Musée Maillol et Musée du Louvre

Pompéi & Alexandre : de l’archéologie diplomatique

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 15 novembre 2011 - 1820 mots

Faire parler cailloux et tessons n’est guère simple pour les spécialistes.
Surtout quand la politique se tient en embuscade. Visite des coulisses des Musées Maillol et du Louvre, à Paris.

Depuis l’automne, deux manifestations permettent au public parisien de profiter d’un savoureux programme d’expositions d’archéologie antique. La première, dédiée à l’un des sites les plus connus d’Italie, Pompéi, ville romaine figée par l’éruption du Vésuve en 79, est présentée dans le petit Musée Maillol. La seconde, consacrée à une figure mythique de l’histoire de la Grèce antique, le conquérant macédonien Alexandre le Grand, du IVe siècle av. J.-C., se tient dans les vastes espaces du hall Napoléon du Louvre. Deux sujets, deux lieux, mais aussi deux manières d’exposer l’archéologie qui ne laissent pas de dire à quel point cette science, toujours complexe à appréhender pour le public, peut servir les discours les plus didactiques sur notre passé historique... jusqu’aux plus politiques.

Chez Maillol, une scénographie soignée pour un message à faire passer : « Sauvez Pompéi ! »
Dans le 7e arrondissement, le Musée Maillol, ouvert depuis quelques années à des sujets plus vastes que l’art et l’entourage du sculpteur Aristide Maillol, s’est fait une spécialité de l’Italie. Sa directrice artistique, Patrizia Nitti, elle-même originaire de la péninsule, s’appuie ainsi sur un solide réseau scientifique au sein de l’administration des Biens culturels italiens pour exposer en France des pans souvent méconnus de ce patrimoine artistique. Tel est le cas pour cette présentation dédiée à Pompéi, dont toutes les œuvres proviennent en effet des musées ou des sites italiens.

Des pièces très rarement montrées au public ont ainsi pu être obtenues en prêt. Elles sont notamment issues des réserves archéologiques de Pompéi et d’Herculanum d’où elles ne sortent quasiment jamais. Pompéi est bien connue, grâce à de nombreuses publications, pour ses décors peints, des plus bucoliques aux plus licencieux. La ville l’est moins, en revanche, pour ses éléments de mobilier, comme l’illustre cette exceptionnelle statue d’éphèbe, qui servait de base de table, provenant de l’antiquarium de Boscoreale. Et la présence humaine y est rarement montrée. Le parcours de l’exposition offre en cela un moment fort en exposant, dans une alcôve plongée dans la pénombre, des moulages des corps figés par l’éruption, tels qu’ils ont été retrouvés.

Contraint par ses espaces, le Musée Maillol a opté pour une présentation thématique : l’idée est d’exposer l’art domestique pompéien comme haut lieu du goût antique et de ses déviances érotiques – qui faisaient déjà sous l’Antiquité la réputation de la ville. Remodelé par le scénographe Hubert Le Gall, l’hôtel particulier hébergeant le musée permet ainsi de présenter, pièce par pièce, le décor de la maison pompéienne en une succession de cabinets. « Le principe de l’exposition est très simple et très efficace : il s’agit de dérouler le fil d’une visite qu’aurait effectuée un étranger de passage dans une maison aisée de Pompéi, un jour comme les autres », explique ainsi Valeria Sampaolo, directrice du Musée archéologique national de Naples. Le fond colle donc à la forme pour une exposition orientée sur les concordances entre la vie quotidienne de l’époque et celle d’aujourd’hui, et avant tout destinée à un public élargi.

Car le but d’un musée privé, comme c’est le cas pour le Musée Maillol, est bien d’attirer un maximum de visiteurs. Cela en capitalisant sur l’actualité. Car Pompéi est aujourd’hui en danger, par manque d’entretien, comme l’ont montré les effondrements récents de la Maison des gladiateurs et d’un pan de mur d’enceinte. Patrizia Nitti caresse donc aussi une autre ambition : faire de cette exposition une vitrine de son engagement en faveur du site. Alors que l’Italie s’enflamme autour du sort réservé à son patrimoine sur fond de restrictions budgétaires, la directrice artistique du musée se veut pragmatique. « On a les gouvernements que l’on a, déplore-t-elle. Mais ce n’est pas le seul problème dans le cas de Pompéi. Le site est complexe en lui-même, car il est très vaste. » D’où l’idée, dans un pays où les avantages fiscaux liés au mécénat relèvent d’un vieux débat qui a tout du serpent de mer, de créer une fondation destinée à lever des fonds privés internationaux en faveur de l’entretien du site, sous l’égide de l’Unesco. Avec cette exposition, Pompéi se fait donc aussi l’ambassadrice à l’étranger de sa propre cause.

