Politique culturelle

POLITIQUE MÉMORIELLE

Missak Manouchian : qui sont les artisans de la panthéonisation ?

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 13 mars 2024 - 599 mots

L’hommage rendu aux résistants des FTP-MOI et à Missak Manouchian est le fruit d’une initiative associative et politique, qui porte une ambition de réconciliation nationale.

Paris. Lors de la cérémonie du 21 février dernier, l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian (1906-1944), accompagné de son épouse Mélinée, est apparue comme une évidence. Mais le chemin fut long avant que cet apatride d’origine arménienne, ayant combattu le nazisme au cœur de Paris, et son régiment des Francs-tireurs et partisans – Main d’œuvre immigrée (FTP-MOI) obtiennent cet hommage de la nation. « Il faut remonter quatre-vingts ans en arrière, retrace le sénateur des Hauts-de-Seine Pierre Ouzoulias (PCF). Dès la Libération de Paris, mon grand-père recueille des témoignages, des documents pour faire vivre la mémoire de Manouchian. Il a toujours pensé que, parce qu’il n’avait pas parlé sous la torture, il lui devait son existence. »

Petit-fils du résistant Albert Ouzoulias, dit « colonel André », l’élu communiste imagine cette panthéonisation dès son entrée au Sénat, en 2017 : « Je me suis dit, qu’est-ce que je vais faire de ce mandat ? Et la panthéonisation de Manouchian m’est apparue comme un objectif politique. » Peu avant, le député socialiste Jean-Marc Germain s’était lancé dans la même entreprise. Au même moment, c’est un autre admirateur de cette figure de la Résistance, Jean-Pierre Sakoun, qui anime un groupe informel sur les réseaux sociaux, « pour l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon ». Président de l’association Unité laïque, il voit son initiative se préciser lorsqu’en 2020 son ami Laurent Kupferman lui demande son soutien en faveur de l’entrée de Joséphine Baker au Panthéon : il glisse dans son communiqué quelques mots sur l’opportunité d’honorer le résistant arménien. « Et c’est à partir de là que je suis rentré dans une phase active, à quelques années des quatre-vingts ans de son exécution. C’était le bon moment, car en 2024 il reste des témoins, des survivants ; en 2034 il n’en restera plus », explique-t-il.

« Un étranger mort pour la France»

Le dirigeant associatif compose un comité de pilotage restreint, dont le premier membre est le maire de Valence Nicolas Daragon (Les Républicains) : la préfecture de la Drôme abrite une des plus importantes communautés arméniennes de France, et finance le Centre du patrimoine arménien. Katia Guiragossian, petite-nièce de Mélinée et Missak, représente la famille dans ce comité, et Pierre Ouzoulias, précise Jean-Pierre Sakoun, la « légitimité communiste », famille politique des FTP-MOI. Enfin, l’historien Denis Peschanski complète cet état-major. L’initiative passe en phase opérationnelle dès 2021, avec une tribune publiée dans Libération, puis la constitution d’un comité de parrainage regroupant quelques célébrités, et d’un comité de soutien réunissant associations et collectivités locales. En mars 2022, l’écho médiatique parvient aux oreilles de Bruno-Roger Petit, « conseiller mémoire » du président de la République, et l’Élysée donne son accord en juin 2023 après quelques réunions avec le comité de pilotage.

Les artisans de cette panthéonisation se félicitent aujourd’hui d’une démarche qui s’est déroulée, toujours selon Jean-Pierre Sakoun, « sans accrocs », et dont la réalisation – entièrement pilotée par l’Élysée – répond à leur objectif politique d’un moment de réconciliation, enterrant les concurrences mémorielles entre gaullistes et communistes. « Lors de la veillée au Mont-Valérien [lieu de son exécution], le corps de Manouchian a passé la nuit dans la crypte, entouré de quinze gaullistes. C’est un symbole très fort pour la reconnaissance de l’unité de la Résistance », explique Jean-Pierre Sakoun. « L’idée était de faire un événement à la portée universelle, non pas la reconnaissance d’un Arménien communiste, mais celle d’un étranger mort pour la France. C’est ce qui a séduit le président, et qui est ressorti dans son hommage », souligne de son côté Pierre Ouzoulias.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°629 du 15 mars 2024, avec le titre suivant : Missak Manouchian : qui sont les artisans de la panthéonisation ?

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque