Pause-café

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 29 novembre 2011 - 1269 mots

Les uns après les autres, les musées regardent vers le design lorsqu’il s’agit de réaménager leurs espaces destinés au public. Les cafétérias et restaurants affichent désormais leur contemporanéité.

Le XXIe siècle sera design ou ne sera pas. C’est ce que semblent se dire nombre de responsables de musées qui lorgnent vers cette discipline en vogue, au moment de l’aménagement ou du réaménagement des espaces destinés au public. Le design deviendrait-il une nouvelle valeur ajoutée muséale ? À n’en point douter. Il participe en tout cas à leur façonner une image indubitablement contemporaine, sinon progressiste.

Le 1er janvier 2000, lors de sa réouverture au public après trois ans de travaux, le Centre Pompidou, à Paris, avait frappé un grand coup en dévoilant, au dernier étage, le restaurant Georges, signé Jakob MacFarlane et constitué de coques organiques et métalliques qui se déhanchent littéralement entre les éléments de sa rigoureuse structure industrielle. Depuis, en France et ailleurs, les projets pullulent. En 2007, le Musée des arts décoratifs, à Paris, se dote d’un restaurant conçu par le décorateur Philippe Boisselier, tandis que La Triennale de Milan, qui inaugure alors son musée du design, fait de même avec le designer Michele De Lucchi. En 2009, le Musée Boijmans Van Beuningen, à Rotterdam, fait, lui, appel à Wieki Somers pour revoir entièrement son vestiaire des visiteurs. Avec son alter ego Dylan Van den Berg, la designer imagine un dispositif d’une simplicité enfantine s’inspirant de la fameuse « salle des pendus » que l’on trouvait jadis dans les carreaux de mine. Constitué d’un système de cintres, cordes, poulies et contrepoids, son vestiaire, joyeux, procède de la même méthode : il suffit de suspendre son vêtement sur le cintre avant que celui-ci ne remonte dans les airs grâce à un contrepoids. Moins tenté par l’insolite, le Centre Pompidou-Metz, qui a ouvert l’an passé, a choisi, pour son restaurant du premier étage avec terrasse, Patrick Jouin et son associé Sanjit Manku. Baptisé La Voile Blanche en référence à la toiture élastique de cet édifice imaginé par les architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines, l’espace arbore des formes beaucoup moins entortillées que son grand frère parisien, les deux designers ayant opté pour un style sage et classique.

L’échelle de la mission est variable. Elle va de la simple commande d’un meuble, une assise ou une banque d’accueil, à l’aménagement complet d’un lieu. Chanceuse, la designer française Matali Crasset s’est vue confier, en 2005, par le Stedelijk Museum de ’s-Hertogenbosch (Bois-le-Duc, Pays-Bas), autrement dit le Musée d’art contemporain et d’arts décoratifs, un projet global : non seulement la réhabilitation complète de l’espace dans lequel l’institution s’installait, un ancien bâtiment industriel de briques et de sheds, mais aussi la signalétique et l’identité visuelle du lieu, du papier à lettres au site Internet du musée. Bref, un beau tir groupé.

Il existe moult façons de faire entrer le design au musée. Le Mudam (Musée d’art moderne Grand-Duc Jean), à Luxembourg, a ainsi initié une manière subtile de faire plancher les designers, en trouvant des budgets non pas dans la colonne « travaux », mais « acquisitions ». Résultat : la dizaine de pièces d’aménagement conçues à l’occasion de l’ouverture de l’institution, en 2006, font partie intégrante des collections et arborent chacune un numéro d’inventaire, au même titre qu’une œuvre d’art. Ainsi en est-il de l’agréable restaurant du musée imaginé par Ronan et Erwan Bouroullec, constitué de deux petites architectures taillées dans une structure de pin et habillées d’une toiture en tuiles textiles colorées. Pour les designers, ce type de projet est aussi évidemment l’occasion de distiller leurs produits déjà commercialisés.