Au Louvre, des enjeux politiques derrière un « choc esthétique »
Au sein du prestigieux Musée du Louvre, l’ambiance et le propos sont tout autres. Bénéficiant d’espaces d’expositions temporaires certes aveugles mais modulables, le musée a fait le pari d’une scénographie très affirmée. Tout en jouant l’épure, celle-ci met d’emblée en avant la qualité esthétique des pièces exposées relatant l’épopée des rois macédoniens du IVe siècle av. J.-C. La lumière y joue un rôle de premier plan. « Nous avons voulu nous inspirer de la nature des objets et de leur lieu d’origine, sans tomber dans un faux décor ou une scénographie théâtrale », explique Brigitte Fryland, sa conceptrice. Dès l’entrée, le visiteur est ainsi attiré par une lumière venue du fond de l’exposition où est représentée une façade de temple, seule concession à la restitution. « Nous avons voulu faire ressortir la lumière de la Grèce du Nord. Le visiteur passe ainsi de l’univers des tombeaux à la lumière », explique la scénographe. Cela avec le choix de miser sur des matériaux contemporains, comme l’aluminium brossé, « conducteur de lumière », plutôt que sur l’ocre, habituel pour ce type de présentation.

Assurément, le résultat constitue un très bel écrin pour des objets de qualité extraordinaire. Le « choc esthétique » est donc au rendez-vous. D’autant que le visiteur est accueilli par une somptueuse couronne de feuilles de chêne en or, comparable à celle de Phillipe II, le père d’Alexandre, mais ayant probablement appartenu à l’un des fils d’Alexandre. Exhumée en 2008 à Aigai (actuelle Vergina), elle n’avait encore jamais été montrée au public. Car c’est aussi la spécificité de cette exposition : faire le point sur l’état de la recherche archéologique.

Après avoir longtemps privilégié les sites du sud, la Grèce se penche depuis quelques décennies sur l’archéologie de la Grèce du Nord – et donc de la Macédoine antique –, restée longtemps sous domination ottomane. Si un Français, Léon Heuzey, avait initié des fouilles en 1861, les travaux de recherche n’ont repris que dans les années 1960. Ils se sont intensifiés au cours de la dernière décennie. L’année 2008 a ainsi été exceptionnelle. « Les spécialistes connaissent l’importance de ces pièces, explique Sophie Descamps-Lequime, conservatrice au Louvre et commissaire de cette exposition conçue en partenariat avec les Grecs. Mais pas le grand public. Or la donne a complètement changé. Un millier de tombes ont ainsi été fouillées entre 2000 et 2010, ce qui nous permet de présenter de nombreux inédits, y compris pour les Grecs. »

Très esthétisante, l’exposition pèche toutefois par sa complexité pour un public non averti, qui se limitera souvent à observer la beauté intrinsèque des pièces. Mais il y a peut-être une autre explication à ce parti pris. La question de la Macédoine reste en effet un sujet brûlant en Grèce. En 1991, suite à l’éclatement de la Fédération yougoslave, est née une jeune république, la Macédoine (capitale Skopje) – plus au nord –, avec laquelle les Grecs refusent de partager ce nom, au motif qu’il appartiendrait à leur patrimoine historique. Depuis, les Grecs s’opposent à tout compromis malgré plusieurs médiations internationales. Leur position est claire : que le terme « Macédoine » soit complété d’une autre appellation. Voire, pour les franges les plus radicales, qu’il soit abandonné. Le litige a été porté par la Macédoine devant la Cour internationale de justice.

Sophie Descamps-Lequime veut bien l’admettre : il a fallu contourner le problème, jamais évoqué dans l’exposition ni dans son catalogue, pour en définir notamment le titre. « Nous parlons de Macédoine antique et nous ne parlons que de la dynastie des Téménides, qui est bien originaire de Grèce du Nord », explique-t-elle. Pourtant la date des fouilles, très récentes, qui ont permis de découvrir ces pièces rares ne cesse de surprendre. S’agit-il pour les Grecs de prouver, par l’archéologie, que la Macédoine était bien grecque ? Historiquement, l’archéologie a souvent été récupérée à des fins politiques, comme en témoigne notre passé gaulois [lire l’encadré].

