Nouvelles pistes pour le Raphaël disparu depuis 1945

Le gouvernement polonais relance les recherches autour du portrait du Musée Czartoryski

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 30 janvier 1998 - 829 mots

Le Portrait d’un jeune homme par Raphaël retournera-t-il un jour au Musée Czartoryski, à Cracovie, d’où il fut dérobé durant la Seconde Guerre mondiale ? Disparu depuis 1945, il pourrait se trouver dans le coffre-fort d’une banque australienne. Le nouveau gouvernement polonais relance les recherches.

LONDRES (de notre correspondant) - “Depuis que, tout enfant, j’ai appris son existence, j’ai toujours espéré le voir réapparaître. Absolument rien ne prouve qu’il ait été détruit”. Le prince Adam Czartoryski, directeur de la Fondation du Musée Czartoryski, ne désespère de retrouver l’un des plus grands chefs-d’œuvre disparus durant la Seconde Guerre mondiale : le Portrait d’un jeune homme, par Raphaël. Ce magnifique tableau, peint vers 1515 et tenu par certains spécialistes pour un autoportrait, avait été acquis en 1800 par la famille princière polonaise. Plus tard, il fut exposé dans le musée familial de Cracovie, où il retournerait en cas de découverte.

Pendant la guerre, l’œuvre a connu une histoire mou­ve­mentée : cachée dans la cave d’une maison de campagne des Czartoryski, volée par les troupes allemandes, emportée comme butin à Berlin, elle est finalement retournée à Cracovie, au Palais Wavel, chez le gouverneur nazi Hans Frank. Lorsqu’à l’arrivée des troupes soviétiques, en 1945, celui-ci s’est enfui, d’abord à Murau en Autriche, puis à Neuhaus en Bavière, il a vraisemblablement emporté avec lui ce petit panneau de 72 x 56 cm. Le tableau n’a jamais été revu depuis.

En Pologne, cette mystérieuse disparition a donné lieu à plusieurs enquêtes. Le gouvernement élu en septembre dernier est déterminé à reprendre l’affaire. Le ministère de la Culture vient de prendre contact avec le professeur Wojciech Ko­wals­ki, commissaire au Pa­trimoine culturel à l’étranger entre 1991 et 1994, qui, d’après ses pro­pres investigations, est convaincu que “le ta­bleau existe encore”.

Des témoins qui disparaissent
Selon deux témoins, le Portrait de jeune hom­me se trouvait à Murau le 21 janvier 1945. Dix jours plus tard, Hans Frank l’emportait sans doute avec lui à Neu­haus, où il fut arrêté par les trou­pes américaines. Malgré des fouilles méticuleuses, on n’a pas retrouvé le tableau. Jugé comme criminel de guerre par le tribunal de Nu­remberg, Frank a été pendu.

D’après nos recherches, trois de ses associés savaient ce qu’il était advenu du Raphaël. L’aide de camp Helmuth Pfaffenroth, qui a participé au déménagement des tableaux à Neuhaus, a disparu à la fin de la guerre. Wilhelm Ernst de Palesieux, ami et employé de Frank, qui avait déclaré aux forces américaines avoir vu le tableau à Murau, est mort en 1954 dans un mystérieux accident de voiture. Il devait rencontrer le lendemain même le comte Stefan Zamoyski – marié à une Czartoryski – pour parler du portrait. Enfin, en 1960, Edward Kneisel, le restaurateur de tableaux embauché par Frank, a déclaré avoir vu le Raphaël en février 1945 à Neuhaus, chez Wilhelm Ernst de Palesieux. Mais il s’est dédit peu après ; il avait apparemment subi de fortes pressions.

Rumeurs et jeu de pistes
Depuis 1945, les hypothèses se sont multipliées. Bernard Taper, officier américain spécialiste des questions artistiques, a interrogé plusieurs prisonniers nazis quand il était en poste en Allemagne. Il a ensuite continué ses recherches à titre personnel. D’après lui, Frank aurait déposé le tableau dans un bâtiment de Neuhaus que les troupes américaines n’auraient pas fouillé assez systématiquement. Le Raphaël pourrait donc se trouver encore en Bavière. Peut-être dans une cave ou un grenier dont les propriétaires ignorent le trésor…

Dans les années soixante-dix, certaines rumeurs donnèrent à croire que le tableau se trouvait entre les mains des agents de la Stasi à Berlin-Est. À présent, il semblerait que le Portrait d’un jeune homme ait abouti en Australie. Peu avant sa mort, le professeur et historien de l’art Jan Bia­lostocki a confié au professeur Kowalski qu’un ami spécialiste de la Renaissance avait vu le tableau dans le coffre-fort d’une banque de Brisbane, en 1983.

Nouveaux espoirs
D’autre part, la réapparition de deux trésors venant d’autres collections Czartoryski a ravivé l’espoir de voir resurgir le Raphaël. Le 30 janvier 1997, lors d’une vente de maîtres anciens à New York, Sotheby’s proposait un Portrait de dame, probablement Anne de Bretagne, par Jan Mostaert, ayant appartenu au palais Goluchow, une des résidences de la famille Czartoryski. D’après le catalogue de Sotheby’s, les précédents propriétaires étaient des membres de la famille princière et le marchand new-yorkais Knoedler. Adam Czartoryski a fait arrêter la vente et le sort du tableau dépend du résultat des tractations avec le vendeur américain.

L’autre trésor est un grand tapis de soie, présenté par Christies’s le 11 octobre 1990 et estimé 150 à 200 000 livres sterling (entre 1,5 et 2 millions de francs). Décrit comme un tapis polonais de la famille Czartorysk acheté en Bavière en 1945, il s’agissait en fait d’une pièce persane du début du XVIIe siècle. À la parution du catalogue, le prince Czartoryski est intervenu pour empêcher la vente. Après des années de discussions juridiques, le tapis est retourné en octobre dernier à Cracovie, au Musée Czartoryski.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°53 du 30 janvier 1998, avec le titre suivant : Nouvelles pistes pour le Raphaël disparu depuis 1945

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