« Ambiance Jules Verne »
À Paris, le Musée d’Orsay, qui a achevé, fin octobre, la plus importante métamorphose qu’il ait connue depuis son ouverture, en 1986, a lui aussi cédé aux sirènes du design. Ainsi, au cinquième étage, dans les salles dédiées aux impressionnistes sont disséminés sept bancs en verre : les Water Block du designer japonais Tokujin Yoshioka. Ces pièces, d’un poids d’environ 500 kg chacune et d’une valeur oscillant, selon leurs dimensions, entre 200 000 et 300 000 euros, sont en dépôt pour une période de cinq ans, à charge pour le musée, s’il veut les conserver, de trouver des mécènes. Mais la pièce maîtresse de ce « Nouvel Orsay » est le nouveau Café de l’Horloge : 305 m2 revus et corrigés par la palette tropicale et néanmoins baroque des designers brésiliens Fernando et Humberto Campana. « La première chose à laquelle j’ai pensé en voyant la grande horloge, c’est à Vingt mille lieues sous les mers, explique Humberto Campana. Il y a une ambiance Jules Verne ici. Nous avons donc travaillé autour de la notion de liquide, d’organique, joué l’intuitif contre rationalisme. Nous voulions créer à la fois une ambiance chaude et un lieu très lumineux. » Les reflets sont d’ailleurs légion, des pans de murs habillés de miroirs brisés bleutés aux clinquantes suspensions en laiton martelé. Pour l’occasion, les Campana ont même dessiné une chaise en forme de pétales, inspirée rien moins que des… Nymphéas de Monet (sic).

C’est Guy Cogeval, actuel président du Musée d’Orsay, qui a vendu la griffe Campana au concessionnaire du café, le groupe de restauration Elior. « J’ai découvert et appris à aimer le travail des frères Campana lorsque j’étais à la tête du Musée des beaux-arts de Montréal, raconte Guy Cogeval. L’institution québécoise possède une importante collection de design contemporain, dont certaines de leurs pièces. Dès mon arrivée à Orsay, lorsque j’ai su que le projet de réaménagement du Café de l’Horloge était dans les tuyaux, j’ai tout de suite pensé aux Campana. Je suis fier d’avoir réussi à convaincre le concessionnaire du café de travailler avec eux et ravi du résultat. » Coût des travaux : 1,6 million d’euros, répartis à parts égales entre le musée et le groupe de restauration.

Édifice extravagant
À Groningen (Pays-Bas), le Groninger Museum, lui, a poussé le curseur d’un cran supplémentaire. Déjà, en 1994, il s’était permis une entrée remarquée sur la scène muséale avec, côté architecture, un édifice extravagant signé à la fois Alessandro Mendini, Philippe Starck, Michele De Lucchi et Coop Himmelblau. L’institution batave a remis le couvert, l’an passé, avec cette fois des aménagements intérieurs détonants, confiés à des vedettes du design actuel : l’Espagnol Jaime Hayon, le Néerlandais Maarten Baas et le duo Belgo-néerlandais Job Smeets et Nynke Tynagel (Studio Job). « Nous avons choisi des designers dont nous connaissions déjà le travail, en particulier parce que nous possédons certaines de leurs pièces dans nos collections, précise Casper Martens, conservateur et responsable des collections du Groninger Museum. Ils étaient entièrement libres de leur esquisse, à partir du moment où chacun restait dans une enveloppe donnée. » Jaime Hayon a entièrement repensé le centre d’information, Maarten Baas le café-restaurant et Studio Job un espace de réception (Job Lounge pour les intimes), sorte de « galerie des glaces » truffée de luminaires roses en forme de… seins (sic). Ce dernier lieu est le reflet de la nouvelle politique des responsables du Groninger Museum.

« C’est une question de marketing, explique Casper Martens. Nous louons cette salle pour des mariages, des soirées, des dîners, etc. C’est un moyen pour nous de faire entrer de l’argent dans les caisses. D’autant que le gouvernement [néerlandais] nous a encore réduit ses subventions. Chaque musée doit de plus en plus trouver des fonds propres et toutes les solutions sont à étudier à partir du moment où nous ne transformons pas le musée en centre de loisirs, ce qui serait évidemment ridicule ! » Comme quoi, l’entrée du design dans les musées est finalement tout sauf… anodine.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°358 du 2 décembre 2011, avec le titre suivant : Pause-café

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