Le Louvre a mis manifestement le doigt sur un sujet sensible. Mais l’a-t-il fait en toute innocence ? En 2008, dans le cadre de déclarations publiques qui avaient suscité l’émoi en Macédoine, Nicolas Sarkozy avait apporté officiellement son soutien à la Grèce sur ce sujet, contre la Macédoine. Les responsables du musée ne pouvaient l’ignorer. Après les épisodes syriens, saoudiens ou chinois, le Louvre ressemble donc de plus en plus à une antichambre de l’exercice de la diplomatie française, et de ses aléas. Malraux parlait en son temps de « diplomatie d’influence », quand la culture servait de corollaire à des tractations politiques. Les choses se font désormais de manière plus insidieuse, jusque dans le plus grand musée français. Sans que le public n’en soit jamais averti, et au risque d’emporter son personnel scientifique vers des continents idéologiques qui le dépassent.

Nos ancêtres les Gaulois

Archéologie et politique ont toujours cohabité. Une autre exposition parisienne, d’un style différent, vient le rappeler : celle que la Cité des sciences et de l’industrie dédie aux Gaulois. Montée en partenariat avec l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), celle-ci fait le point sur trente années de recherches qui ont permis de démonter de nombreux mythes, véhiculés par les historiens, de Jules César et sa guerre des Gaules jusqu’à Ernest Lavisse au XIXe siècle, et par une iconographie picturale héroïque. Les Gaulois, par exemple, n’étaient pas un peuple, mais un ensemble de populations assez hétérogènes. Ils n’étaient pas « chevelus » mais vivaient en « Gaule chevelue », baptisée ainsi pour l’importance de ses forêts. Et ils mangeaient plus souvent du cochon sauvage que du sanglier, comme en atteste la forme des dents retrouvées...

D’Astérix le Gaulois au chantier de fouilles
Soutenue par une muséographie très sophistiquée et adaptée à tous les âges, l’exposition propose ainsi cinq séquences qui sont autant d’ambiances différentes. Le visiteur passe de l’image des Gaulois véhiculée par l’histoire – et Astérix ! – à l’ambiance des fouilles, cela jusqu’à la restitution des découvertes dans un espace proprement muséal. Un film burlesque propose même une immersion dans la vie des Gaulois ! Très didactique, l’exposition s’appuie aussi largement sur l’interactivité et la participation du visiteur.
S’il s’agit incontestablement d’une grande réussite en matière de vulgarisation, ce type de présentation montre toutefois très rapidement ses limites. Les jours de grande affluence – ce qui est souvent le cas à la Cité des sciences –, le visiteur ne peut que zapper d’une partie à l’autre de l’exposition. Sans pouvoir vraiment se concentrer sur le sujet.

« Gaulois, une expo renversante », Cité des sciences et de l’industrie, 30 avenue Corentin Cariou , Paris-19e, jusqu’au 2 septembre.

Autour des expositions

« Au royaume d’Alexandre le Grand. La Macédoine antique », jusqu’au 16 janvier 2012. Musée du Louvre. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 9 h à 17 h 45. Nocturnes le mercredi et le vendredi. Tarif : 11 €. www.louvre.fr

« Pompéi – un art de vivre », jusqu’au 12 février 2012. Musée Maillol. Ouvert tous les jours de 10 h 30 à 19 h. Nocturne le vendredi. Tarifs : 11 et 9 e. www.museemaillol.com
Mosaïques à Saint-Romain-en-Gal. Le musée de Saint-Romain-en-Gal - Vienne expose jusqu’au 8 janvier un ensemble de mosaïques du Louvre restaurées dans son atelier. Elles proviennent d’Antioche et de Phénicie et sont datées du IIe au VIe siècle. À l’issue de l’exposition, le Louvre présentera cet ensemble dans ses salles permanentes, notamment un pavement de près de 100 m2 découvert en 1861 dans une église près de Tyr.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°641 du 1 décembre 2011, avec le titre suivant : Pompéi & Alexandre : de l’archéologie diplomatique

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque