Martin Heller : « Attirer le monde ici »

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 3 février 2009 - 1001 mots

Directeur artistique de Linz09, le Bâlois Martin Heller a longuement réfléchi sur l’identité de cette ville industrielle du nord de l’Autriche.

Né en 1952 à Bâle, en Suisse, Martin Heller a dirigé tour à tour le Musée du Design et le Musée Bellerive, tous deux à Zurich. Chef d’orchestre de l’exposition nationale suisse Expo 02, il travaille depuis en tant que consultant indépendant. Responsable du projet Linz09, il nous livre ses réflexions sur la ville autrichienne.

Comment un Suisse tel que vous a-t-il été nommé à la tête du projet artistique de Linz09 ?
J’ai été contacté après que Linz a postulé et a gagné sa nomination. À ce moment-là, j’étais responsable de la candidature pour Brême 2010. Malheureusement, Brême n’a pas été retenue et j’ai été libre de venir à Linz. Les organisateurs voulaient spécifiquement quelqu’un d’extérieur à la ville, qui n’était pas impliqué dans certains cercles culturels, pour ne pas essuyer des reproches selon lesquels la ville poursuivait une politique fixe et préparée à l’avance.

Comment le programme a-t-il été défini ?
Je suis arrivé à l’automne 2005 et la base du programme était le livre de candidature, avec des propositions de projets sous forme des catalogues des différentes institutions linzoises. Nous ne sommes pas repartis à zéro, mais nous avons essayé de reprendre le fil du programme, de le développer, puis de définir les règles du jeu, les buts et les modes de collaboration avec les différents acteurs locaux. Avec les autres personnes de mon équipe, nous avons rassemblé des opinions différentes sur la ville. De là est née une discussion fructueuse sur des questions autour de l’identité de la ville, son héritage historique et tout ce qui s’est passé lors de la Seconde Guerre mondiale, son image en Autriche vis-à-vis de Vienne, la manière dont on se la représente et avec quelle sorte de programme pourrait-on à la fois faire profiter la ville et attirer des visiteurs. Il est important de développer quelque chose qui respecte le plus précisément possible les conditions et les ambitions de chaque ville. Le but était de faire la connaissance de cette ville de manière très intime, et ensuite de développer quelque chose qui prend tout son sens à Linz, par rapport à sa position en Europe et dans le monde. Le programme, à l’exception d’une section historique qui s’occupe du national-socialisme, est très contemporain. Linz n’est pas une ville avec une élite bourgeoise qui soutient les arts ou la musique, c’est une ville industrielle qui investit beaucoup sur le terrain de la culture.

Linz est-elle à l’image de l’Autriche ou se distingue-t-elle du reste du pays ?
Si l’on soumet une candidature pour devenir Capitale européenne de la culture, ce n’est pas seulement pour soi, mais aussi pour la nation. Linz représente l’Autriche, et il est très important de respecter cette notion. Mais après les élections récentes [élections législatives de septembre 2008 où l’extrême droite a obtenu 29 % des voix, ndlr] et l’identification de l’Autriche avec des personnages comme Jörg Haider, cette année est aussi l’occasion de présenter autre chose, les autres forces de culture de ce pays. Ce programme est la démonstration claire d’une ouverture, d’une dimension multiculturelle, d’une autre Autriche. Pour ce qui est de Linz, je dirais que cette ville a vécu avec deux images différentes. Vue de l’Autriche, Linz a encore l’image d’une ville de province qu’il faut éviter et qui n’a rien à offrir culturellement. Avec le projet de Capitale européenne de la culture, et tous les moyens financiers et les modes de communication qui sont à notre disposition, l’un de nos buts est de corriger cette image, de la rendre plus proche de la réalité. En dehors de l’Autriche, à l’exception d’Ars Electronica et son festival annuel bien établi dans un univers d’experts internationaux, il n’y a rien d’associé à la ville de Linz. Pour développer notre projet, nous avons travaillé en réaction à ces deux images différentes.

Quel a été l’accueil de la presse autrichienne ?
D’abord, il y a la presse régionale qui a parfois un horizon plutôt restreint, et c’est le lot commun des projets d’une telle envergure de susciter divers petits conflits quotidiens. Mais il y a aussi des voix positives, notamment dans les deux derniers mois au vu des premiers résultats, la presse régionale était très enthousiaste. Au niveau national, il y a toujours une distance entre Vienne et le reste du pays, malgré la proximité géographique avec Linz. Il est évident qu’un monde de différence demeure entre la mégapole et Linz. Le but était d’abord de susciter l’attention, ce qui s’est plutôt bien passé malgré quelques difficultés dans la phase préparatoire.

Avez-vous regardé du côté des précédentes capitales, comme Liverpool (Grande-Bretagne) ou Stavanger (Norvège) pour vous en inspirer, ou vous en démarquer ?
Il existe un réseau européen de ces capitales culturelles, actuelles et futures, soit une douzaine de villes, qui regroupe les responsables de projets. Toutes ces villes se rencontrent deux fois par an pour des meetings assez informels mais très fructueux et productifs. C’est surtout pour avoir une perception de la manière dont les choses se passent ailleurs, par exemple dans les pays postcommunistes : comment un pays dont le système politique a de toutes autres racines joue-t-il avec un instrument comme la Capitale européenne ? Ce sont là des aspects qui m’intéressent beaucoup.

Quelle est la particularité du programme de Linz 2009 ?
Sa densité extraordinaire. Nous ne voulons pas séduire avec le régionalisme, qui était le choix spécifique de [la directrice artistique] Mary Miller à Stavanger. La tendance est très clairement internationale, nous voulons attirer le monde ici, et répondre au monde, avec beaucoup de projets. Notamment avec celui d’Ars Electronica, intitulé « 80 1 », qui se concentre sur les lieux du futur dans le monde entier, un projet assez coûteux et ambitieux. Il y a également ce concept d’identifier la ville de manière culturelle. Personnellement, je veux offrir aux autres une ville intéressante, avec une région intéressante, une ville comblée par des offres culturelles 365 jours sur 365.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°296 du 6 février 2009, avec le titre suivant : Martin Heller : « Attirer le monde ici »

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