturel. Les autres ont préféré miser sur leurs ressources propres et mobiliser les équipes municipales ou les acteurs culturels locaux. Relevant les préconisations du Guide à l’intention des villes candidates, qui insiste sur la dimension citoyenne et le rôle de catalyseur de l’événement, la plupart ont privilégié une démarche participative impliquant la société civile.

Enjeux électoraux
Les budgets hors investissements, s’ils se réfèrent à l’actualisation de celui de Lille 2004 (76 millions d’euros), varient dans une fourchette allant des modestes 45 millions d’euros de Nice, le challenger de la compétition, aux pharaoniques 100 millions annoncés par Marseille. La participation européenne ne s’élève qu’à 1,5 million d’euros (hors fonds structurels), décernés sous forme d’un prix dédié à Melina Mercouri, créatrice du label. Certaines Villes se sont toutefois trouvées dans l’impossibilité de boucler leur tour de table financier avant cette phase de présélection. Ainsi de Lyon et Saint-Étienne, mais aussi de Nice et Marseille, duos dépendant d’une même collectivité régionale. Ces Villes auraient souhaité constituer des binômes de candidatures, schéma refusé par Bruxelles, qui privilégie une logique de territoire.
Ces rivalités régionales s’inscrivent par ailleurs dans un contexte politique particulier, à quelques mois des élections municipales de mars 2008. C’est le cas à Bordeaux où le maire, Alain Juppé (UMP), affrontera le président du conseil régional d’Aquitaine, Alain Rousset (PS), pour la conquête de la mairie. À Nice, un duel fratricide s’annonce entre le maire sortant, Jacques Peyrat (UMP), et l’actuel président du très riche conseil général des Alpes-Maritimes, Christian Estrosi (UMP), qui doit financer une large part du projet. La partie française du jury saura-t-elle ignorer ces enjeux électoraux ? Un observateur rappelle toutefois que le label relève d’abord d’une dimension européenne : « Le choix dépendra des grandes orientations de l’Europe pour les années à venir. Le centre de gravité balancera-t-il vers l’est, comme c’est déjà le cas, ou vers le sud et la Méditerranée ? » Réponse au plus tard en octobre 2008.

Saint-Étienne : place au temps

A Saint-Étienne, la plus petite des villes candidates, la rénovation urbaine n’est plus à l’ordre du jour : elle est en phase d’achèvement. Dès 2008, l’ancienne cité industrielle aura déjà amorcé sa mue, avec l’inauguration de son nouveau Zénith puis d’une salle de musiques actuelles (le Fil), avant celle de la Cité du design et d’un nouveau parc urbain. « La ville est remise sur les rails et bénéficie déjà de l’image d’une ville culturelle. Ce titre serait un coup de pouce pour accéder à la dimension européenne », précise Anne-Marie Castay, responsable du dossier à la mairie. Comme Lyon, sa rivale régionale, Saint-Étienne, engagée très tôt dans la compétition, n’a pas misé sur une personnalité extérieure pour piloter son projet. Baptisé « Temps des cultures/Cultures du temps », le concept s’appuie sur une programmation qui vise à « redonner sa valeur au temps » et montera en puissance de 2008 à 2014, mettant l’accent sur la pérennité des propositions. La candidature promeut l’image d’une ville qui a longtemps cultivé les savoir-faire, aujourd’hui le design, et refuse l’uniformisation des modèles.
Chef de projet : Anne-Marie Castay, professionnelle du marketing, de la communication et de la recherche et développement. Budget prévisionnel : non communiqué

