Patrimoine

Prosper Mérimée, pionnier de l’Inventaire

Par Eva Bensard · Le Journal des Arts

Le 12 septembre 2003 - 814 mots

L’année 2003 célèbre le bicentenaire de la naissance de Prosper Mérimée (1803-1871) par des expositions, colloques, films... Les Journées européennes du patrimoine s’associent à cet hommage avec un programme spécifique. Ces manifestations offrent l’occasion de revenir sur ce personnage singulier, homme de lettres inclassable et instigateur de la protection du patrimoine monumental français.

PARIS - À la fois écrivain, homme politique, amateur d’art et défenseur du patrimoine, Prosper Mérimée porta un intérêt égal à chacune de ses passions. Issu d’une famille d’artistes peintres, il eut pour première vocation la littérature. Deux ans seulement après l’obtention de sa licence en droit, il publiait ses premiers ouvrages, Les Espagnols au Danemark et le Théâtre de Clara Gazul. S’ensuivirent plusieurs romans – dont les célèbres Vénus d’Ille (1837) et Carmen (1850) –, dix-huit nouvelles, des poésies ainsi que quelques pièces de théâtre et récits historiques (Chronique du règne de Charles IX, 1829). Une production prolifique et inclassable, qui n’a pas empêché l’homme de lettres de cultiver ses autres penchants : le voyage, auquel il s’adonna dès l’âge de 23 ans, et la politique.
De 1831 à 1833, Mérimée occupe diverses fonctions aux ministères de la Marine et du Commerce. “Moitié homme, moitié fauteuil”, selon ses propres termes, il y parfait sa connaissance des dossiers et des hiérarchies administratives et politiques. L’année suivante, il est nommé inspecteur général des Monuments historiques, un poste créé en 1830 sous le ministère Guizot. Cette nomination, écrit-il alors, “convient tout à fait à mes goûts, à ma paresse, à mes idées de voyages...” Des idées qu’il met en pratique dès l’été 1834, en entamant un tour de France des monuments par la Bourgogne, la vallée du Rhône et la Provence. Sa mission consiste alors à signaler les édifices en péril, et à décrire et classer par style ou époque chaque construction intéressante.

Hérault du patrimoine monumental
“Je vais à petites journées m’arrêtant à chaque église et n’en sortant qu’après l’avoir inscrite dans la classe des gothiques fleuries, flamboyantes, romanes, de transition, absolument comme vous vous arrêteriez devant une herbe que vous classeriez parmi les Merimoea arenaroïdes”, rapporte-t-il à Adrien de Jussieu en 1834. Le principe de l’inventaire était né, mais les moyens et compétences indispensables à la sauvegarde du patrimoine faisaient encore défaut. En 1837, Mérimée plaide auprès du ministre la création d’une Commission supérieure des monuments historiques dotée de moyens substantiels. Composée d’historiens, d’érudits et d’architectes, celle-ci est chargée de sélectionner, parmi les demandes des préfets, les monuments les plus menacés. Il en résulte en 1840 l’établissement de la première liste des monuments protégés. Confiée à des architectes et financée par l’État, leur restauration suscite des débats passionnés. Tandis que, pour les archéologues et les historiens, “le monument est un document qui ne doit pas souffrir de modifications, pour les architectes et les artistes, ce sont des illustrations des civilisations passées qui ne gardent tout leur sens que si l’on ressuscite, outre le plan et l’élévation, le décor...”, rappelle Françoise Berce, inspecteur général honoraire de l’Architecture et du Patrimoine. Cette tendance à la “recréation” ne suscite pas auprès de Mérimée les mêmes réserves que chez les archéologues, comme en témoigne la reconstitution par Viollet-le-Duc ou Duban du décor sculpté de plusieurs cathédrales (Notre-Dame-de-Paris, Blois...). Le “colonel” des monuments historiques, ainsi que se définissait l’écrivain, était avant tout attaché à sauver des édifices de la disparition. Il a ainsi contribué à préserver Vézelay, la Charité-sur-Loire, Moissac, les gisants de Fontevraud, le château de Blois, les monuments antiques d’Arles et d’Orange, la chartreuse de Champmol, la cathédrale de Laon ou encore Saint-Savin, chantier qui tenait particulièrement au cœur de cet amateur de peintures médiévales. Nommé sénateur en 1853, Mérimée ne se résolut pas à abandonner ses monuments et poursuivit ses inspections à travers la France jusqu’en 1859. Inventeur de la notion de “sauvegarde du patrimoine” et de la légitimité de l’inspection générale, il fonda un véritable métier et posa les jalons d’une politique de conservation centralisée. Ironie du sort, le bicentenaire de sa naissance coïncide avec le projet de cession aux collectivités territoriales de plus de cent monuments historiques appartenant à l’État...

L’année Mérimée

“Le tour de France de Mérimée en 100 photographies”?, exposition itinérante, organisée par la direction de l’Architecture et du Patrimoine et Monum, Centre des monuments nationaux, montre le rôle déterminant joué par Mérimée dans l’élaboration d’une politique du patrimoine monumental français. À travers 100 photographies signées Édouard Baldus, Gustave Le Gray, Henri Le Secq ou Charles Nègre, ce “tour de France”? met par ailleurs en lumière les aspects patrimoniaux auxquels Mérimée était le plus attaché : la préhistoire, l’Antiquité et le Moyen Âge. Après Silvacane et l’abbaye du Mont-Saint-Michel (jusqu’au 28 septembre, tél. 02 33 89 80 00), l’exposition sera successivement présentée au château de Chambord (4 oct.-2 nov.), au palais du Tau à Reims (9 nov-14 déc.) et à la Conciergerie à Paris (19 déc. 2003-29 fév. 2004).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°176 du 12 septembre 2003, avec le titre suivant : Prosper Mérimée, pionnier de l’Inventaire

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