Nice joue le décalage

Outsider de la compétition, la belle endormie de la Côte d’Azur mise sur la fantaisie et l’humour pour séduire le jury, avec une candidature « plus artistique que culturelle ». En témoigne son symbole : un bateau en papier qui sillonnera la Riviera parmi les yachts de luxe. « Nous sommes dans la situation inverse de celle de Lille qui avait une image peu attractive alors qu’elle était déjà très dynamique », souligne Bernard Faivre d’Arcier, son promoteur. Pour ce dernier, seule une candidature décalée a une chance de retenir l’attention. L’idée principale consiste à replacer l’artiste au cœur du projet. Une floraison d’idées et de commandes publiques, relevant d’une imagination parfois débridée, sont donc déjà dans les cartons. Quatre thèmes ont été retenus : « Lumière », « Rivage », « Esprit du baroque » (de grandes fêtes baroques sont prévues), « Le vivant et l’artificiel ». Le dispositif sera complété par quelques travaux (Muséum, friche Spada), même si la carte n’est ni « celle de l’équipement, ni celle du socio-culturel ». La candidature s’appuiera en effet sur le maillage d’équipements et de manifestations existants dans une cinquantaine de communes sur la façade des Alpes-Maritimes.
Chef de projet : Bernard Faivre d’Arcier, ancien directeur du Festival d’Avignon, président des Biennales de Lyon
Budget prévisionnel : 45-50 millions d’euros

Marseille : l’expérience de l’interculturel

Avec un budget avoisinant les 100 millions d’euros (hors investissements), Marseille porte sans conteste la candidature la plus ambitieuse, voire la plus risquée. Car si la cité phocéenne foisonne culturellement, beaucoup reste encore à construire dans la métropole la plus pauvre de France. À commencer par le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem), conçu comme tête de pont des équipements de la ville mais sans cesse remis en question. Engagée dans une – lente — opération de rénovation urbaine, la municipalité semble enfin prendre la mesure du rôle de levier que peut jouer la culture. « Cette ville a besoin d’aide et de reconnaissance, souligne Bernard Latarjet, chef de projet de la candidature. Ses handicaps sont aussi une bonne raison de mériter ce label ! » Ville cosmopolite, terre d’immigration, Marseille veut mettre en avant cette expérience du multiculturalisme et la dimension euroméditerranéenne de sa candidature. L’idée de Bernard Latarjet est de créer plusieurs rendez-vous de référence internationale pérennes afin d’ancrer la cité dans le réseau des métropoles culturelles européennes. La dimension régionale de la candidature se dessine, même si le tour de table a parfois été difficile.
Chef de projet : Bernard Latarjet, ancien président de l’Établissement public du parc et de la Grande Halle de la Villette, président du Centre national des arts du cirque
Budget prévisionnel : 100 millions d’euros

Lyon : place à l’innovation

« Notre candidature n’est pas faite pour compenser un déficit d’image mais pour amplifier la dynamique culturelle de la ville », précise d’emblée Patrice Béghain, adjoint au maire de Lyon, délégué à la culture et au patrimoine. Avec ce label, la 3e ville de France voudrait s’inscrire dans le réseau des grandes métropoles européennes (des projets seront coproduits avec de nombreuses villes européennes), mais aussi rénover l’image d’une cité classique et élitiste. Dotée d’importants équipements culturels, la ville n’a pas conçu sa candidature sur cet aspect, même si le dispositif sera complété dans le domaine du cinéma, de la danse, de la lecture publique et des nouvelles images. La promotion de la culture numérique et électronique est en effet au cœur du projet, dont la direction artistique a été confiée à Vincent Carry, directeur du festival « Les nuits sonores ». Le concept s’articule autour de la thématique de la « résidence universelle » et promeut la diversité culturelle, l’ouverture au monde, la jeunesse et le partage des savoirs. Lyon revendique également sa méthodologie : tous les acteurs de la société civile ont été impliqués dans les ateliers préparatoires.
Direction du projet de candidature : Patrice Béghain, adjoint au maire délégué à la culture et au patrimoine
Budget prévisionnel : 75 millions d’euros

Bordeaux mise sur l’urbanité

C’est dans la foulée de l’inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco de son centre historique, en juin, qu’Alain Juppé a annoncé la candidature de la ville dont il est le maire. Bordeaux est donc partie avec six mois de retard sur ses rivales et notamment Toulouse, qui aurait préféré compter la capitale girondine parmi ses partenaires. L’objectif principal de la très bourgeoise cité bordelaise est de dépoussiérer son image de ville-musée en axant sa candidature sur la thématique des mutations urbaines et des questions environnementales. Le concept de candidature s’articule autour d’une réflexion à la fois philosophique – que reste-t-il de l’esprit des Lumières à Bordeaux ? — et urbanistique. « Il s’agit aussi de renouer le lien avec l’expérimentation », souligne Richard Coconnier, son chef de projet. Soutenue au Pays basque espagnol par Bilbao et San Sebastián, Bordeaux entend aussi réaffirmer la place de la façade Atlantique en Europe. Pour accueillir les manifestations, la ville manque toutefois cruellement d’équipements, notamment pour la musique. Parmi les projets, il faut citer la construction d’un auditorium et d’un Zénith, mais aussi la transformation en lieu culturel d’une ancienne base-sous marine construite en 1941 par les Allemands.
Chef de projet : Richard Coconnier, codirecteur du Théâtre national de Bordeaux-Aquitaine. Budget prévisionnel : 60 millions d’euros

Strasbourg : européenne et transfrontalière

Personne ne doute de la dimension européenne de la capitale alsacienne. C’est peut-être là que réside le principal handicap de ce dossier. Pour le compenser, Strasbourg a donc choisi de porter une candidature transfrontalière, dénommée « Horizons rhénans », en s’alliant avec ses voisins allemands et suisses. « Cette candidature doit être l’occasion d’un bond en avant sur les questions de créativité, d’innovation et de dialogue », explique Marc Dondey, chef de projet, qui a choisi d’articuler le concept autour de « L’art et l’aventure » — nom donné par Gutenberg à son invention, l’imprimerie à caractères mobiles. Nouvelles technologies et partage des savoirs constituent les éléments clefs du projet, lequel développe trois thématiques : « Textiles, toiles et réseaux », « Marcher/rêver/naviguer » et « Avoir 13 ans en 2013 ». La logique promue n’est pas celle de la construction d’équipements, même si un rééquilibrage vers l’est doit être opéré, mais plutôt celle de l’investissement dans les réseaux et pratiques culturels.
Chef de projet : Marc Dondey, directeur artistique dans le domaine du spectacle vivant
Budget prévisionnel : 50-70 millions d’euros

Toulouse : cheminer vers l’Europe

Avec Olivier Poivre d’Arvor, le très médiatique directeur de CulturesFrance, la ville rose a fait appel à un poids lourd de la culture et a misé sur son entregent. Ce dernier a conçu un programme « décoiffant et créatif », organisé autour de la notion de « chemins ». La programmation sera déclinée autour de trois axes – Transmettre, Partager et Innover – en une quinzaine d’itinéraires inscrits dans l’environnement urbain et rural, sur des thèmes aussi variés que l’histoire, l’archéologie, les chemins de Compostelle, l’ovalie, l’aéropostale et les arts de la rue (on parle déjà de la venue de la troupe Royal de Luxe). La candidature s’appuie par ailleurs sur un épais dossier infrastructures (chiffré à 250 millions d’euros), parmi lesquelles un auditorium construit sur la Garonne, une salle dédiée à toutes les danses ainsi qu’un espace pour la création aménagé dans l’ancienne prison Saint-Michel. Après un démarrage difficile – notamment pour réunir les élus –, Toulouse a musclé sa candidature en organisant, le 10 novembre, la « Festa Tolosa », défilé de chars musicaux. Son principal handicap reste néanmoins son enclavement géographique, même si l’Europe des « Grands Suds » sera associée à l’événement.
Chef de projet : Olivier Poivre d’Arvor, directeur de CulturesFrance
Budget prévisionnel : 80 millions d’euros

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°269 du 16 novembre 2007, avec le titre suivant : Que la meilleure gagne !

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